Contraception et politiques de population - Un débat peut en cacher un autre
Contraception et politiques de population - Un débat peut en cacher un autre
Le contrôle des naissances est une question largement débattue dans les milieux médicaux et parmi les démographes. Généralement sont principalement prises en compte l'efficacité comparée des différentes méthodes utilisées, ou l'évolution des statistiques en matière de fécondité. C'est également une question largement débattue dans les milieux politiques, dans les sociétés et dans les enceintes internationales. On a pu notamment le constater lors des différentes conférences sur la population organisées par l'ONU (Bucarest en 1974, Mexico en 1984, Le Caire en 1994) ou encore lors de la conférence mondiale sur les droits des femmes tenue à Pékin en 1995.
Les débats portent le plus souvent sur deux thèmes. D'une part, le principe de libre choix des femmes d'avoir ou de ne pas avoir un enfant est l'objet de controverses. Décider en toute responsabilité et en toute connaissance de cause du nombre de ses enfants et de l'espacement des naissances suppose de disposer des moyens contraceptifs nécessaires et des informations relatives à l'efficacité et aux inconvénients de la méthode choisie. Or, la liberté des individus en ce domaine est contestée par certaines forces au nom de références culturelles, religieuses ou politiques. D'autre part, un débat oppose souvent ceux qui considèrent que la limitation des naissances et la baisse de la fécondité sont un préalable au développement à ceux qui pensent que la scolarisation et le développement économique, en émancipant les jeunes filles, sont un puissant levier pour faire évoluer les mentalités et réduire la taille des familles et qu'ils doivent à ce titre faire l'objet d'efforts soutenus de la part des États.
L'illusion selon laquelle il suffirait d'appliquer des programmes généralisés de contrôle des naissances pour réduire sensiblement et immédiatement la croissance de la population est très répandue. Or, ce n'est qu'à terme que les effets de telles politiques peuvent se mesurer. Cette illusion explique peut-être que l'on se penche si peu souvent sur la manière dont certains programmes de limitation ont été mis en oeuvre dans les pays en développement.
Les obsessions suscitées par la rapidité de la croissance de la population mondiale ont en effet souvent conduit à fermer les yeux sur le caractère autoritaire, coercitif et policier de certaines pratiques et sur les violences faites à des millions de femmes au nom du contrôle des naissances.
Durant des millénaires, les taux de natalité et de mortalité s'équilibraient autour de 50 pour mille, ce qui empêchait toute croissance démographique. L'espérance de vie moyenne était alors inférieure à dix-huit ans, et le premier devoir des femmes ayant survécu à l'hécatombe de la mortalité infantile était d'enfanter au maximum: c'était une question de survie pour l'avenir de leur groupe humain. Cette hantise a persisté pendant longtemps. En Europe, après l'épidémie de peste noire et la guerre de Cent Ans (1337-1453), ne craignait-on pas la disparition de l'espèce humaine? C'est la "grande peur démographique" de la fin du Moyen Age.
Toute tentative d'empêcher la fécondation ou d'interrompre une grossesse était considérée comme un crime, la femme dût-elle en mourir. Avant la découverte du forceps (à partir de la fin du XVIIe siècle), puis la pratique de césariennes sur femmes vivantes (à partir du XIXe siècle), il y avait au moins un décès maternel pour cinquante naissances.
Pourtant, dès les temps les plus anciens, certains hommes et certaines femmes ont refusé de mettre sur le même plan sexualité et fécondité.
Le cas de la civilisation romaine est très particulier. Une nette discrimination séparait les femmes esclaves, destinées à la reproduction du "matériel humain", et les femmes libres. Parmi ces dernières, celles qui appartenaient à la haute société étaient tenues de donner le jour à trois enfants, afin d'assurer le renouvellement de leur classe sociale, mais pas davantage, afin de ne pas disperser l'héritage. Elles avaient aussi le devoir de rester en vie pour gérer la maison patriarcale avec toute sa domesticité.
Souvent mariée à douze ou treize ans, la patricienne avait ainsi achevé, à vingt ans, sa tâche de reproductrice et, pour échapper à la mortalité maternelle et aux dangers des avortements, elle terminait fréquemment ses jours dans la continence, tout en fournissant à son mari les femmes (esclaves) qu'il demandait.
De la contraception "artisanale" à la contraception médicale
L'histoire de la contraception peut se diviser en deux périodes: à une contraception que l'on peut qualifier d'"artisanale" a succédé, à partir de 1960, la contraception médicale. Les différentes méthodes "artisanales" avaient comme principal inconvénient d'être non seulement difficilement efficaces à 100 %, mais aussi plus ou moins contraignantes, parfois même dangereuses.
Peu à peu, les progrès de la médecine ont permis de mieux cerner la physiologie de la fécondité: les Romains avaient déjà pressenti que la période où la femme avait plus de chance de concevoir était celle qui suivait les règles, présomption qui fut confirmée au début du XXe siècle lorsque furent précisés le mécanisme et les signes de l'ovulation, ce qui donnait à des couples très motivés, en s'abstenant de relations sexuelles au moment du cycle correspondant à l'ovulation (régulation naturelle), la possibilité de maîtriser leur fécondité. Il y a eu d'abord la méthode "Ogino" (1928-1930), fondée sur des calculs de probabilité statistique, puis la surveillance de la courbe de température (1950), et enfin celle de l'observation de la glaire cervicale (méthode Billings, 1975).
Il est cependant bien évident que ces différentes méthodes ne peuvent pas convenir à tous les couples. La médicalisation de la contraception a transformé la vie des femmes en les libérant de l'angoisse des "fins de mois" et en leur donnant la possibilité de choisir vraiment d'avoir ou de ne pas avoir d'enfant, tout en leur offrant le bénéfice d'un bilan médical et en les informant des contre-indications éventuelles et des avantages et inconvénients de toutes les méthodes. C'est dans les années cinquante et soixante qu'a débuté l'ère de cette contraception médicale, avec le stérilet et la contraception hormonale.
Le stérilet, ou DIU (dispositif intra-utérin), est d'origine plus ancienne que la pilule: les premières tentatives humaines datent de 1928 et la diffusion des stérilets en plastique a débuté en 1962. En 1968, on y ajouté du cuivre et en 1977 de la progestérone. Le stérilet, comparé à la pilule, présente l'énorme avantage de n'avoir qu'une activité locale. Mais, comme en ont témoigné de nombreuses femmes de pays en développement, il peut être inséré dans l'utérus à l'insu de l'intéressée, notamment à la suite d'un accouchement.
En 1921 (année de la découverte de l'insuline), les sécrétions du corps jaune avaient été identifiées comme étant des hormones naturelles susceptibles d'être utilisées comme contraceptifs. On découvrit plus tard que celles-ci consistaient en plusieurs types d'oestrogènes et en une progestérone. Les laboratoires Shering se penchent très vite sur cette découverte dont l'intérêt était considérable à une époque où l'on commençait à parler d'"explosion démographique" à propos des pays en développement. Les enjeux que cela représentait expliquent sans doute la précipitation avec laquelle la pilule a été mise sur le marché, à partir de 1962.
Les premiers essais sur des femmes avaient commencé dans les années cinquante, et la mort inexpliquée de trois Portoricaines - probablement par accident cardio-vasculaire - n'empêcha pas la pilule de se répandre à travers le monde Si elle est prescrite à bon escient - comme tous les médicaments, après un bilan médical permettant de respecter les contre-indications - et avec un suivi axé notamment sur le dépistage des cancers du sein et du col de l'utérus, la pilule peut, comme le stérilet, être vraiment "au service" de son utilisatrice.
Mais, notamment dans le tiers monde, elle a très vite été "distribuée" avec l'argument que ses "quelques inconvénients étaient largement compensés par tous les avantages que comportait le contrôle des naissances".
La distribution de la pilule s'est accompagnée de mesures incitatives dans les années quatre-vingt. Ainsi, en Thaïlande, un petit cochon était par exemple donné aux femmes qui n'étaient pas enceintes...
La contraception hormonale de longue durée
Parallèlement à la pilule s'est développée la "contraception hormonale de longue durée" à base de progestatifs. Le Dépo-Provéra (ou acétate de médroxyprogestérone retard, AMPR), utilisé à partir du milieu des années soixante-dix, se présente sous forme injectable à administrer tous les mois ou tous les trimestres. Il a d'abord été utilisé en Asie, avant de l'être dans les autres pays du tiers monde. Son premier inconvénient tient à son mode d'administration: de nombreuses femmes ont été "piquées" sans qu'on leur demande leur avis, comme certaines réfugiées vietnamiennes à Hong Kong. Le Dépo-Provéra provoque chez la moitié de ses utilisatrices d'importantes perturbations du cycle menstruel, pouvant aller jusqu'à des hémorragies impossibles à contrôler et ne s'arrêtant que lorsque cesse l'efficacité du produit.
Le Norplant a été, quant à lui, mis au point à partir du milieu des années quatre-vingt. Sa diffusion dans les pays en développement a été fortement stimulée par la mise en oeuvre des programmes d'ajustement structurel du FMI (Fonds monétaire international). Au nombre des exigences formulées dans ces plans figure en effet la réduction du nombre d'enfants par femme. Le Norplant figure au programme des stages de formation au planning familial dans nombre de pays, comme la Tunisie. Au Burkina Faso, il est présenté à la télévision comme la "solution idéale pour les femmes"... A base de Norgestrel, il se présente sous la forme de capsules (en forme d'aiguilles non biodégradables) implantées par voie sous-cutanée. Son "intérêt démographique" est incontestable: son efficacité est de cinq ans, et la femme ne peut pas le retirer elle-même. Cependant, elle s'expose au risque de devoir supporter les hémorragies et les douleurs au point d'insertion des capsules.
Le personnel médical lui-même éprouve des difficultés (compte tenu des contextes d'exercice) pour extraire les six capsules (ce qui suppose une incision chirurgicale sous anesthésie locale), que ce soit à la demande de la patiente ou à la fin des cinq années d'utilisation.
La méthode contraceptive la plus répandue est cependant la stérilisation. On estime qu'en 1985 40 % du total des couples sous contraception (toutes méthodes confondues) avaient subi ce que l'IPPF (Fédération internationale de planification familiale) qualifie de "contraception chirurgicale volontaire": ligature des trompes pour les femmes et section des canaux déférents pour les hommes, bien souvent sous la contrainte. Ces pratiques se sont répandues notamment en Asie (Inde - où l'on proposait un poste de radio aux hommes pour les stériliser - , Chine...), mais aussi dans certaines régions d'Amérique latine où des césariennes avec ligature des trompes sont systématiquement pratiquées sur les femmes ayant déjà eu deux ou trois enfants. La majorité des personnes stérilisées sont des femmes, alors que cette intervention est beaucoup plus simple et bien moins coûteuse chez les hommes.
Femmes cobayes
Est-ce vraiment "accidentellement" qu'un millier de Thaïlandaises enceintes ont subi une injection de Dépo-Provéra au milieu des années soixante-dix? Si oui, cela donne une idée de la qualité du bilan médical fait avant l'injection Cela a permis d'étudier les effets de cette injection sur la croissance et la puberté des enfants mis au monde par ces femmes. L'OMS (Organisation mondiale de la santé) a encouragé un autre type de recherche fondée sur des bases immunologiques. Des expérimentations en ce sens ont été faites sur des femmes indiennes au mépris de toutes les règles de l'éthique médicale. Ces recherches portent sur la mise au point d'un vaccin anti-grossesse. On prélève des ovules, du sperme, du trophoblaste (enveloppe qui entoure l'oeuf au moment de la nidation) ou les HGC (hormones gonadotrophines chroniques) de la grossesse, on les manipule selon les mêmes principes que les virus et bactéries utilisés pour la fabrication des vaccins, et on les injecte à des femmes cobayes. On ne sait absolument pas mesurer les risques de perturbations immunitaires que l'on fait encourir à ces femmes. Celles-ci sont au demeurant loin d'être correctement informées de la nature exacte de ce qui est expérimenté sur elles.
La recherche de nouvelles méthodes contraceptives est légitime si l'objectif poursuivi est de proposer aux couples des moyens plus efficaces présentant moins de risques de complications. Or, les recherches menées sur le "vaccin anti-grossesse" sont loin de répondre à ces exigences. La simple appellation de "vaccin" fait en outre considérer la grossesse comme une maladie.
Choisir de contrôler sa fécondité, d'avoir ou de ne pas avoir un enfant doit relever d'un principe de liberté des femmes et non d'une coercition collective. L'information, le conseil, l'accompagnement médical et social sont des conditions indispensables à toute politique de contrôle des naissances.
Ces démarches seront d'autant facilitées que des efforts de scolarisation soutenus (sans discrimination entre les filles et les garçons) seront déployés, en parallèle avec des progrès dans le développement économique, gages d'évolution des comportements culturels. Ce sont en effet toujours les couples les plus pauvres qui sont les plus féconds, l'enfant représentant pour eux la seule richesse, et la seule sécurité pour l'avenir. Et toutes les études attestent que le nombre d'enfants par femme tend à évoluer en sens inverse du niveau moyen de scolarisation féminine.
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