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COUpé (style —)

Le style coupé forme une importante matière de réflexion, de débats, et aussi de pratique, en rhétorique normative : l’apogée des discussions à ce sujet se situe du xviie au xviiie siècle ; mais la réalisation, comme la théorie ou la querelle, remontent aux origines de la tradition oratoire, ne serait-ce que sous la forme des raisonnements sur la brièveté et, plus généralement, sur la longueur de l’oraison. On peut concevoir des périodes en style coupé. Selon cette pratique, la phrase se développe en membres séparés les uns des autres par des juxtapositions, tout au plus par des coordinations explicites, au détriment du lien par subordination, avec une nette préférence des parallélismes aux dépendances, la période pouvant même être composée de plusieurs « sous-phrases » syntaxiquement autonomes, coupées les unes des autres, selon un système généralement parataxique et fort peu hypotaxique. Les membres sont donc la plupart du temps courts. Le style coupé ne doit pas être confondu avec le style des passions, dont il peut être l’une des composantes, alors qu’il correspond aussi bien à l’expression de quantités d’autres mouvements thématiques. Ex :

Il y a des gens qui ont le goût faux en tout; d’autres ne l'ont faux qu'en certaines choses et ils Vont droit et juste dans tout ce qui est de leur portée. D’autres ont des goûts particuliers, qu’ils connaissent mauvais, et ne laissent pas de les suivre. Il y en a qui ont le goût incertain; le hasard en décide : ils changent par légèreté et sont touchés de plaisir ou d’ennui sur la parole de leurs amis. D’autres sont toujours prévenus; ils sont esclaves de leurs goûts et les respectent en toutes choses. Il y en a qui sont sensibles à ce qui est bon et choqués de ce qui ne l’est pas : leurs vues sont nettes et justes et ils trouvent la raison de leur goût dans leur esprit et dans leur discernement.

Ce passage de La Rochefoucauld est constitué de ce qu’on peut considérer comme une seule période, globalement en style coupé : les membres principaux sont coordonnés entre eux par juxtaposition, les sous-membres sont courts. Dans le détail, on a aussi une organisation en style coupé, mais en ce qu’on pourrait appeler du style coupé modéré. En effet, on note quelques faits de subordination, et beaucoup de coordination explicite. Mais ces subordinations sont limitées à la structure relative, la plus nominale de toutes, sans parler de l’outil il y en a qui qui n’est nullement subordonnant ; la coordination explicite l’est par et, qui ne véhicule expressément aucun rapport logique (le lecteur doit donc chaque fois les restituer lui-même). Au demeurant, chaque sous-membre est éventuellement plutôt bâti sur des parallélismes, et l’ensemble du centre du texte est totalement coupé. Un autre sens de style coupé renvoie à laconique.

=> Éloquence, oratoire; oraison, période; brièveté, passions.

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