Critique du droit naturel
Critique du droit naturel : L'idéalisme s'expose à des objections. On peut contester qu'il existe une Idée de juste, ou un droit naturel. On peut faire observer qu'à supposer l'existence de quelque chose de cet ordre, nous ne disposons pas des moyens de différencier à coup sûr ce qui est juste de ce qui est injuste, ainsi qu'en témoigne la divergence des opinions à ce sujet. Et l'on peut douter de la capacité des hommes à s'accorder entre deux, dans la représentation du juste et de l'injuste.
Si l'on va jusqu'au bout de ces objections, on n’arrive à la conclusion qu'il faut renoncer à évaluer le droit positif au nom d'une supranorme idéale ou naturelle. On accordera donc par principe la légitimité et la validité juridiques au droit positif, quel que soit son contenu. On appelle « positivisme juridique » la doctrine qui justifie inconditionnellement le droit positif, et ne fonde pas le droit positif sur autre chose que l'acte de son institution par une autorité compétente.
Les Sociologues de même nient le droit naturel : « Chacun a des devoirs et envers tous, disait déjà Comte, mais personne n'a aucun droit proprement dit». Dans l'homme «tel qu'il se présente à l'analyse empirique», remarque Durkheim, on ne trouve rien qui lui confère des droits; «cette espèce d'auréole de sainteté qui entoure l'homme et qui le protège contre les empiétements sacrilèges, l'homme ne la possède pas naturellement». C'est donc la société seule qui peut donner des droits à l'homme. «Les mœurs ne s'opposent pas au droit mais au contraire en sont la base», car les droits que la société confère à l'homme sont ceux qui répondent aux exigences de la vie sociale. Ce qui fait mon droit, c'est le devoir du voisin. Le fondement du droit se trouve finalement dans l'utilité sociale; pas plus que pour Hobbes, l'individu ne peut, pour les Sociologues, revendiquer son droit contre la société à laquelle il appartient.
Un représentant éminent du positivisme/réalisme, Hans Kelsen (mort en 1973) estime qu'on peut certes critiquer une loi positive au nom d'une idée du juste, mais qu'il peut exister autant d'idées du juste que d'individus : il ne serait donc jamais permis de considérer comme non valable un élément d'une législation positive, sous peine de replonger dans le règne de l'arbitraire individuel. Le droit ne peut être que positif et effectif, et non pas naturel ou idéal – un ordre juridique n’est valide qu’à la condition qu’il soit appliqué et suivi, c’est-à-dire efficace. Ce positivisme débouche sur un relativisme et un légalisme: «tout ce n'est pas contraire au droit est licite».
Antigone, dans la tragédie de Sophocle, agit en idéaliste quand elle brave l'interdiction de Créon (qui agit en positiviste) d'ensevelir son frère Polynice, au nom de ce qu'elle considère comme des devoirs plus fondamentaux, familiaux ou religieux. Aristote estime qu'elle désobéit à une loi particulière, au nom d'une loi plus puissante, naturelle, commune à tous et éternelle («Rhétorique» ; I, 13).
Antigone n’appelle pas au désordre, mais montre sa désobéissance à l’oppression au nom du recouvrement de la dignité. Il y a de ce fait une infraction intentionnelle de la loi, associée à l’éthique de la conviction dont la finalité est de défendre le droit de Polynice à l’inhumation. Son acte prend la proportion du devoir. L’illégalité de son acte, selon les normes politiques du royaume, est en elle-même « légitimité »
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