Condorcet (vie et oeuvre)
D'une insatiable curiosité, le marquis de Condorcet a poursuivi des recherches dans toutes les directions du savoir. Mathématicien, économiste et philosophe, il peut être légitimement regardé comme l'un des fondateurs des sciences de l'homme.
VIE
Philosophe engagé dans la lutte pour l'octroi des libertés religieuses, économiques et politiques, Condorcet est l'un des rares penseurs du XVIIIe siècle à participer à la fois au mouvement des Lumières et à la Révolution française.
Le mathématicien Marie Jean Antoine Nicolas Caritat, marquis de Condorcet, naît en 1743 à Ribemont. Il a tout juste seize ans lorsqu'il soutient une thèse de mathématiques devant l'encyclopédiste Jean Le Rond d'Alembert. Il publie plusieurs essais scientifiques et, en 1769, âgé de vingt-six ans seulement, il est appelé à siéger à l'Académie des Sciences, dont il deviendra le secrétaire perpétuel en 1773.
Le philosophe engagé Élu à la Commune de Paris en 1790, il défend le suffrage universel. Élu en 1791 à l'Assemblée Législative, il rédige cinq "Mémoires sur l'instruction publique" (1791-92) et un Projet de Constitution (1793). N'ayant pas voté la mort du roi, il fuit pour éviter l' arrestation. Condamné à mort par contumace, il se cache quelque temps, mais contraint, par la faim, d'entrer dans un cabaret, il est reconnu, arrêté, emprisonné à Bourg-la-Reine, où il meurt le 7 avril 1794, probablement d'épuisement, quoique la légende veuille (meurtre ou suicide?) qu'il ait été trouvé empoisonné.
OEUVRES
Savant illustre, honoré par toute l'Europe à la veille de la Révolution, Condorcet est aussi le chantre du suffrage universel et le précurseur de l'École républicaine instituée, cent ans plus tard, par Jules Ferry.
Supplément de l'Encyclopédie (1770) À la demande de d'Alembert, Condorcet collabore à l'Encyclopédie en rédigeant plusieurs articles scientifiques.
Essai sur l'application de l'analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix (1785) Le «Discours préliminaire» contient l'exposé du fameux paradoxe, appelé depuis «effet Condorcet», qui consiste en la formation d'une réponse collective contradictoire à partir de réponses individuelles cohérentes.
Mémoires sur l'instruction publique (1791-92) Le choix politique du suffrage universel rend cruciale la question de l'instruction parce qu'un peuple ignorant est une proie facile pour les tyrans. L'école doit être gratuite, mixte et laïque. Elle prépare l'individu à vivre dans une république où il n'aura «d'autre supériorité que celle de ses talents, d'autre autorité que celle de la raison».
Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain (1794) Cette oeuvre, qui semble être le testament du siècle des Lumières, présente u vision optimiste du développement de l'humanité appelée à marcher toujours plus avant sur la voie du progrès scientifique moral. Condorcet y décrit les dix époques qui cons tuent l'histoire de l'esprit humain. Convaincu de la perfectibilité indéfinie de l'humanité , il estime qu'elle ne dépend que de la seul culture intellectuelle e morale et du développement des sciences et de techniques.
EPOQUE
L'émergence du savoir Durant le XVIIIe siècle, dira Alexis de Tocqueville, le cartésianisme est sorti «des écoles pour pénétrer dans la société et devenir la règle commune de l'intelligence » ("De la Démocratie en Amérique"). C'est pourquoi une des idées force de certains penseurs de la seconde moitié du siècle est que les progrès de l'instruction et de la diffusion des connaissances vont favoriser la formation d'une opinion publique éclairée.
La Révolution française En rompant avec la tradition, l'humanité semble être devenue majeure et capable de prendre en main son propre destin. On réfléchit donc beaucoup sur une société qui doit penser son existence en termes de projet, et non de fidélité à une tradition. Cela implique une nouvelle définition de l'homme conçu de plus en plus comme un être perfectible.
APPORTS
Condorcet a promu une science sociale mathématique. L'originalité principale de Condorcet réside dans son effort continu d'appliquer les mathématiques aux sciences sociales, grâce à la notion de probabilité. La science sociale possède, en principe, la même certitude que la science physique, mais ses propositions ne sont généralement qu'hypothétiques. La confiance qu'on peut lui accorder est donc relative. Condorcet associe probabilité et raison de croire. De ce fait, la mathématique du probable devient une science de la décision. Ainsi, il démontre que, plus le nombre des décideurs (les votants) est grand, plus la décision a de chances d'être vraie, et fonde sur la mathématique une théorie politique du suffrage universel.
Actualité - postérité. Arrivé à la dixième étape de son Esquisse, qui prétend décrire la marche future du genre humain, Condorcet voit les nations se fondre toutes en un seul peuple, l'inégalité sociale disparaître ainsi que la maladie. Il ne faut pas, pour autant, en faire un illuminé du progrès. Cette rêverie de l'Age d'or a une importance historique: elle a dominé tous les esprits de l'école révolutionnaire. Les utopies de Charles Fourier et de Claude-Henri de Saint-Simon seraient incompréhensibles sans Condorcet. De plus, c'est sans doute sa pensée qui a rendu possible la réflexion d'Auguste Comte.