Claude Ollier
Né le 17 décembre 1922 à Paris. Etudes de droit. Divers métiers dans l’industrie et l’administration, avant de se consacrer à la littérature. En 1958, reçoit le Prix Médicis pour son premier roman La Mise en scène, premier volet d’un cycle de huit livres groupés en 1975 sous le titre général de Le Jeu d’enfant. A, par ailleurs, collaboré à diverses revues (NRF, Cahiers du Cinéma...) et écrit plusieurs pièces radiophoniques. En 1972, Claude Ollier a participé au colloque de Cerisy-la-Salle sur le Nouveau Roman : il y a fait une communication importante quant à la compréhension de son œuvre. Dans cette intervention, en effet, Claude Ollier décompose son œuvre en deux cycles. Le premier comprend les trois premiers livres, La Mise en scène, Le Maintien de l’ordre, et L ’été indien, où les personnages ne sont plus tout à fait traditionnels mais qualifiés de « centre perceptif itinérant ». Les trois récits concernent des explorations, des enquêtes qui se soldent par une incompréhension du milieu exploré et de ce fait par la décomposition du personnage. Ces pseudo-personnages se trouvent dans le même rapport que l’écrivain face au langage, et que le lecteur face à la fiction. Ollier établit la formule suivante :
Ecrivain = Personnage = Lecteur Langage = Espace = Fiction
Partie prenante du Nouveau Roman, cet auteur s’affirme comme l’un des plus radicaux, rigoureux, et systématiques de ce courant. Ayant en commun avec Robbe-Grillet le refus du récit conventionnel, Ollier va plus « loin » que l’auteur du Labyrinthe... Ecriture chez lui dynamique (ce qui compte, c’est l’itinéraire), prospective, évolutive. D’aucuns ont parlé de fiction générative par référence à la linguistique chomskienne. « L Intrigue, c ’est le cheminement du sens » a dit Ollier au Colloque de Cerisy. Mais quelle intrigue, puisqu’intrigue il y a tout de même ? Tous les livres de Claude Ollier ont en commun le thème de l’approche, de l’enquête borgèsienne. Dans La Mise en scène, un ingénieur qui ne connaît rien à la région, à sa langue et à ses mœurs, doit établir un tracé de route pour une société minière qui envisage l’exploitation d’un gisement d’altitude dans le Sud Marocain. Un guide lui explique ce qu’il ne comprend pas, mais ces explications ne le satisfont pas. Il y relève trop de contradictions, trop de recoupements avec ses propres difficultés. Surgissent alors la défiance, le questionnent, la peur. «L’œil fouille l’espace, la portion d’espace de nouveau disponible ». Car il n’y a nulle dramatisation, simplement une description d’un décor objectif et minutieux. L’auteur est absent de son texte, il enregistre gestes et comportements. Il est « pur regard ». De même, dans Le Maintien de l’Ordre, sous le prétexte d’une intrigue policière ambigüe, on trouve une « description minutieuse et même fanatique du réel » (M. Nadeau). Et pourtant, ce réel reste d’autant plus insaisissable. D’où le quatrième livre qui., pour Ollier, constitue le pivot qui le fera basculer vers le deuxième cycle de son œuvre. L’Echec de Nolan, comme son titre l’indique, dresse un constat de faillite. Nolan a disparu dans un accident d’avion. Le personnage, malgré les « fouilles » de l’enquête, demeure « irrécupérable ». Ollier décide de corriger la trajectoire des trois premier livres et de passer à la critique textuelle. « Au 3 + 1 du premier cycle vont donc correspondre 3 + 1 livres dérivés ». La vie sur Epsilon repasse par les points coordonnés de La Mise en scène, mais cette fois, l’orbite est différente. Nous sommes dans un univers de science-fiction. A l’hétérogénéité du réel correspond celle de l’espace. Ce « roman » est un récit d’exploration dans la tradition et dans le cadre d’une planète déserte, mais à nouveau, plus on progresse dans cette exploration, et plus l’incohérence gagne du terrain. Le texte devient troué de vides, de phrases écourtées, puis après ces lacunes, ces hésitations, traversé de longs paragraphes, alternance qui laissera le lecteur sur sa faim, à l’instar de l’explorateur et de l’auteur. Le livre s’achève sur un point d’interrogation. D’où le « roman » suivant Enigma qui, lui, recoupe Le Maintien de l’ordre, mais toujours dans l’univers de la science-fiction. « Car, dit Claude Ollier, il reste une chance pour une fable nouvelle dans l’écrit fïctionnel, comme il reste une chance, dans et par la démystification, pour un nouveau type d’écrit mythique ». Et ainsi, nous passons à Our ou vingt ans après, qui renvoie à L'été indien. « La fable d’Our, vingt ans après le premier livre, épouse en maint passages des textes célèbres plus ou moins étiquetés sur les rayons de la bibliothèque ». Ollier entend « retourner contre l’Occident sa Littérature inquiète. Dans un article paru dans la NRF (n° 214 - octobre 1970), il insiste à cet égard sur l’influence de la linguistique et notamment des essais de Benveniste et de Jakobson, dont il a voulu appliquer les schémas à la fonction romanesque. « Dans ce travail de sélection et de combinaison qu’il fait porter sur la totalité des éléments de la fiction (...) l’écrivain agit toujours fondamentalement en lecteur de son propre texte en train d’écrire, et cette attitude a pour effet de placer instantanément ce texte, qu’il le veuille ou non, dans l’ensemble des textes par lui lus et critiqués, à égalité de principe, c’est-à-dire aussi de distance, et de degré d'anonymat. » Dans Fuzzy sets, le dernier épisode des aventures d’O, que l’on trouvait dans les trois livres précédents, l’explorateur se lance à la poursuite de Tiamât la traîtresse qui lui a volé les fameuses tablettes. Mais O. est contesté par son hétéroclite et très culturel équipage : Sindbad, Gagarine, Nemo, Noé... L’incertitude est omniprésente : « Suis-je dans le livre ? », « Etes-vous dans le livre ? », et le texte toujours plus hétérogène (longues accumulations de points de suspension, phrases non terminées, jeux typographiques...). Mais finalement, au bout de la quête, O. ne trouve que sa ville natale en Ile-de-France ! Dans la dernière phrase, le narrateur-auteur s’adresse au « Lecteur, vois-tu ? Ce reportage est une introduction : à sa manière. Didactique : je l’ai écrit dans le style ancien ». Retour à l’origine, au point de départ, « navettes » selon le titre d’un recueil de textes paru en 1967. Ecrire n’est qu’un «piétinant, périlleux, contournant exercice d’approche », ou, peut-être, un « jeu d’enfant »...
► Bibliographie Le Jeu d'enfant : 1. La Mise en scène, 1958, Editions de Minuit, réédition UGE-10/18. 2. Le Maintien de /'Ordre, 1961, Gallimard; 3. Été Indien, 1963, Ed.de Minuit;4. L'Échec de Nolan, 1967, Gallimard; 5. La vie sur Epsilon, 1972, Gallimard; 6. Enigma, 1973, Gallimard. 7. Our ou vingt ans après, 1974, Gallimard. 8. Fuzzy sets, 1975,10/18. Navettes, 1967, Gallimard; Exergues, à paraître; A consulter : Les actes du Colloque de Cerisy, Nouveau Roman : hier et aujourd'hui, 10/18.