COMMUNISME (Asie)
COMMUNISME (Asie)
La chronologie du communisme asiatique est autrement plus complexe que celle de son pendant européen. De l’Elbe à Vladivostok, le point d’origine se situa soit en 1917, soit autour de 1945 et, à l’exception de l’Albanie, partout les inflexions décidées à Moscou se révélèrent déterminantes. En Asie, les prises du pouvoir furent singulièrement plus échelonnées : 1924 en Mongolie, 1945 au nord de la Corée, 1949 en Chine, 1954 au Nord-Vietnam, 1975 enfin pour le reste de l’Indochine (Cambodge, Sud-Vietnam, Laos). On doit, de plus, considérer la précocité de l’implantation communiste en Extrême-Orient : le Parti communiste d’Indonésie naquit en 1920, juste avant celui de Chine (1921), et, dès 1931, ce dernier contrôlait une portion du sud-est du pays et y proclama une « république des soviets ». À la fin des années 1970, on socialise le sud du Vietnam ou, de manière forcenée, le Cambodge, alors même que la Chine amorce son virage vers une économie plus libérale, et que la Mongolie, semblable aux démocraties populaires de l’Est européen, s’achemine vers le séisme gorbatchévien.
Hormis dans ce dernier pays, partout, le milieu des années 1950, marqué plus à l’ouest par la déstalinisation, fut le signal de la radicalisation de régimes soutenus par la force propulsive de révolutions encore proches : réforme agraire meurtrière au Nord-Vietnam (1954-1956), puis relance de la guerre au Sud (1959), purges féroces en Corée du Nord et surtout, en Chine, Grand Bond en avant (1958-1961), responsable d’une gigantesque famine et dont l’échec entraîna en 1966 ce dernier pari de Mao Zedong qu’était la Révolution culturelle. Au Vietnam et au Laos (mais pas en Corée du Nord), les réformes de Deng Xiaoping (à partir de 1978) furent largement imitées, avec cependant un temps de retard : l’heure d’un « communisme du goulash » à la Khrouchtchev avait alors sonné.
Le rôle central de la « Chine rouge ».
La Chine, bien plus que l’URSS, paraît au centre de l’aventure du communisme asiatique. C’est à Yanan, « capitale » de Mao entre 1936 et 1947, que sont formés bon nombre des futurs cadres des pays voisins : ainsi le PC vietnamien inscrit-il en 1951 la « pensée Mao Zedong » dans ses statuts. Surtout, à partir de 1950, la maîtrise du continent chinois permet une aide militaire directe massive, décisive, aux Nord-Coréens engagés dans la guerre de Corée (1950-1953) et aux forces du Vietminh jusqu’alors sur la défensive face aux Français (guerre d’Indochine, 1946-1954). Lors de la guerre du Vietnam (1959-1975), la présence de l’armée chinoise au Nord permet aux forces de Hanoi de se porter sur les champs de bataille du Sud. Et, avec le Cambodge des Khmers rouges (1975-1979), Pékin tente de se constituer un État-client. Il se heurte alors à l’ambition parallèle - mais concurrente - des communistes vietnamiens, dont les troupes ont permis le triomphe des « petits frères » laotiens et cambodgiens. Les comptes sont provisoirement réglés par la double guerre « communiste à 100 % » de 1979, qui voit le Vietnam occuper le Cambodge et repousser l’invasion chinoise sur sa frontière nord. Hanoi tient donc sa « fédération indochinoise », mais celle-ci se trouve ravagée par la misère et les guérillas. Si bien que, dès 1988, le Vietnam retire ses troupes d’un Cambodge qui était peu à peu sorti du communisme (sans changement de gouvernement…) et lâche du lest dans un Laos en lente évolution. La Corée du Nord, elle, s’émancipe de l’emprise chinoise en se campant en gardienne du temple face au réformisme de Pékin. La Chine demeure cependant son principal soutien dans sa confrontation avec Séoul et avec Washington.
À la fois singulier et pluriel.
Le dernier vaste lambeau de cette « mondialité » avortée que fut le communisme a été à la fois singulier, pluriel, et plus encore. Singularité : les caractères propres aux sociétés asiatiques et la réécriture du marxisme-léninisme par la matrice chinoise donnent à ces divers régimes un fort air de famille. La sur-idéologisation accompagnée d’un volontarisme extrême est à l’origine d’idéocraties capables de mobiliser efficacement - du moins un certain temps. Cela est d’autant plus vrai que les frontières entre Parti, État et société se brouillent plus qu’ailleurs. Cela explique la nécessité pour chacun - jusqu’au détenu des immenses archipels concentrationnaires - de se comporter en « bon communiste », sous peine de « rééducation ». Il n’y a pas ici de place pour un droit « formel » : la seule loi est celle de la « juste ligne ». La pression constante, crédibilisée par la menace de la répression, s’efforce de broyer les individualités en ne leur concédant aucun répit, aucune plage de repli : les totalitarismes les plus achevés de l’histoire sont à chercher dans ces régimes, dont la Corée de Kim Jong-il (1942-) est restée comme une butte-témoin.
Pluralité : à la différence de l’URSS, la Chine ne sut pas exporter durablement son appareil politico-militaro-policier. Le Vietnam ne fut pas plus efficace que dans le petit Laos. Il est vrai que, pour des régimes qui avaient construit leur légitimité première sur la « libération nationale » et/ou l’« anti-impérialisme », toute apparence de recolonisation passait mal. Et c’est au travers d’une fuite en avant nationaliste que les directions communistes allaient tenter de se conserver un devenir. Seul le Vietnam parut reproduire pleinement le modèle chinois. Mongolie et Corée du Nord furent des créations de l’expansionnisme soviétique, la seconde ayant arrêté la pendule à l’heure de Staline. Le Cambodge prétendit construire le communisme intégral en un claquement des doigts, et cela déboucha sur un génocide. Le Laos pour sa part devait se débattre avec la construction de son État et l’organisation de son territoire.
Enfin, les communismes d’Asie constituèrent une part de feu le « second monde ». Comme ailleurs, on décèle à l’origine un utopisme moderniste, industrialiste, unanimiste et purificateur. Comme ailleurs, après une génération, la lassitude et la désaffection ont poussé à l’affaissement de la dimension utopique, mais aussi à l’atténuation de la terreur, qui lui était consubstantielle. Comme ailleurs, enfin, tout retour à une stabilité durable en un « communisme minimum » paraît impossible une fois le processus d’ouverture lancé, malgré l’effet anesthésiant d’une réussite économique parfois notable.