Databac

délibératif

Le genre délibératif est un des trois grands genres de l’éloquence. Il est défini par une matière du discours : le caractère opportun ou inopportun d’une décision à prendre, de la part de particuliers ou de corps constitutés, touchant aussi bien les positions idéologiques, que la morale et ses enjeux les plus concrets dans l’action. Le genre délibératif envisage aussi ce qu’on appellerait aujourd’hui les conditions de faisabilité de l’éventuelle entreprise, en y incluant la considération des mœurs des personnes concernées. De multiples œuvres littéraires sont bâties, en tout ou en partie, sur le traitement de ce genre ; par exemple tout le début de l’Iphigénie de Racine, du point de vue du personnage d’Agamemnon.

Aristote a systématisé le fonctionnement de ce genre. Dans le délibératif, on conseille et l’on déconseille; le temps considéré est l’avenir ; la fin est en gros l’utile et le nuisible. La fin est si importante que l’orateur qui délibère peut éventuellement contester ou mettre en question n’importe quoi, mais jamais la visée avantageuse de sa délibération. Sur quoi peut-il y avoir délibération ? On conseille sur ce qui s’inscrit dans le cadre possibilité-impossibilité, ce qui exclut les choses inévitables comme les choses absolument impossibles, de même que ce qui dépend du pur hasard. Nous délibérons donc uniquement sur ce qui dépend de nous et qui est faisable.

Aristote distingue un certain nombre de sujets de délibérations : les revenus, la guerre et la paix, la protection de son pays, le commerce et le régime légal. On remarque que ce sont tous des sujets publics. Pour les revenus, il faut avoir une connaissance complète de la situation financière de son pays et de celle des autres pays, aussi bien de l’état factuel que des diverses méthodes de gestion. Sur la guerre et la paix, il faut de même avoir des connaissances précises de tous les rapports de forces sur le plan international, en géopolitique comme en technique militaire, sans négliger les leçons de l’histoire. Il importe de connaître exactement l’état matériel et psychologique des éventuels défenseurs ou agresseurs de son pays. Pour le commerce, il est capital d’avoir une vision globale des productions et des consommations, de même que des circuits de distribution, ainsi que des relations internationales, pour gérer judicieusement les affaires étrangères. En ce qui concerne le régime légal, il importe d’avoir surtout une formation à la fois de généraliste et, pourrait-on dire, de constitutionnaliste ou de publiciste, notamment en législation comparée des États, appuyée sur les informations rapportées de l’histoire et du parcours du monde. On peut considérer que ces sujets sont fortement limités (si l’on ose dire : car le champ est immense) au domaine public ; Quintilien étend pour sa part le sujet du délibératif bien au-delà. On élargira donc la pratique délibérative au domaine privé, dans la mesure où celui-ci accepte une mise en forme discursive qui implique une réception minimale des propos; cette exigence relationnelle de la délibération rhétorique érige ainsi forcément le sujet discuté à un certain niveau d’importance, ne serait-ce que dans la mise en forme verbale de la délibération. C’est ce qui se passe en littérature. Quelle est la fin générale qui oriente toute délibération, par quoi se détermine la question de l’opportun et de l’inopportun ? Aristote répond d’une manière à la fois claire et profonde, en tout cas la plus forte possible : c’est le bonheur. On peut dire que chaque homme en particulier et tous les hommes en général ont un but où ils tendent dans leurs préférences comme dans leurs aversions. C’est, pour tout dire d’un mot, le bonheur et les parties du bonheur. Il faut donc définir le bonheur : vivre agréablement dans la vertu, avec commodité, sécurité, prospérité et jouissance paisible d’un grand nombre de biens (dont la santé). Quelles sont les parties du bonheur ? On peut essayer de résumer ce que la plupart des hommes y voient. En voici d’abord une énumération : la noblesse de naissance, le grand nombre et l’honnêteté des amis, la richesse, le mérite et le grand nombre d’enfants, la belle vieillesse, et, en outre, les vertus corporelles comme la santé, la beauté, la vigueur, la taille, l’aptitude au combat; la réputation, les honneurs, la chance, la vertu. L’idéal serait d’être également comblé de biens extérieurs et de biens intérieurs ; on voudrait aussi avoir du pouvoir et de la chance. Quelques précisions sur ces parties du bonheur. La noblesse de naissance est bien sûr l’ancienneté de la maison : mais aussi sa qualité, sa légitimité, et, surtout, l’illustration d’un grand nombre de membres. La question des enfants est cruciale : non seulement leur grande quantité, vitale pour le pays, mais aussi leur santé, leur beauté physique, leur intelligence, leur courage, leur force, leur goût du travail et de la vertu. La richesse est d’origine économique : c’est disposer d’un grand nombre d’instruments politiques et économiques. Il s’agit de disposer effectivement d’un grand nombre de biens immeubles et meubles et, surtout, de biens fructueux, permettant de garantir des jouissances importantes et assurées ; en général, être riche consiste plutôt à user qu’à posséder : car la richesse est l’exercice et l’usage de ces biens. La bonne réputation consiste à être tenu par tous pour un honnête homme, à avoir un avantage désirable par tous les hommes, ou par la plupart, ou par les gens de bien ou de sens. Les véritables honneurs sont le signe, la consécration et la manifestation d’une grande reconnaissance à l’encontre d’une personne qui est ainsi considérée comme un bienfaiteur de l’humanité : tel doit être du moins l’idéal de l’honneur public. En fait, trop souvent les honneurs ne sont attribués, à l’égard de prétextes peu considérables, qu’en raison de circonstances qui en relativisent l’appréciation. Quoi qu’il en soit, l’honneur prend toujours, dans le fond, la forme d’un don.

Les vertus corporelles sont la santé, la beauté, la vigueur, la taille et l’aptitude à tous les sports, y compris les arts martiaux. L’important est de bien distinguer ces qualités et ces dispositions selon les âges et selon les sexes; on notera l’insistance d’Aristote sur la beauté relative correspondant à ces divers avantages, selon les moments de la vie. On en arrive ainsi à la belle vieillesse, qui est certainement une des conditions du bonheur les plus caractéristiques de son approche rhétorique. Ce concept en effet est impensable en dehors d’un contexte de civilisation extrêmement raffiné, puisqu’il est entièrement culturel : il s’agit non seulement de vivre longtemps et en bonne santé, mais aussi de n’être à la charge de personne et de pouvoir jouir du maximum de plaisirs. Il en est de même pour les amis : l’ami est celui qui est poussé à faire pour un autre et dans l’intérêt de cet autre ce que l’on croit bon pour lui ; c’est un bonheur d’avoir à son égard beaucoup de personnes ainsi disposées, d’autant plus qu’elles seront plus vertueuses. Les dernières parties du bonheur commentées par Aristote font réfléchir : c’est la vertu et la chance. Il réserve le traitement de la vertu à propos du genre démonstratif. Ce geste souligne l’aspect radical et technique de la rhétorique, ainsi que son fonctionnement autonome dans le genre délibératif ; il n’en est pas moins important de noter qu’au moins à titre de principe, la vertu est une des composantes du bonheur. C’est justement par rapport à cette mise en perspective qu’il convient de situer les explications d’Aristote sur cette ultime composante qu’est la chance. Celle-ci se confond sous l’appellation de la fortune. On obtient ainsi des biens qui peuvent être produits par l’art et la technique, et que l’on obtient sans l’effort de l’art ni de la technique, et des biens qui, tout naturels qu’ils sont, ne nous arrivent pas naturellement du tout : ainsi la beauté ou la taille, ou encore trouver un trésor alors que d’autres ne trouvent rien, ou échapper à un sort affreux en ne venant pas exceptionnellement en telle occasion à tel endroit où d’autres, y venant au contraire exceptionnellement, succombent alors dans l’horreur. C’est évidemment la chance qui suscite le plus l’envie. Le bonheur et ses parties étant délimités, il faut indiquer comment y parvenir, et, pour cela, parcourir les principaux lieux spécifiques de cette fin. La délibération en effet ne porte pas sur la fin, mais sur les moyens : non pas sur l’opportun ni l’utile en soi, mais sur ce qui permet d’y atteindre. Il s’agit de l’utile dans les actions, en tant que l’utile est un bien. Il faut donc connaître les lieux du bien. Le bien est ce qui est préférable en soi et par soi, ce que désirent tous les êtres qui possèdent sensibilité et raison ; tout ce que la raison universelle assignerait à chacun, et tout ce que la raison individuelle assigne à chacun en chaque cas particulier. De même, ce qui met en état d’être bien et de se suffire, ce qui produit ou conserve ces biens, ce dont ces biens sont la suite, ce qui peut empêcher ou détruire leurs contraires. Il s’ensuit que l’acquisition des choses bonnes est bonne, ainsi que la perte des choses mauvaises. Il en est de même de l’acquisition d’un plus grand bien à la place d’un moindre, et d’un mal moindre à la place d’un plus grand. Les vertus aussi sont nécessairement un bien : en les possédant, on est dans la disposition au bonheur ; de plus, elles sont pratiques, productrices de biens. Le plaisir aussi est un bien : tous les êtres vivants en ont naturellement le désir. Les choses agréables et les choses belles sont donc nécessairement des biens : les premières sont productrices de plaisir, les secondes sont ou agréables ou préférables en soi.

Voici à peu près la liste des biens quasi universellement admis comme bien. Le bonheur, comme archi-bien : il est préférable en lui-même et se suffit à lui-même ; il est la fin de toutes les actions morales. La justice, le courage, la sagesse, la magnanimité, la magnificence, et toutes les autres dispositions de ce genre : ce sont les vertus de l’âme. La santé, la beauté, et les qualités de ce genre : ce sont les vertus du corps, productrices de nombreux biens; par exemple, la santé est productrice de plaisir et de la vie, c’est la raison pour laquelle on la regarde comme le meilleur des biens, dans la mesure où elle est cause des deux biens qui sont généralement le plus estimés, le plaisir et la vie. La richesse : c’est, en effet, la vertu éminente de la propriété et elle peut produire beaucoup de biens. Les amis et l’amitié : un ami est désirable en soi et il peut produire de nombreux biens. Les honneurs, la gloire : choses agréables et productrices de biens nombreux, qui entraînent la possession de biens liés aux motifs d’honneur. La faculté de parler, d’agir : toutes productrices de beaucoup de biens. En outre, les dons naturels, la mémoire, l’intelligence, la vivacité d’esprit, et toutes les qualités de ce genre : toutes ces facultés produisent des biens. De même toutes les sciences et toutes les techniques. Et vivre : quand aucun autre bien ne s’ensuivrait, ce n’en est pas moins un bien désirable en soi. La justice, si utile à la vie sociale.

Lieux des biens contestables. Sont des biens : ce dont le contraire est un mal. Ce dont le contraire est avantageux pour nos ennemis ; par exemple, si les ennemis ont intérêt à ce que l’on soit lâche, il est évident que le courage est utile à la cité ; donc, en général, le contraire de ce qui est souhaitable par nos ennemis. Mais ce lieu est incertain : il arrive qu’une même chose soit désirable par deux adversaires (on dit inversement en effet que les malheurs rapprochent les hommes). Est un bien ce qui n’est pas un excès et un mal ce qui est plus grand qu’il ne faudrait. Ce qui a causé beaucoup de peine ou de dépense : car cela paraissait déjà un bien, comme fin. Ce que la plupart désirent, et qui paraît digne d’être disputé. Ce qui est objet de louange : personne ne loue ce qui n’est pas bon. Ce que louent les ennemis, d’autant plus que même ceux qui peuvent avoir à se plaindre d’une chose la louent. Ce qu’a jugé préférable une personne sage ou une personne vertueuse. Généralement, tout ce que l’on préfère : le bon pour soi, le mauvais pour l’adversaire, et l’ensemble du possible. Dans cette dernière catégorie, il y a ce qui peut arriver et ce qui arrive facilement, c’est-à-dire sans peine et en peu de temps. Et ce qui arrive selon qu’on le désire : on désire ce qui n’est pas un mal du tout, ou qui est un mal inférieur au bien escompté, ou l’éventualité d’un châtiment inconnu ou léger.

Les choses que nous possédons en propre, que personne ne possède, ou qui sont extraordinaires : l’honneur en est plus grand. Celles qui nous sont adaptées : qui nous reviennent en raison de notre naissance ou de notre puissance. Toutes celles où la plupart des gens, ou nos égaux, ou nos inférieurs ont réussi. Celles qui font plaisir à nos amis, ou celles qui sont odieuses à nos ennemis. Celles qu’ont l’intention de faire ceux que nous admirons. Celles pour lesquelles on est doué et expérimenté : on croit que ce sera facile. Celles que ne ferait pas un homme vil : elles sont d’autant plus louables. Celles que nous avons désirées avant de les obtenir : elles ne nous paraissent pas seulement agréables, mais meilleures. Et en règle générale, au plus haut degré, ce vers quoi chacun est le plus porté : la victoire pour ceux qui aiment gagner, les honneurs pour ceux qui les aiment par-dessus tout, ou, pour d’autres, l’argent, et ainsi à l’avenant pour chacun selon son goût dominant.

Il convient aussi de considérer le bien et l’opportun sous l’angle de la relativité, c’est-à-dire par rapport au lieu du plus et du moins. Quant à l’objet proprement politique des délibérations, il concerne évidemment l’intérêt public : il faut connaître chaque régime économique et constitutionnel, pour pouvoir conseiller avec pértinence à ce propos. N’oublions pas que la fin des délibérations en ce domaine est la conservation du régime, ce qui regarde principalement la forme de la souveraineté exercée en chaque situation, et le but essentiel visé par chaque type : par exemple la liberté, pour la démocratie. N’oublions pas non plus que les hommes sont persuadés par le seul intérêt, et que c’est l’intérêt seul qui garantit la sauvegarde et la pérennité des régimes. On n’est d’ailleurs crédible en la matière que si l’on paraît avoir un caractère conforme aux mœurs du régime concerné. D’un autre point de vue, on remarquera, non sans amertume, que le délibératif devrait aussi considérer la question de ce qui est louable, si les hommes étaient des anges, c’est-à-dire toujours vertueux, car ainsi l’opportun se confondrait nécessairement avec l’honorable ; mais il n’en est rien, ce qui d’ailleurs légitime l’absolue spécificité du genre démonstratif. Concrètement, il vaut mieux un exorde assez court. On peut parfois se passer de narration, car en principe on sait bien de quoi il s’agit quand on cherche conseil ; mais sur les affaires publiques, surtout devant un auditoire populaire, des narrations vives et pathétiques peuvent être les bienvenues, pour frapper les imaginations et influencer ainsi la décision. Reste que c’est l’opinion que l’on se fera du caractère de l’orateur qui demeure déterminante. Il est vrai que l’on distingue quelquefois trois axes de réflexions dans le délibératif : l’affaire délibérée, la personne qui consulte, celle qui donne le conseil.

Pour l’affaire, ou on est sûr qu’elle est faisable, ou on n’en est pas sûr, quelle que soit son utilité éventuelle, et sous réserve de tous les considérants de circonstances et de conjonctures qui peuvent en faire varier les données. On envisage les causes immédiates et les causes secondaires, comme les conséquences immédiates et celles qui sont indirectes ; on essaie de bien séparer le principal des épiphénomènes. Il ne faut pas oublier que tout est relatif au temps, au lieu, aux personnes, et à l’ensemble des circonstances. Quintilien insiste particulièrement sur les rapports de l'honnête et de l’utile.

Quelques-uns distinguent trois motifs de persuasion : ce qui est honnête, ce qui est utile et ce qui nécessaire. On doit retrancher le troisième : car, à quelque épreuve que l’on nous mette, on peut bien nous tourmenter, mais non nous obliger à agir malgré nous; on appelle donc contrainte ou nécessité ce que nous faisons pour éviter un plus grand mal. Mais, à proprement parler, c’est raison d’intérêt, et non de nécessité. Par exemple, une armée formidable assiège une place; la garnison, affaiblie par de fréquentes sorties, et réduite à l’extrémité, délibère de se rendre : on tient conseil de guerre et l’on dit qu ’il faut nécessairement se rendre. Pourquoi ? parce qu ’autrement, il faut périr. Ce n ’est donc pas une nécessité pour cette raison même, puisqu ’il est permis de vouloir périr, plutôt que de se rendre.

Il n’y a donc délibération qu’en situation de possible. Quelques-uns veulent qu’on délibère aussi parfois uniquement en fonction du plaisir : mais on trouve toujours un moyen de situer l’orientation du débat sous l’angle du profitable ou du digne. De même quand on est contraint de conseiller l’utile au détriment de l’honnête : il est convenable de trouver des couleurs honorables qui camouflent l’expression de la réalité; en sens inverse, quand le conseil aboutit à suggérer un choix honnête au détriment trop évident d’une utilité immédiate (comme de résister à mort plutôt que de se rendre), on voilera ce conseil sous des raisons d’utilité bien comprise (comme le moyen d’éviter une mort plus atroce). On peut aller jusqu’à jouer sur les mots, en les permutant. Si l’honnête doit être absolument privilégié, on appellera honnête tout ce qui est opportun ; si l’on s’attache exclusivement à l’opportunité, on appellera ambition, vanité, chimère tout ce qui est gloire et honneur.

Quant aux personnes que l’on conseille, on ne tiendra jamais assez compte de ce qu’elles sont et de leurs mœurs, pour adapter son conseil. Ce qu’il faut principalement observer ici, ce sont les bienséances. Ainsi, quoique l’exemple soit d’un grand poids, parce que rien ne détermine autant les hommes à faire telle chose que de leur montrer que d’autres l’ont faite avant eux et s’en sont bien trouvés, encore est-il bon de voir quels exemples on cite, et à qui on les cite, car les esprits ne sont pas tous disposés de la même façon. Ou ce sont plusieurs personnes assemblées en corps constitué qui délibèrent, ou ce sont des particuliers. On aura donc égard au sexe, à l’âge, à la dignité des personnes, et surtout à leurs mœurs, qui sont capitales. La vertu se persuade aisément à qui aime la vertu; mais il sera difficile de la faire choisir à des gens vicieux et corrompus. Pour y réussir néanmoins, il faut d’abord éviter le reproche de la vertu même, se donner garde de leur faire sentir le peu d’estime que l’on a pour eux. Ensuite, on les engagera à faire le bien, non pour l’amour du bien, dont ils se moquent, mais par le désir de la gloire, le soin de leur réputation, leur intérêt matériel, la crainte du châtiment et des malheurs, qui est sans doute le sentiment le plus fort. On peut donc être entraîné à conseiller des choses malhonnêtes à des gens honnêtes ; ce scandale, que Quintilien prend à bras le corps, est éclairé par la considération de l’obligation où l’on est de connaître les ruses des malins (comme de couvrir sous de spécieux prétextes et de belles paroles des actions et des motifs inavouables) pour pouvoir les déjouer et s’y opposer. En ces circonstances où une fin supérieure implique quelque bassesse ou quelque indignité, il faut absolument donner de belles couleurs aux desseins les plus criminels, surtout si on a affaire à des interlocuteurs spécialement chatouilleux quant au point d’honneur. Mais il n’est pas question de pousser qui que ce soit à rien faire contre son devoir. Plus qu’un conflit entre, d’un côté, le sentiment et la revendication absolus de la plus haute moralité dans la hiérarchie des valeurs, et, d’un autre côté, la conscience et l’affirmation d’un radicalisme et d’une autonomie techniques non moins absolus de la rhétorique, on verra là le problème des rapports entre les fins et les moyens, et celui de la responsabilité des bénéficiaires de la délibération.

Le caractère de celui qui conseille engage aussi un certain ton dans ses propos : il doit soutenir son image, qui en même temps peut beaucoup servir à autoriser son discours. Dans l’ensemble, un ton honnête et modéré est le plus adapté à ce genre, dont on trouvera au demeurant de bons exemples, mi-authentiques mi-littéraires, dans l’historiographie.

=> Éloquence, orateur, oratoire; genre; démonstratif judiciaire; exorde, narration; moeurs, bienséances, honnête, autorité; lieu.

Liens utiles