Création, continuités et ruptures - Qu'est-ce que la modernité en art ?
- (1) L'art moderne peut être défini comme un art de "rupture avec la tradition".
Il est rupture vis-à-vis des codes esthétiques. L'art moderne, en effet, se définit d'abord par le refus clairement affirmé de toute continuité artistique. A tel point qu'une oeuvre, aujourd'hui, ne semble valoir que d'être à la fois recherche du nouveau et rejet de l'ancien.
- (2) "La subjectivité de l'artiste, l'originalité des sujets et l'innovation des formes"
L’art moderne apparaît bien comme l'exacte antithèse de l'art immobile qui caractérise les sociétés traditionnelles. Dans ces dernières, la valeur d'une oeuvre d'art est jugée en fonction de sa perfection technique, de sa conformité au regard de normes immuables que l'artiste n'a ni vocation à changer ni latitude pour le faire. Exemple : les statuettes de chats égyptiens = le chat est un animal sacré. Sculptures toutes identiques, l’artiste n’avaient pas d’importance. Seule l’œuvre importait.
Avec la modernité, l’œuvre d’art va devenir progressivement moins importante que l’artiste. On connait mieux l’artiste que son œuvre. Œuvre comme carte de visite de l’artiste. La période moderne va célébrer le Génie et sa singularité comme la singularité de l’œuvre d’art. Être singulier et œuvre singulière.
Dans les sociétés modernes, l'oeuvre doit, pour être reconnue, être le lieu d'une innovation.
- (3) La nouvelle attitude créatrice, faite d'inventivité et d'audace.
Pour rendre compte d'une telle conception, on a quelquefois introduit le terme de « darwinisme esthétique ». Par lui, on cherche à traduire l'idée que le progrès existe en art et que, comme les formes biologiques se succèdent, doivent se succéder les formes artistiques. Le rôle de l'artiste ne doit donc plus être de se conformer à une tradition qui est condamnée par le sens même de l'histoire mais d'inventer des formes nouvelles, adaptées à son époque et destinées à périmer les formes artistiques précédentes.
L'exaltation de la modernité artistique passe par le désir violent de repousser en bloc l'héritage du passé. Le temps n'est pas loin, où, par dérision, l'on agrémentera de moustaches le portrait de la Joconde.
- (4) La rupture sociale de l’art moderne.
De manière très nette, à la fin du XIXe siècle, l'art le plus novateur s'est tout d'abord soustrait aux contraintes du goût majoritaire. On a assisté à une dissociation entre l'esthétique que cherchaient à produire les artistes et celle qu'était prêt à consommer le public de leur temps. L'art va délibérément à contre-courant de l'idéologie et du goût dominant. Manet et Wagner font scandale, Van Gogh sombre dans l'indifférence. Mallarmé ne tire des lecteurs qu'un sourire de commisération. Baudelaire et Flaubert sont traînés la même année devant les tribunaux bourgeois qui montrent là un grand sens littéraire d'avoir su saisir, dans la production de 1857, les deux grandes oeuvres qui, l'une dans le domaine de la poésie — Les Fleurs du Mal — l'autre dans le domaine du roman — Madame Bovary — révèlent l'envers véritable de la société bourgeoise.
- (5) Exemple d'une avant-garde : L’histoire de la vie de bohème.
Vers 1830, Invention de la vie de bohème => Rejet des carcans traditionnels au nom de la liberté et de l’individu. Comme dans la chanson d’Aznavour : pas de recherche de la réussite sociale. Moquerie vis-à-vis de bourgeois, des banquiers, des policiers, des importants, etc. Rimbaud fera partie des « zutistes » (dire « zut ! » à la société bourgeoise) : « La vraie vie est ailleurs ». Rimbaud écrit un sonnet scandaleux, obscène sur les fesses ! Il faut choquer le bourgeois.
Dans le Paris des années 1840 à 1880 : Cercle des « fumistes » (d’opium - Allais), des « je-m’en-foutistes », des « hirsutes » (les sauvages), des « hydropathes » ( Emile Goudoud - buveurs d’eau, pas assez riches pour boire de l’absinthe), des « incohérents », les « impassibles », les « bouzingos » (chapeau de marin ciré), les « vilains bonshommes ».
Matrice de l’art moderne de Duchamp et le surréalisme, dadaïsme :
Invention des monochromes : « Combat des nègres dans la nuit ». « Concert de silence pour un grand homme sourd ». Invention d’objets absurdes : « peigne pour chauve », « Balançoire de mur pour calmer les enfants turbulents », « aquarium en verre dépoli pour poisson timide » (Alphonse Allais). La « bohème » est un héritage de Descartes (doute, rejeter les préjugés) et de la Révolution française (jacobins, calendrier révolutionnaire, l’An 1). Détruire les valeurs traditions.
Inventer un monde nouveau.
Nerval, Gauthier, Petrus Borel = romantisme (Chateaubriand) et révolutionnaire (républicains) (Hugo).
Gauthier porte les cheveux longs et un gilet rouge - ce qui fait scandale au théâtre.
- (6) La rupture esthétique de l’art moderne.
Concrètement, cette volonté de rupture passe par la destruction systématique des codes artistiques sur lesquels reposait l'art traditionnel. Au tournant du siècle, un nouveau langage s'invente.
Déconstruction (Heidegger) et Nietzsche, « philosopher à coup de marteau », briser les idoles, les illusions de la métaphysique (Dieu, conscience, paradis). Art moderne et contemporain : arts du XXe = incarner la déconstruction des illusions esthétiques contemporaines. Présenter l’irrationnel, l’inconscient, le sexe, le corps, etc. Présenter l’imprésentable (Nietzsche, Freud).
Pensée déconstructrice du XXe = en art :
- Déconstruction de la tonalité en musique avec l’école de Vienne (Schonberg) : En musique, l'école de Vienne, avec Schönberg, Berg et Webern, rompt avec le langage même de la composition musicale afin d'ouvrir à celle-ci de nouvelles voies où se donnent à entendre de déroutantes et fascinantes sonorités.
- Déconstruction de la figuration en peinture avec l’art abstrait (Picasso - cubisme, Kandinsky - art abstrait). Ces peintres rompent avec l'ambition figurative qui, de tout temps, avait défini leur discipline. Le peintre découvre qu'il ne s'agit plus pour lui de représenter avec le maximum de fidélité un spectacle qui soit celui du monde. Il lui faut arranger sur la toile des combinaisons de formes et de couleurs qui tirent d'elles-mêmes le principe de leur beauté. Les formes, du coup, avec Monet, s'estompent dans le jeu répété des nuances et des couleurs. Elles éclatent, avec le cubisme, obligeant le modèle ou l'objet à l'exposition simultanée et impossible de tous ses profils. Elles s'affirment enfin libres de toute attache à un sujet désormais introuvable, lorsque, à la suite de Kandinsky, la peinture se résout à devenir abstraite.
- Déconstruction des règles du roman avec Joyce et le nouveau roman. Le nouveau roman (Robbe-Grillet, Sarraute) présente le flux du vécu (rupture avec la cohérence du récit)
- Déconstruction du théâtre avec Beckett et Ionesco.
- Déconstruction de la poésie classique : le recours au vers libre, avec Rimbaud puis Apollinaire et Cendrars, fait comme éclater la structure traditionnelle du discours poétique sur laquelle, depuis la Renaissance, avait vécu la littérature française.
- Déconstruction du cinéma avec la « nouvelle vague » (Truffaut, Godard)
- Déconstruction de la danse avec Béjart et Pina Bausch
- Déconstruction de la morale bourgeoise avec Mai 68.
- Etc…
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De toutes les autorités, de tous les surmois, des cadres classiques, de la morale bourgeoise.
- (7) L'art abstrait entérine la disparition du sujet au profit des couleurs et des formes.
Vassily Kandinsky (1866 à Moscou – 1944 à Neuilly-sur-Seine) : auteur de la première œuvre d'art abstrait de l'époque moderne. Rejet progressif de tout élément figuratif dans sa peinture.
Substituer à la figuration et à l’imitation de la « réalité » extérieure du monde matériel une création pure de nature spirituelle qui ne procède que de la seule nécessité intérieure de l’artiste // musique abstraite par nature et ne cherchant pas à représenter vainement le monde extérieur, mais simplement à exprimer de façon immédiate des sentiments intérieurs à l’âme humaine. Il appelle ses œuvres « improvisations » ou « compositions »
« Du spirituel dans l’art » de Vassily Kandinsky:
Le triangle s’élève dans l’histoire. Vision historicisme de l’art. Le génie qui était un solitaire sera, dans le temps, compris par la masse. Le génie incompris sera forcément compris.
Correspondance entre Kandinsky et Schonberg = rupture de la figuration en peinture et rupture de la tonalité en musique.
Lettre du 24 janvier 1911 : « Il est provisoirement refusé à mes œuvres de gagner la faveur des masses ; elles n’en atteindront que plus facilement les individus. Ces individus de grande valeur qui seuls comptent pour moi. » […] = Elitisme.
Kandinsky (« Du spirituel en art ») : « […] Un grand triangle divisé en parties inégales, la plus petite et la plus aiguë au sommet, figure schématiquement assez bien la vie spirituelle. Plus on va vers la base, plus ces parties sont grandes, larges, spacieuses et hautes. Tout le triangle, d’un mouvement à peine sensible, avance et monte lentement et la partie la plus proche du sommet atteindra « demain » l’endroit où la pointe était « aujourd’hui ». En d’autres termes, ce qui n’est encore aujourd’hui pour le reste du triangle qu’un radotage incompréhensible et n’a de sens que pour la pointe extrême, paraîtra demain à la partie qui en est la plus rapprochée, chargé d’émotions et de significations nouvelles. »
La vie intellectuelle, artistique est un triangle qui se déplace dans le temps. Le génie est à la pointe du triangle. Être d'avant-garde, c'est, par définition même, être en avance sur son temps et sur les autres, le génie vit dans les marges, dans la solitude. Solitude. http://theoria.art-zoo.com/fr/du-spirituel-dans-lart-kandinsky-extrait/ . Schonberg écrivit « Le solitaire » : II y évoque sa profonde tristesse face à un public qui ne comprend pas ses oeuvres, mais il ajoute aussitôt que le phénomène est normal : la masse finira un jour par saisir le sens de ses créations d'avant-garde. La masse ne comprendra le génie que plus tard. Picasso, Schonberg, en dessous Manet, Cézanne ou Ravel, Debussy. Idée qu’un auteur qui a du public est mauvais. D'où l'idée qu'un écrivain, un philosophe ou un artiste qui rencontre un certain succès, qui devient, comme on dit aujourd'hui, « médiatique », ne peut qu'être médiocre, englué dans la logique de la démagogie, pour ne pas dire de la prostitution. Seul l'artiste ou le penseur maudit accède à l'authenticité véritable. Quant à la base de ce fameux triangle, elle est formée par la « masse » du « peuple abêti » - ce sont les propres termes de Kandinsky, L’avant-garde est maudite. Volonté d’être obscur : Lacan, Derrida. Elitisme de l’avant-garde. Initiation. Marginalité.
- (8) Les limites de l'art moderne.
1) Ecueil de l’art contemporain : innovation pour l’innovation, originalité pour l’originalité. Originalisme = logique de l’innovation pour l’innovation jusqu’aux concerts de silence (John Cage), les expositions sans tableau ou les monochromes d’ Yves Klein, film sans image des situationnistes. Pêché de l’art contemporain = reflet de la logique industriel contemporaine, reflet du monde capitaliste.
2) Ecueil de l’intellectualisme = privilégié l’idée et non la beauté. Dans l’art contemporain, il y a beaucoup de concept, d’idée mais peu de beauté.
3) Qu’advient-il après ? Réduction de l’art a du markéting.
Steve Job comme Duchamp doit changer et innover en permanence. // de l’artiste et du bourgeois.
Classicisme de la différence. Mais la vérité n’est plus la transparence, l’harmonie, l’identité, le visible. La vérité c’est l’obscurité, la disharmonie, la différence, l’invisible.
Effet positif de l’art moderne = Libérer un matériau (le sexe, la différence, l’inconscient, le chaos, le primitif, le sauvage) non pris en compte dans le classicisme cartésien de la raison claire.
Classicisme de la différence.
3 conclusions :