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Claude CHABROL Né le 24 juin 1930 à Paris.

Un film par an pendant trente ans constitue une œuvre quantitativement impressionnante, d’autant plus que s’y ajoutent encore une quinzaine de dramatiques télévisées, au moins autant de spots publicitaires, des figurations dans les films de quelques amis et même, en 1964, la mise en scène théâtrale d'Hamlet dans l’adaptation de Thierry Maulnier. Mais cette filmographie est particulièrement déroutante car l’itinéraire créatif de Chabrol est affecté de bien troublantes circonvolutions. Certes il est le premier cinéaste de la Nouvelle Vague à tourner (Le Beau Serge en 1957), mais le premier aussi à connaître des échecs, d’abord comme producteur (de Rohmer et Rivette) puis comme réalisateur (1960-62: Les Godelureaux, L'Oeil du malin, Ophélia), ce qui l’amènera à un premier détour par le commerce (1962-65: Lan-dru, les deux Tigre et Marie-Chantal, La Ligne de démarcation). Quand il «revient» très fort avec sa série bourgeoise (1966-73 et son sommet La Femme infidèle), on est en pleine époque pré et surtout post-68. Or son cinéma ne cadre pas avec la langue de bois du temps, Sas plus qu avec le courant social de la génération 70 et la mode critique de l’approche sémiologique qui arrivent ensuite parallèlement. Aussi perd-il un peu pied et tente-t-il de prendre en marche le train de l’idéologie (Nada, 1973) avant de replonger dans le pur commerce, se caricaturant (Folies bourgeoises, 1975) ou se parodiant lui-même (Les Liens du sang, 1977). Mais le milieu des années quatre-vingt le remet brillamment en selle avec ses deux Lavardin qui le réconcilient avec la critique tandis que le public reprend goût à ses fables. Ainsi, porté au pinacle aux débuts de la Nouvelle Vague (pour des œuvres qui ne valaient peut-être pas tant d’honneur), traîné dans la boue aux premiers faux pas (et aussi à tort comme pour Les Bonnes Femmes), traité parfois avec condescendance «c’est du Chabrol»), il aurait plutôt tendance à faire aujourd’hui figure d’institution. La courbe qualitative de son œuvre épouse en tout cas celle de la santé du cinéma français : il est au plus bas au moment du reflux de la NV et replonge à nouveau quand s’effondrent à la fin de la décennie les espoirs mis dans la génération 70. Mais il est aussi de toutes les renaissances: 1958, les premières années soixante-dix, et dix ans plus tard lorsque les microstructures de production permettent de refaire souffler un peu d’air frais. Son travail peut donc servir de baromètre: quand le Chabrol nouveau est bien coté au box-office et apprécié par la critique, c’est que le cinéma national se porte bien! L’auteur possède de toutes manières une étonnante intelligence pragmatique; il a toujours su trouver les moyens de filmer, même après de nombreux insuccès ou dans des périodes tout à fait défavorables.

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Mais Chabrol est un des plus remarquables formalistes du cinéma français contemporain: entre le superbe mouvement d’appareil accompagnant le plat que la servante apporte dans Ophélia et celui qui tire la philosophie de La Femme infidèle en refermant le film sur son silence, se mesure tout le chemin séparant le brio totalement gratuit (qui devient académisme sur un sujet banal ou pur exercice de style dans les œuvres franchement mineures) d’un langage qui fait sens et dont la maîtrise, au service d’une trame policière sur fond de critique sociale, donne des chefs-d’œuvre comme Le Boucher ou La Muette. Ses intrigues présentent généralement un mécanisme (plus ou moins ingénieux) et un élément qui vient le dérégler: qui l’emportera de l’élément perturbateur ou de la force du mécanisme? Ce modèle s’adapte aussi bien au thriller qu’au film psycho-social, aux histoires hitchcockiennes qu’aux descriptions balzaciennes, l’unité de l’œuvre se trouvant au niveau de cette structure qui permet à Chabrol de se positionner par rapport à l’univers qui l’entoure pour en faire matière cinématographique. Il s’agit donc bien d’un auteur puisqu’il exprime ouvertement un point de vue. Mais cet auteur s’intéresse à la société au lieu de n’exprimer que son moi intime. C’est un esprit ouvert, libre, sarcastique, ne prenant rien au sérieux mais tout au tragique, sauf quand il a décidé d’en rire, parce qu’il ne croit plus aux vertus de l’indignation. C’est un moraliste qui, au lieu de dispenser avec austérité sa propre morale, fait la critique de toutes les morales. Mais sa vision négative du comportement des hommes ne lui ôte pas sa foi en la vie, son côté hédoniste (le goût de la bonne chère !), sa position centrale entre commerce et recherche, entre Lautner et Godard, en faisant à la fois l’enfant chéri des cinéphiles et l’éternel non-sélectionné des festivals de Cannes ou de Venise.

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