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Croissance démographique et développement durable

Croissance démographique et développement durable   Le phénomène de croissance rapide qu'a connu la population mondiale au cours du XXe siècle a nourri des discours catastrophistes, annonçant la généralisation des situations de très grande pauvreté, voire la multiplication des famines et des épidémies. Dans les années soixante-dix, l'accent a surtout été mis sur la croissance indéfinie (la référence à "la maudite exponentielle" était fréquente), qui conduisait inévitablement, à plus ou moins long terme, à une densité d'un habitant au mètre carré sur l'ensemble du globe! Dans les années quatre-vingt-dix, la forte augmentation de la population a souvent été rendue responsable de l'ensemble des problèmes de développement. Il est vrai que, dans les années 1965-1970, le rythme de croissance de la population mondiale dépassait 2% par an, ce qui signifiait un doublement du nombre des hommes sur la planète en moins de trente-cinq ans. Il est également vrai qu'un milliard d'habitants peuplaient la planète au début du XIXe siècle et que le chiffre de 6 milliards sera atteint avant la fin du XXe siècle, la population devant vraisemblablement continuer à croître jusqu'à 12 milliards dans deux siècles. Enfin, il est vrai que c'est dans les pays les plus pauvres que la croissance démographique est la plus forte. Dans bon nombre d'États de l'Afrique subsaharienne, la population augmente au rythme annuel de 3% par an (doublement en moins de vingt-quatre ans), aggravant les problèmes de nourriture, d'espace, d'éducation, de santé ou d'emploi (estimations pour 1990-1995). Mais si la croissance démographique rapide rend plus intenses les défis auxquels sont confrontés les pays en développement, il n'est pas inutile de rappeler que celle-ci résulte avant tout des progrès considérables accomplis dans la lutte contre la mortalité et qu'en ce sens elle traduit une amélioration du sort des populations. Par ailleurs, le rythme de croissance de la population mondiale s'est ralenti puisqu'il n'était plus que de 1,6% dans la période 1990-1995 (contre 2,1% en 1960-1965). A très long terme, la stabilisation apparaît possible. Enfin, cette croissance rapide est tout autant la conséquence que l'une des causes des difficultés des pays à se développer. Une équation complexe et des situations diverses Depuis l'économiste Thomas Robert Malthus (1766-1834), de nombreux auteurs ont affirmé, ou essayé de prouver, qu'une augmentation de la population compromettait nécessairement toute élévation du niveau de vie. Les recherches postulant une corrélation négative, c'est-à-dire une relation inverse entre croissance démographique et croissance économique, se sont multipliées sans aboutir à des conclusions simples et irréfutables. L'analyse statistique conjoncturelle ne saurait, en tout état de cause, rendre compte de processus complexes s'inscrivant dans la durée. L'économiste et historienne Ester Boserup (née en 1910) a repoussé l'argumentation malthusienne en affirmant que la croissance de la population pouvait être l'un des moteurs du développement, par l'adoption de techniques de culture plus efficaces qu'elle rend indispensable. Mais le modèle boserupien n'apparaît pas plus général que celui de Malthus. Il existe des situations malthusiennes et des situations boserupiennes, et, au cours de son histoire, un même pays peut connaître les deux. Le progrès technique a permis de concilier augmentation de la population d'une part, accroissement de la production alimentaire, du revenu par habitant ou du niveau de vie d'autre part. Les "révolutions vertes" (accroissement des rendements par sélection de nouvelles variétés de céréales et fertilisation des sols) ont ainsi permis une augmentation de la production alimentaire par habitant dans des pays comme le Mexique où la croissance démographique a été particulièrement rapide. Quant à la question de savoir si le progrès technique est de nature endogène (stimulé, notamment, par la croissance de la population via l'augmentation du "capital humain") ou exogène (indépendante de celle-ci), elle nourrit de difficiles débats d'experts. La complexité des relations entre population et développement provient simultanément de l'interdépendance entre différentes composantes du développement - elles forment un système - et de l'existence d'une forte diversité des situations nationales. Du fait des interactions entre fécondité, mortalité, mobilité, éducation, emploi, statut des femmes..., il apparaît illusoire de vouloir agir exclusivement sur une variable. Tout change ou doit changer en même temps: améliorer le statut des femmes n'est possible que si la fécondité diminue et si l'éducation augmente; une baisse de la fécondité et des progrès de l'éducation féminine contribuent à l'amélioration du statut des femmes, le développement de l'éducation est généralement associé à l'urbanisation... L'hétérogénéité des pays au regard du développement est trop souvent sous-estimée. Le continent africain présente certaines spécificités, mais d'importants contrastes existent dans la nature des sols, les richesses du sous-sol, le climat, les religions... C'est pourquoi les théories récentes s'efforcent de mieux tenir compte des "conditions locales". Le développement apparaît aujourd'hui comme un impératif absolu pour les deux tiers de l'humanité, mais le concept même de développement est sujet à évolution. Définir le développement Le développement a longtemps été assimilé à une stricte croissance économique mesurée par le PNB ou le PIB par habitant. Il est assez rapidement apparu qu'au-delà des critiques formulées sur la pertinence de ces indicateurs pour mesurer le niveau de vie d'une population, l'utilisation d'une valeur moyenne sans préciser la dispersion autour de cette moyenne présentait des inconvénients notables: si la croissance économique s'accompagne d'une plus forte inégalité des revenus, il est impossible de conclure que le bien-être d'une population augmente. Le développement ne se réduit par ailleurs pas à la seule dimension du développement économique. Différents efforts ont été engagés pour élargir et préciser cette notion de développement. Le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) se réfère ainsi au concept de développement "humain" et tente de le mesurer par un indicateur, l'IDH, combinant durée de vie moyenne, niveau d'éducation et revenus La CNUED (Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement), qui s'est tenue à Rio de Janeiro en 1992, a popularisé le concept de développement "durable", c'est-à-dire respectueux des êtres humains mais aussi de l'avenir de la Terre. Définir un cadre d'action permettant de concilier croissance démographique, développement des pays pauvres et respect de l'environnement était l'objet de la conférence du Caire, qui, à certains égards, entendait prolonger celle de Rio. Le programme d'action du Caire En septembre 1994, les Nations unies ont organisé au Caire une Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) réunissant quelque 180 États, qui se sont entendus sur un programme d'action commun pour la prochaine décennie. Au Caire - la presse s'en est largement fait l'écho - les discussions ont porté presque exclusivement sur l'avortement, la sexualité et la famille, en raison de l'hostilité du Vatican et de certains pays musulmans à la rédaction initiale du texte. Le programme d'action finalement adopté a cependant abordé les problèmes de population de manière beaucoup plus globale, en insistant sur la nécessité de concilier croissance économique soutenue et développement durable, de promouvoir l'égalité des sexes et de renforcer le pouvoir des femmes, enfin de veiller à ce que l'éducation se généralise... Il restait ensuite à traduire ce programme en actions concrètes susceptibles d'améliorer véritablement la qualité de vie des populations.


Quelques faux débats Les discussions sur la question de la population mondiale et du développement nourrissent régulièrement de faux débats dont voici quatre exemples. Une "croissance zéro" aujourd'hui ou à terme ? Même si la fécondité diminuait brutalement pour se situer de manière immédiate au niveau du remplacement, la stabilisation de la population mondiale demanderait du temps. Il existe une forte inertie (un élan de la croissance passée), liée à une structure par âge jeune (poids important des femmes en âge d'enfanter) interdisant toute croissance zéro immédiate. Les Nations unies considèrent dans leurs perspectives à long terme qu'il faudrait attendre l'an 2150 pour voir s'amorcer la stabilisation de la population mondiale. Planification familiale ou développement ? Depuis la conférence de Bucarest de 1974, où s'étaient affrontés pays du Sud et du Nord sur les priorités en termes de population et de développement, l'opposition entre les tenants du préalable d'une politique de limitation des naissances et ceux du préalable du développement revient régulièrement. Pour les premiers, il existerait une demande de contraception insatisfaite et la satisfaire suffirait à faire baisser la fécondité. Pour les seconds, sans développement réel, il n'y aurait aucune incitation à réduire la taille des familles (la rationalité d'une forte fécondité demeurerait). En réalité, ces approches ne sont pas opposées mais complémentaires, dans la mesure où la baisse de la fécondité n'allège la contrainte démographique qu'à terme; il doit y avoir une réponse immédiate, en termes de développement, aux défis démographiques actuels. Capital physique ou capital humain ? La forte croissance de la population réduirait le montant des investissements économiques (productifs) au profit des investissements démographiques (servant seulement à maintenir les niveaux d'éducation et l'état de santé de la population). Toute croissance démographique aurait donc des effets négatifs sur la croissance économique. Or l'exemple de plusieurs pays d'Asie de l'Est ou du Sud-Est ayant misé sur le capital humain montre que l'éducation des populations est un facteur de croissance économique tout autant que la disponibilité en capital physique. Population ou consommation ? Dans les débats sur le thème population et environnement, la croissance démographique rapide des pays du Sud est accusée d'être la première responsable de la dégradation de l'environnement. A cela, le Sud répond que le Nord pollue plus, en raison des consommations par tête excessives. En réalité, les effets population et consommation sont tous deux en cause (avec l'effet technologie) et sont multiplicatifs: si tous les habitants du Sud se mettent dans l'avenir à consommer comme ceux du Nord, la dégradation de l'environnement sera extrême. Il faut, par conséquent, inventer un nouveau modèle de développement.

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