Databac

Démosthène

Démosthène. 1. Éminent stratège athénien pendant la guerre du Péloponnèse. Après des premiers succès, il occupa Pylos en 425 av. J.-C. et captura un corps d’hoplites Spartiates sur l’île voisine de Sphactérie. En 413, après des campagnes moins brillantes, il fut envoyé à Syracuse pour prêter main-forte à Nicias, mais le persuada trop tard de retirer ses troupes ; les Athéniens avaient perdu la maîtrise de la mer et durent s’échapper par voie de terre. Au cours de cette retraite, Démosthène, qui commandait l’arrière-garde, fut obligé de se rendre aux Syracusains et aux Spartiates après six jours et fut exécuté. 2. Né en 384 et mort en 322 av. J.-C., il fut le plus grand orateur athénien.

1. Sa vie. Démosthène naquit à Athènes dans le dème de Paiania; c’était un enfant de santé fragile et son père, qui s’appelait aussi Démosthène, était un riche fabricant de meubles et d’armes (d’où le surnom de l’orateur, machairopoios, «coutelier»). Démosthène avait sept ans lorsque son père mourut et il fut confié à la garde de trois tuteurs désignés par testament; ces derniers dilapidèrent l’héritage de Démosthène, qui se retrouva presque sans un sou à l’âge de dix-huit ans. Il aurait pris le goût de l’art oratoire étant enfant, lorsqu’il assista au procès de Callistrate. Il se prépara à poursuivre ses tuteurs en justice et, pendant trois ans, tenta vainement d’obtenir réparation. C’est à cette époque qu’il étudia la rhétorique et la procédure, peut-être avec Isée. En 363, il intenta un procès à ses tuteurs, le gagna mais ne recouvrit qu’une petite partie de son patrimoine (voir infra, 2). Sur le plan politique, ses premiers discours devant l’assemblée d’Athènes ne semblent pas avoir été un succès (il ne savait pas prononcer le «r» et il reçut le sobriquet de batalos, « bègue ») ; il fit dès lors de gros efforts pour corriger son défaut d’élocution (p. ex. en s’exerçant à parler avec des cailloux dans la bouche). Il devint aussi logographe, écrivant des discours pour les procès privés, et prit des élèves. Sa réputation grandissante lui apporta un emploi de logographe dans les actions publiques, et il rédigea des discours pour l’accusation lors des procès d’Androtion (355), de Leptine (354) et de Timocrate, l’associé d’Androtion (353). Il prononça lui-même le discours contre Leptine, et il se peut qu’il ait été personnellement opposé à la politique prônée par ce dernier (voir infra, 2). Cela cadrerait bien avec son attitude dans un discours de 353, Sur les symmories (voir infra, 3). Ce n’est qu’en 351 qu’il apparut comme un homme politique avec qui il fallait compter. Il força l’admiration des Grecs en prônant constamment la résistance contre les ambitions de Philippe II, roi de Macédoine. Durant les huit années qui avaient précédé, Philippe avait étendu sa domination sur les pays situés au nord et à l’ouest de la Macédoine, et s’était emparé des plus importantes cités des côtes nord de l’Égée (dont Amphipolis, qui fut toujours convoitée par Athènes). Il avait conclu des alliances avec Olynthe et la Ligue chalcidienne, et avait été appelé en Grèce par les Thessaliens pour les aider à lutter contre les Phocidiens. Il avait remporté la victoire à la bataille de Phères et dominait virtuellement la Thessalie. Il fut arrêté aux Thermopyles par une armée athénienne, mais il reprit ses opérations en Thrace, menaçant la clérouquie (voir clérouque) de Chersonèse et la route qu’empruntait le blé de l’Hellespont pour arriver à Athènes. C’est à ce moment-là (352) que Démosthène prononça sa première harangue contre Philippe, la Première Philippique, où il encourageait une politique de fermeté et de résistance. Toutefois, le sentiment de danger s’estompa et Athènes ne fit pas grand-chose. Pendant ce temps, Olynthe, que la puissance grandissante de Philippe inquiétait, avait rompu avec le roi et fait des ouvertures en direction d’Athènes. Lorsque Philippe attaqua Olynthe en 349, Démosthène prononça trois discours (les Olynthiennes) où il engageait les Athéniens à venir en aide à la cité, mais celle-ci fut trahie l’année suivante par certains de ses habitants, pro-macédoniens. Olynthe tombée, Athènes avait peu de chances de pouvoir s’emparer d’Amphipolis, et il devint nécessaire de signer la paix. Ce fut la paix de Phi-Iocratès, dont Démosthène fut un des négociateurs. Mais dès qu’elle fut signée, Démosthène fut persuadé que Philippe la violait; il entreprit de dénoncer le traité tout en recommandant la prudence dans son discours Sur la paix. En 344, il persuada l’assemblée de refuser les propositions de Philippe, qui voulait reconduire le traité (Deuxième Philippique). En 342, Philippe intervint plus directement dans les affaires de la Grèce et Démosthène tenta d’organiser une coalition des Grecs contre lui ; dans son discours de 341, Sur lés affaires de la Chersonèse (suivi de la Troisième Philippique), il justifia les opérations du stratège athénien Diopithès en Thrace, en affirmant que les actes de Philippe équivalaient déjà à une guerre ouverte. La Quatrième Philippique, si elle est authentique, fut sans doute prononcée peu de temps après. Lorsque Philippe atteignit Byzance, Athènes, inquiète pour son approvisionnement en blé, envoya de l’aide aux Byzantins et ce fut la guerre ouverte avec Philippe; Démosthène fut alors celui que l’on écoutait le plus à Athènes. En 339, Philippe fit mouvement vers le sud et se trouva à Elatée, en Phocide, avant la fin de l’année. Démosthène réussit à organiser une alliance avec les Thébains, Grecs et Macédoniens s’affrontèrent ainsi à Chéronée à l’automne 338. Philippe remporta une victoire décisive, feignant de battre en retraite puis faisant demi-tour pour anéantir les Athéniens lancés à sa poursuite. C’est son fils Alexandre (le Grand) qui aurait commandé la cavalerie macédonienne. Démosthène, qui assistait à la bataille, prononça l’oraison funèbre des morts de Chéronée, discours que nous n’avons pas conservé. Philippe n’eut pas besoin d’imposer à la Grèce un règlement politique : dans la plupart des cités, des politiciens promacédoniens prirent naturellement le dessus. Malgré la défaite de Chéronée, bataille que Démosthène avait activement recherchée, Ctésiphon proposa peu de temps après qu’une couronne d’or fût attribuée à l’orateur lors des Grandes Dionysies, pour services rendus à la cité. Eschine intenta un procès en illégalité à Ctésiphon mais l’affaire ne vint pas devant les tribunaux avant l’année 330. Dans le discours qu’il prononça à cette occasion (le Contre Ctésiphon), Eschine retraçait la carrière de Démosthène et le rendait responsable des malheurs qui s’étaient abattus sur Athènes, mais la réponse de Démosthène (Sur la couronne) fut un chef-d’œuvre d’éloquence qui lui valut un vote massif en sa faveur; moins d’un cinquième des jurés votèrent pour Eschine (qui se retira à Rhodes, où il mourut). Pendant ce temps, Alexandre était monté sur le trône de Macédoine après l’assassinat de Philippe en 336, et n’avait pas tardé à montrer qu’il n’entendait pas laisser la Grèce échapper au contrôle de la Macédoine. Démosthène continua d’occuper le devant de la scène politique, mais la fin de sa carrière fut ternie par l’affaire d’Harpale. En 325, celui-ci, trésorier d’Alexandre le Grand (2, 6), s’était enfui avec une importante somme d’argent et il avait essayé de trouver refuge à Athènes. Démosthène proposa, semble-t-il, de le faire jeter en prison et de mettre l’argent à l’abri sur l’Acropole; plus tard, lorsqu’Harpale s’évada de prison, l’Aréopage enquêta sur la disparition d’une partie de l’argent. Les actes et les motivations de Démosthène sont loin d’être clairs, mais il fut accusé et reconnu coupable de s’être approprié une partie des fonds et fut condamné à verser une amende de 50 talents. Parti en exil après la mort d’Alexandre, en 323, il reprit ses activités en encourageant une résistance commune des Grecs contre la Macédoine et rentra triomphalement à Athènes. Lorsque la défaite de Crannon aboutit à l’éclatement de la coalition grecque, chaque cité signa la paix séparément avec Antipater, le successeur d’Alexandre. Aux termes du traité, Athènes devait livrer à Antipater les principaux agitateurs antimacédoniens. Athènes refusa de s’y plier, et, lorsque l’armée macédonienne marcha sur la cité, Démosthène et ses partisans s’enfuirent. Sur une proposition de Démade, ils furent condamnés à mort. Au lieu de se laisser capturer vivant dans le temple de Calaurie (une petite île située au large de la côte orientale d’Argolide) où il avait trouvé refuge, Démosthène se donna la mort avec du poison. Pausanias, qui visita Athènes au IIe siècle apr. J.-C., résuma ainsi sa vie : « Son trop grand zèle pour Athènes réduisit Démosthène à cette extrémité. À mon sens on a raison de dire qu’un homme qui s’est donné sans compter à la politique, et qui a ajouté foi aux sentiments du peuple ne trouve jamais une fin heureuse. » Soixante et un discours nous sont parvenus sous le nom de Démosthène, mais l’authenticité de certains, notamment les plaidoyers civils, est douteuse. Parmi les discours généralement reconnus comme authentiques, les plus importants sont les suivants.

2. Discours judiciaires. Les premiers discours écrits par Démosthène pour des actions privées sont ceux qui furent prononcés contre Aphobos, son tuteur indélicat, en 363 ; le dernier est le Contre Dionysodoros de 322. Il gagna son procès contre Aphobos mais ne put recouvrir qu’une petite partie de ses biens. Il engagea ensuite, sans succès, une procédure contre Onétor, beau-frère d’Aphobos, qui fut l’occasion de deux discours. Les discours rédigés pour des actions privées portent sur diverses questions : droits miniers, prêts pour le commerce maritime, faux, empiétement. Le Pour Phormion (350) et le Contre Stéphanos (349) concernent le riche banquier Pasion, dont Phormion était le premier employé. Dans le Contre Bœotos (348), Démosthène essaye d’empêcher un fils naturel de prétendre au nom de son demi-frère, enfant légitime. Dans le Contre Midias (347), qui ne fut jamais prononcé, Démosthène attaque un de ses vieux ennemis politiques et personnels qui l’avait giflé lors des Dionysies. L'affaire traîna en longueur et se régla à l’amiable, Démosthène recevant des dommages et intérêts substantiels. Le Contre Conon (341) est un discours brillant et amusant contre Conon et ses fils turbulents, accusés de voies de fait sur un jeune homme rangé. Le Contre Calliclès, de date incertaine, prétend avec quelques touches d’humour que le défendant avait causé l’inondation des terres du plaideur en bloquant un cours d’eau. Le Contre Androtion (355) est le premier discours de Démosthène dans une action publique. Androtion avait proposé de décerner des couronnes aux membres du conseil (boulé) sortant ; Démosthène se range du côté d’un certain Diodôros, une de ses objections étant que le conseil n’avait pas fait construire de navires pendant l’année (comme il aurait dû le faire). Dans le Contre Timocrate (353), Démosthène soutient une nouvelle fois Diodôros dans une affaire de détournement de fonds. Le Contre Aristocrate attaque le politicien Charidème à cause de ses agissements en Thrace. Aucun de ces discours ne fut prononcé par Démosthène, mais il prononça en personne le Contre Leptine. Au vu des difficultés financières d’Athènes, Leptine avait proposé d’abolir toutes les immunités fiscales accordées en récompense aux bienfaiteurs de la cité. Démosthène avance que cette proposition n’est pas de bonne politique et que l’économie ainsi réalisée serait de toute façon négligeable. 3. Les premiers discours sur les affaires publiques. Sur les symmories (354). Depuis 357, les frais de l’équipement des trières (navires de guerre) incombaient aux douze cents citoyens les plus riches, répartis en vingt groupes (symmories), chacun versant la même somme quelle que fût sa fortune. Ce système était injuste et Démosthène propose de le réformer. Il s’oppose en même temps à une guerre contre la Perse, prônée par certains politiciens athéniens, qui serait inopportune dans les circonstances actuelles. Pour les Mégalopolitains (353). Démosthène se fait l’avocat d’une alliance avec Mégalopolis, capitale nouvellement fondée (avec l’aide de Thèbes) d’une confédération arcadienne. Alors que Thèbes était en guerre contre la Phocide (voir sacrées, guerres), Sparte essayait de reprendre le contrôle de l’Arcadie. Par hostilité envers Thèbes, des membres de l’assemblée d’Athènes ne désiraient pas prendre de mesures préjudiciables à Sparte. Démosthène, quant à lui, préconise de maintenir l’équilibre des forces entre Thèbes et Sparte : si cette dernière réduit l’Arcadie, elle deviendra trop puissante. (Les événements ultérieurs semblent montrer que Démosthène exagérait grandement les capacités d’agression de Sparte à l’époque.) Pour la liberté des Rhodiens (351). Rhodes s’était révoltée contre la Ligue athénienne à l’instigation de Mausole (mort en 353), un satrape perse qui était quasi indépendant. Rhodes était dirigée par une oligarchie et les chefs démocrates étaient en exil. Démosthène exhorte les Athéniens à restaurer la démocratie et à jouer leur rôle traditionnel de libérateurs, malgré les complications possibles avec Artémise (veuve et successeur de Mausole) et les Perses. (Démosthène a peut-être sous-estimé à cet égard les dangers d’un différend avec la Perse.)

4. Les Philippiques et les autres discours sur la Macédoine.

Première Philippique (351). La politique d’agression de Philippe en Thrace menaçait non seulement l’approvisionnement en blé d’Athènes et la clérouquie de Chersonèse, mais aussi Olynthe, qui avait signé un traité de paix avec Athènes en 352. Démosthène demande aux Athéniens de se ressaisir et énumère les mesures à prendre : envoi immédiat d’un petit corps expéditionnaire et préparation d’un corps plus important permanent pour contrer les mouvements rapides de Philippe, quelle que soit leur direction. Les citoyens eux-mêmes doivent faire partie de ce corps et ne pas se reposer entièrement sur des mercenaires. Les Olynthiennes (349). Philippe menace de nouveau Olynthe et s’est emparé des autres cités de Chalcidique. En 349, les Olynthiens appellent les Athéniens à l’aide. Dans les trois Olynthiennes, prononcées l’une après l’autre, Démosthène prône un soutien total à Olynthe, et propose que les fonds du théorique (normalement réservés pour les fêtes) soient consacrés à des fins militaires. (Il voulait envoyer une armée citoyenne attaquer Philippe dans le Nord plutôt que d’attendre l’arrivée du roi en Grèce.) Il oppose le civisme des Athéniens d’antan à l’indolence de ses contemporains, encouragée par les distributions publiques faites sans tenir compte des services rendus à la cité. (Trois expéditions athéniennes n’empêchèrent pas Olynthe d’être dévastée par Philippe en 348.) Sur la paix (346). Au milieu de l’année 348, avant la chute d’Olynthe, Démosthène a défendu avec succès Philocratès, qui est sous le coup d’une accusation d’illégalité pour avoir voulu entamer des pourparlers avec Philippe. Démosthène conserva son amitié à Philocratès et participa aux ambassades qui aboutirent à la paix de Philocratès en 346. Mais peu de temps après, Philippe étend ses conquêtes en Thrace, avance en Grèce, soumet la Phocide, et s’assure une place au conseil amphictyonique. Démosthène fait alors tout ce qui est en son pouvoir pour dénoncer la paix, mais, jugeant que la résistance est pour l’heure impossible, il prône dans ce discours une politique pacifiste.

Seconde Philippique (344). Philippe a repris ses opérations en Grèce, consolidé sa position en Thessalie, ainsi que dans le Péloponnèse en soutenant les Argiens et les Messéniens contre Sparte. Démosthène s’est rendu en ambassade à Argos et à Messénie pour les avertir du danger qu’elles couraient à traiter avec Philippe, lequel ne tarde pas à protester. Ce discours est la riposte de Démosthène aux protestations de Philippe. Il y expose les ambitions impériales de Philippe et suggère une lettre de réponse au roi (dont le texte n’a pas été conservé). Sur les forfaitures de l'Ambassade (343). Lors de la paix de Philocratès, un grave différend avait opposé Démosthène à ses collègues ambassadeurs. Aux termes du traité, Athènes et la Macédoine devaient chacune conserver les territoires qu’elles possédaient alors. Étant donné que Philippe était continuellement engagé dans de nouvelles conquêtes, il était essentiel qu’Athènes, une fois qu’elle avait accepté les termes du traité, envoie une seconde ambassade le plus rapidement possible afin de faire ratifier le traité par Philippe. Malgré les protestations de Démosthène, les ambassadeurs firent traîner l’affaire en longueur et, lorsque Philippe ratifia le traité, il s’était emparé de la Thrace. En outre, lors du retour des ambassadeurs à Athènes, Eschine fit un compte rendu si flatteur des intentions de Philippe par rapport aux intérêts athéniens que rassemblée vota le renouvellement du traité avec les descendants de Philippe, laissa le roi occuper les Thermopyles et obtenir la reddition de la Phocide, qui avait auparavant appelé Athènes à l’aide, laquelle avait répondu. En 343, alors qu’à Athènes les esprits étaient échauffés à cause des agressions continuelles de Philippe, Démosthène accusa Eschine d’être responsable des retards qui avaient permis à Philippe d’intervenir en Phocide, et d’avoir fait un rapport mensonger, et il laissa entendre que la corruption expliquait ses prises de position pro-macédoniennes. Par sa réponse (que nous avons conservée ; voir Eschine), Eschine fit pencher le vote en sa faveur, mais de justesse. Sur les affaires de la Chersonèse (341). Dans ce discours, comme dans la Troisième Philippique, Démosthène cherche à mettre un terme à la paix en persuadant les Athéniens qu’elle a déjà été violée par Philippe. Ce dernier était en Thrace, dangereusement près de la Chersonèse, et projetait d’attaquer Byzance. Après la paix de Philocratès, Athènes avait envoyé en Chersonèse des colons sous le commandement de Diopithès. La ville de Cardie refusa de les laisser entrer et Philippe envoya un corps expéditionnaire pour assurer la sécurité de la ville. Diopithès, à qui Athènes n’avait pas alloué suffisamment de fonds, se livra à des opérations de piraterie en plusieurs endroits, entre autres dans le territoire thrace appartenant à Philippe, lequel protesta auprès d’Athènes. Dans son discours, Démosthène pousse ses compatriotes à apporter leur soutien énergique à Diopithès; Philippe, tout en prétendant être en paix, est en train de faire la guerre à Athènes et tous ces gestes visent à détruire celle-ci. Plus on tolère ses agissements, plus il sera difficile de le vaincre. Ce discours se distingue par la passion avec laquelle Démosthène exprime ses sentiments sur l’ambition fondamentale et irrésistible de Philippe.

Troisième Philippique (discours prononcé lui aussi en 341, quelques mois après le précédent). La menace contre la Chersonèse et Byzance se précise et Philippe intervient également en Eu-bée. Démosthène veut réaliser l’union de toutes les cités grecques contre Philippe; il essaye de faire comprendre aux Athéniens l’imminence du danger et propose l’envoi immédiat de troupes. C’est un des meilleurs discours de Démosthène, marqué par la gravité et une profonde inquiétude ; dans un passage fameux, il oppose l’ancien esprit d’Athènes avec sa décadence actuelle. (La Quatrième Philippique, si elle est authentique, fut sans doute prononcée peu de temps après la Troisième.)

Sur la couronne (330). C’est le plus grand discours de Démosthène. La politique préconisée dans la Troisième Philippique fut adoptée dans ses grandes lignes, et la guerre contre Philippe commença en 340, pour se terminer en 338 avec la défaite d’Athènes et de Thèbes à Chéronée (voir supra, 1). D’un point de vue technique, en ce qui concerne l’illégalité de la proposition de Ctésiphon, Eschine avait peut-être raison. Mais l’affaire portait en réalité sur la condamnation par Eschine de la politique de Démosthène, depuis la paix de Philocratès en 346 jusqu’à la défaite de Chéronée en 338. Démosthène défend sa politique point par point et affirme que ses conseils ont toujours été en accord avec les grandes traditions d’Athènes, qui n’a jamais «préféré une sécurité sans gloire aux périls pour la défense de l’honneur». Démosthène se livre aussi à une virulente attaque contre Eschine, tournant en ridicule ses humbles origines (avec peut-être quelques entorses à la vérité), et cherchant à démontrer à partir de certains épisodes de sa carrière qu’il est un traître, corrompu par l’argent de Philippe. Deux passages sont particulièrement célèbres : la description de l’affolement qui régna à Athènes lorsqu’un messager vint annoncer que Philippe se trouvait à Élatée (en Phocide), donc aux portes d’Athènes (§ 169), et l’évocation des Athéniens qui avaient combattu les Perses à Marathon, à Salamine et à Platées, cent cinquante ans auparavant (§ 208). 5. Ce qui fait la grandeur de Démosthène, c’est à la fois sa personnalité, son éloquence, et le patriotisme sincère et visionnaire qu’il exprime sans détours dans une langue simple. Ses discours se distinguent par une passion et une véhémence marquées par une grande variété de tons : la colère, l’ironie, le sarcasme, l’invective; le pathétique et l’humour en sont souvent absents. Son art a ceci de particulier qu’il est à la fois sublime et pratique : il n’y a pas d’éloquence pour le plaisir de l’éloquence; tout ce qu’il dit est destiné à convaincre ses auditeurs, mais sous une forme calculée pour entraîner l’adhésion d’un public populaire. On lui reproche parfois le côté artificiel et le caractère sophistique de certains de ses arguments. Mais son argumentation et l’organisation des sujets, bien que souvent complexes, sont clairs et irrésistibles. Il écrit dans un attique pur, avec d’audacieuses métaphores, peu nombreuses mais utilisées à bon escient, et affectionne les exemples vivants : dans leur guerre contre Philippe, les Athéniens se conduisent comme des pugilistes barbares : «Dès qu’un d’eux a reçu un coup quelque part, il y porte la main ; on le frappe ailleurs, ses mains vont où va le coup; quant à parer, à regarder venir, il ne le sait pas, il n’y pense pas» (Première Philippique, § 40). Il préparait méticuleusement ses discours mais leur style tend à dissimuler ce fait, de longues périodes étant souvent suivies de phrases courtes et concises, qui donnent une impression de spontanéité. Dans tous ses discours, Démosthène évitait délibérément le hiatus (le fait de placer un mot se terminant par une voyelle juste avant un autre commençant par une voyelle), sauf lorsque c’était inévitable, comme lorsqu’il y avait un «ou» (ê) ou bien un « et » (kai) ; dans ses premiers discours, il obéissait strictement à cette règle. Pour des raisons d’euphonie encore, il évitait autant que possible les successions de plus de deux syllabes courtes (voir prosodie). L’éloquence de Démosthène fut étudiée par tous les orateurs ultérieurs, notamment par Cicéron, qui donna le titre de « Philippiques » à ses discours contre Antoine; ce mot fut ensuite adopté pour désigner les invectives politiques. Quintilien pensait que tous ceux qui se destinaient à être orateurs devaient non seulement étudier les discours de Démosthène mais aussi les apprendre par cœur ; Longin admirait son intensité et son excellence. À une époque relativement récente, les discours de Démosthène ont servi indirectement à exhorter à la résistance politique contre l’oppression.




Démosthène, orateur (Athènes 384-Calaurie 322 av. J.-C.). Son père, appelé aussi Démosthène, du dème de Pænia, était un riche « industriel » mais il mourut quand Démosthène avant sept ans et ses tuteurs dilapidèrent ses biens. Il suivit les cours d’éloquence de l’orateur Isée et commença par attaquer Aphobes, un de ses tuteurs, qui fut condamné. Fort de son succès, il s’établit comme logographe et acquit par là une grande réputation. Il entra alors dans la vie politique en défendant les démocrates bannis de Rhodes (351), puis, se tournant vers le danger immédiat qu’était l’ambition de la Macédoine, il se donna pour tâche de dénoncer inlassablement les ambitions de Philippe II et la menace qu’il faisait peser sur Athènes. Dans chacun de ses actes conquérants, Philippe trouva devant lui Démosthène, qui, inlassablement, par ses discours souleva les ultimes énergies des Athéniens contre l’impérialisme macédonien; dans ce combat inégal, Démosthène fut toujours vaincu, mais jamais abattu. Avec Hypéride, il fut le chef du parti démocratique anti-macédonien, mais à l’intérieur, il avait à lutter contre l’inertie des Athéniens, contre les intrigues de ses adversaires, et surtout d’Eschine, rival plein de talent et constant défenseur des actions de Philippe. La défaite de Chéronée (338) ne le laissa pas en repos, et la mort de Philippe vint promptement ranimer son énergie. Cependant, la destruction de Thèbes arrêta cet élan. Pendant toute la vie d’Alexandre, l’action de Démosthène ne se fera plus sentir hors d’Athènes, où il continua de lutter contre Eschine, qui fut exilé. Quelques années plus tard, ce fut lui-même qui dut s'exiler, car il ne pouvait payer l’amende à laquelle il avait été condamné pour avoir accepté de l’or d’Harpales, lieutenant d’Alexandre, traître à son souverain (325). Deux ans après, à la mort d’Alexandre, les cités grecques se soulevèrent et Démosthène fut rappelé. Cette nouvelle flambée de patriotisme fut définitivement écrasée par Antipatros et par Cratère à Crannon. Démosthène, que son génie avait protégé quand ses ennemis avaient l’envergure de Philippe ou d’Alexandre, ne se trouva plus que devant des soldats rustres et bornés ; il s’enfuit devant les spadassins d'Antipatros, qui le poursuivirent jusqu’à Calaurie, où il se réfugia dans le temple de Poséidon; il s’empoisonna pour ne pas tomber entre les mains de ses ennemis.



Orateur et homme politique athénien. Toute sa vie fut consacrée à la défense de l'indépendance de la cité, d'abord menacée par l'ambition de Philippe de Macédoine, contre lequel il prononça les Philippiques (351, 344 et 341 av. J.-C.) et les Olynthiennes (349/48). Accusé de concussion, Démosthène dut s'exiler (324). Rentré à Athènes en 323, après la mort d'Alexandre, maître de la Grèce depuis sa victoire sur Thèbes en 335, Démosthène contribua au soulèvement (322) contre Antipater, régent de Macédoine ; la révolte vaincue, Démosthène s'empoisonna pour échapper aux soldats de son ennemi.

Liens utiles