COCTEAU Jean
COCTEAU Jean 1889-1963 Clément Eugène Jean Maurice Cocteau est né à Maisons-Lafitte, d'un notaire du Havre, qui se suicidera en 1898, et d'Eugénie Lecomte, parisienne, issue du milieu de la finance. En 1906, après de médiocres études à Condorcet, il est assidu au théâtre (et dans la loge de Mistinguett) et rate le bac. Deux ans plus tard, il est lancé, fréquente le «monde», c'est-à-dire Mendès, Daudet, Rostand, Anna de Noailles, Proust... «monde» dont il est la coqueluche et où sont lues ses poésies, car il écrit. Ses premières œuvres sont réunies dans La Lampe d’Aladin (1909). En 1910, il rencontre Diaghilev, le directeur des ballets russes, et dès lors, Cocteau s'intéressera aussi à la musique; Stravinski, Reynaldo Hahn, Satie, puis les membres du groupe des Six seront ses amis; il écrit l'argument du ballet Parade (1918), qui fait scandale, puis Les Mariés de la Tour Eiffel (1921) et Œdipus Rex, musique de Stravinski. En 1919 Cocteau a rencontré Radiguet, dont la mort, en 1923, le laissera longtemps désemparé. Cocteau, sans jamais délaisser ses amis, fera montre sa vie durant d'une extraordinaire activité artistique. Touche-à-tout de génie, il se révèle très vite l'homme de tous les talents: outre des romans (Le Grand Ecart, Thomas l’imposteur), il écrit pour le théâtre (Les Enfants terribles, La Voix, humaine, La Machine infernale, L’Aigle à Deux Têtes), se lance dans le cinéma — il tournera plusieurs films, dont plusieurs sont des dates dans l'histoire du cinéma: Le Sang d’un Poète (1932), La Belle et la Bête (1946), Orphée (1950), Le Testament d’Orphée (1960) — dessine, exécute des cartons de tapisserie, peint les fresques de la chapelle de Milly, et, bien sûr, n'abandonne pas pour autant la poésie. Il meurt le 9 octobre 1963, le même jour qu'Edith Piaf (qui avait enregistré La Voix humaine). L'œuvre de Cocteau a suscité des appréciations diverses. On lui a reproché, beaucoup, outre son goût pour le monde, la diversité de son talent et sa facilité, comme si la qualité d'une œuvre se mesurait au poids de la sueur qui a accompagné son accouchement. C'est vrai, la frontière chez lui entre la magie et la mystification, voire l'imposture est ténue. Mais on lui en a beaucoup voulu aussi parce qu'il est si difficile à classer — chez les enfants de Descartes, c'est le péché suprême —: des surréalistes il utilise volontiers certaines des techniques, mais refuse le dogme, il fait volontiers référence à l'antiquité, s'encombre de tout un fatras mythologique mais son vers est volontiers prosaïque et insolent. Et c'est vrai qu'il n'a, apparemment du moins, rien écrit avec ses tripes, dans le tourment et la douleur. Pourtant, derrière le brillant et le brio, sa poésie n'est jamais si inspirée que lorsqu'elle nous porte, avec un rythme traditionnel, les songeries et les pulsations de l'âme trop sensible du poète. Son œuvre poétique, dont la composition s'étend sur près de 65 ans, est très abondante. Parmi les recueils principaux figurent: Le Cap de Bonne Espérance (1916-1919), Vocabulaire (1922), Plain-Chant (1923), Opéra (1927), Le Chiffre sept (1952), Clair-obscur (1954), Faire-part (1960-62), Requiem (1962).
Poète, romancier, auteur de théâtre, de cinéma et de ballet, essayiste (et aussi dessinateur, fresquiste, « cartonnier » de tapisserie, etc.), né à Maisons-Laffitte. Dès 1908 l’acteur De Max peut organiser un récital (au Théâtre Fémina) des poèmes de cet écrivain célèbre de dix-neuf ans. Mais l’auteur du Prince frivole (1910) méprisera bientôt son trop sage public. En 1913, il compose Le Potomak, roman désinvolte et incisif qui le contient déjà tout entier (mais s’inspire un peu de Gide, et, plus encore, de Max Jacob) ; le livre ne paraît d’ailleurs qu’après la guerre, en 1919. Réformé, Cocteau s’était engagé comme « ambulancier civil », et son roman Thomas l’imposteur (publié en 1923) va d’ailleurs exprimer les bizarres sucs de cette très brève expérience militaire. La guerre vue des coulisses, dit-il. Ce récit débité d’un ton résolument impassible (ainsi que Le Grand Écart paru la même année 1923) trahit l’influence exercée sur lui par son ami Radiguet, qui vient de mourir. À cette date déjà, Cocteau est regardé de très près par ses pairs, qui l’estiment décidément trop doué. Le coup d’œil infaillible, le nez au vent, la main aussi prompte à l’encrier que le cow-boy à sa ceinture porte-colts, il bat de vitesse ceux-là même qui ont eu l’idée avant lui. On s’étonne de ce jeune homme qui joint le zèle et la sagesse de la tortue à la patte ailée du lièvre ; ne reconnaît-il pas lui-même de bonne grâce qu’il fut toujours le premier à dire les choses pour la seconde fois? Courageuse autocritique et qui d’ailleurs va trop loin : c’est Apollinaire, étonné par le bref chef-d’œuvre de Cocteau dans un genre sans exemple alors, Parade (bouffonnerie, stylisée à la façon d’un opéra-ballet), qui va bâcler l’année suivante un spectacle selon la même formule, Les Mamelles de Tirésias (1918), ce dont la critique ne manquera pas de lui faire grief. La même année 1918, dans un pamphlet retentissant. Le Coq et l’arlequin, Cocteau, ce prétendu suiveur, trace la voie à la jeune musique française et, du même coup, révèle à tous sa propre voie, sa propre esthétique, très éloignée de celle de son époque : La vitesse d’un cheval emballé ne compte pas [...] On peut blâmer la couleur des chambres, peu importe si la maison est solidement construite... En revanche, Les Mariés de la tour Eiffel (1924), inauguration, dit-il, d’une nouvelle poésie de théâtre n’est que l’heureuse transposition, sur scène, d’un mode d’écriture imaginé de toutes pièces par le surréalisme. André Breton, qui le traite alors d’« imposteur », avoue pour le reste que l’œuvre est une réussite littéraire en soi. Plus encore, c’est une réussite commerciale ; ce dont les surréalistes, quant à eux, n’ont jamais tâté encore. Aussi bien Cocteau leur laissera-t-il très vite le champ libre, établi pour sa part sur de tout autres registres. Théâtre boulevardier : Les Parents terribles (1938), La Machine à écrire (1941), Les Monstres sacrés (1943) etc. Cinéma: Le Sang d’un poète, œuvre réussie mais d’une avant-garde qui n’est, en fait, que l’adroite vulgarisation de ses recueils résolument lyriques, publiés à la même époque (1930); ce chef-d’œuvre sera suivi d’ailleurs d’autres films plus franchement commerciaux - et fort nombreux - tels que Le Baron fantôme (1941), L’Éternel Retour (1943), Ruy Blas (1947), etc. Par bonheur, il n’abandonnera jamais le poème ; et là, il trouvera très vite (sitôt de retour d’une fausse piste « dadaïste » où il s’était égaré en 1919 : Le Cap de Bonne-Espérance), le registre de voix et le timbre qui lui conviennent (définis à la dernière page de son essai Le Secret professionnel, 1922) et qui se situent à l’opposé de l’attitude moderniste et de l’avant-garde : Plain-chant (1923), L’Ange Heurtebise (1925), Opéra (1927), Allégorie (1941), et, en particulier, Léone (1945), étrange célébration de la mort. Tous ces recueils de vers laissent apparaître au total, chez le poète, une écriture classique, et chez l’homme une indéracinable mentalité romantique. En vérité Cocteau n’est ni moderne, ni même (comme tout un chacun) « de son temps ». C’est d’abord un élé-giaque, un être vulnérable ; désarmé presque dans le monde actuel. En un mot : un enfant. Ce poète-là, nous le retrouvons encore (et avec un vif élan de sympathie ; avec soulagement, pourrait-on dire) en dehors de ses recueils de vers, dans ses ouvrages les mieux inspirés, c’est-à-dire les plus authentiques. Au théâtre : Orphée (1925, où réapparaît l’ange Heurtebise), Les Chevaliers de la Table ronde (1937), Renaud et Armide (1943). Dans le domaine romanesque : Les Enfants terribles (1929). Au cinéma : La Belle et la bête (1945), et surtout les confidences indirectes d’Orphée (1949) et du Testament d’Orphée (1960). Enfin, il atteint un sommet dans l’essai inquiet et ouvertement autobiographique dont il emprunte le titre à la dernière parole de Fontenelle, La Difficulté d’être (1947) ; chef-d’œuvre que complétera, en 1953, Journal d’un inconnu. Ainsi, chaque fois qu’il se débat avec ses propres monstres (sa propre Mythologie pour reprendre l’expression qui donne son titre à l’un de ses meilleurs poèmes de 1934), et chaque fois qu’il rêve assez fort pour oublier d’avoir l’oreille au guet, Cocteau se révèle un poète véritable, qui chante juste et rend un son très neuf : acide, un peu triste (poignant même, parfois), inimitable. La pire infortune qui lui soit advenue, c’est que même ailleurs, c’est-à-dire même quand il chante en dehors de son registre, soit plus haut (comme dans le poème La Crucifixion, 1946 ; ou dans le drame Bacchus, 1952), soit plus bas (comme dans le monologue de La Voix humaine, 1930 ; ou le mélodrame de L’Aigle à deux têtes, 1946), il est capable d’une réussite, aussi franche que les plus franches des spécialistes du genre - ceux de l’avant-garde ou ceux du boulevard - qui durant un demi-siècle ne vont pas décolérer. Pour sa part, il se borne à répondre in petto (c’est au demeurant l’une de ses plus éclatantes formules) : Le chef-d’œuvre appartient à celui qui le décroche ; et cette constatation, en soi, est tout à fait juste. Mais elle n’est pas, le plus souvent, applicable à son propre cas : à ces trop nombreuses œuvres non personnelles, par quoi il a bien, en effet, décroché à chaque fois le succès ; non le chef-d’oeuvre. Qu’importe après tout, si, parmi plus de cent titres (!), il reste quelque dix livres aussi impeccables qu’inoubliables ; et au moins autant d’autres, imparfaits, mais sincères et émouvants. C’est déjà là un bilan peu ordinaire.
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