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Citoyenneté, nationalité, nation, nationalisme, État-nation, minorités...

Citoyenneté, nationalité, nation, nationalisme, État-nation, minorités... La citoyenneté comporte deux traits: 1 - "l'obligation mutuelle" liant le citoyen au souverain, par laquelle celui-ci doit au citoyen "pour la foi et l'obéissance qu'il reçoit... justice, confort, aide et protection" [Bodin, Six Livres de la République, 1583]; 2 - un ensemble de droits civils, sociaux et surtout politiques conférés par un État à des individus vivant (en majorité) sur un territoire sur lesquels il exerce son contrôle. Le premier trait réfère au lien de rattachement à un État, le second à "l'émancipation politique" qui fonde à la fois les droits des gouvernés et la légitimité des gouvernants. La nationalité réfère à l'appartenance à une communauté culturelle aux fondements divers, ethnique, linguistique, religieux ou purement historique (la nation comme "personne" ayant une histoire et/ou comme projet à réaliser dans l'avenir). Du point de vue théorique, la caractéristique de la nation moderne est qu'elle est culturellement indécidable, les signes d'appartenance sont plus importants que les critères substantiels s'appliquant à telle ou telle nation particulière. Une langue, une religion, une couleur de peau, un terroir, une manière de se vêtir peuvent être représentés comme des signes, ils ne constituent jamais à eux seuls la substance de telle ou telle nation. Il y a des Juifs qui ne sont pas israéliens, des musulmans qui ne sont pas pakistanais, des francophones qui ne sont pas français, etc. Pour la théorie politique, "la nation est à la fois le groupe politique conçu comme une collection d'individus, et en même temps, en relation avec les autres nations, l'individu politique" [L. Dumont, "Nationalisme et communalisme",in Homo Hierarchicus. Essai sur le système des castes, 1996, p. 379]. Elle peut être aussi présentée comme "une collectivité existant à l'intérieur d'un territoire clairement déterminé, assujettie à une administration unitaire, suivie et contrôlée par l'appareil d'État interne et par les États étrangers": Antony Giddens [The Nation State and Violence,1995, p. 116] en définit ainsi le type idéal pour montrer que la nation n'est pensable que par rapport à l'État-nation, et non pour affirmer, par exemple, qu'il n'y avait qu'une nation en "Algérie-France" au temps où la France administrait l'Algérie coloniale parce qu'il n'y avait qu'un État français. L'État-nation, distinct de l'État médiéval et de l'État monarchique-oligarchique, est un système politique où les fonctions exécutives, législatives et judiciaires majeures sont centralisées aux mains d'un gouvernement national, et qui permet en principe la participation politique formellement égalitaire de tous les citoyens adultes. Ces deux caractéristiques ont donné naissance à la dualité entre le gouvernement et la société. Le sentiment d'une "communauté nationale" et son corollaire, le nationalisme, constituent un pont entre le gouvernement et la société. Le nationalisme pose trois affirmations: "1 - il existe une nation dotée d'un caractère spécifique explicite; 2 - les intérêts et valeurs de cette nation ont priorité sur tout autre intérêt et valeur; 3 - la nation doit être aussi indépendante que possible, ce qui requiert la reconnaissance de sa souveraineté politique" [J. Breuilly, Nationalism and the State, 1985, p.3]. La montée du nationalisme est parallèle à celle de la citoyenneté, leur articulation parfois contradictoire faisant de l'unification politique et de sa superposition à l'unification culturelle le phénomène clé de la modernité. Le nationalisme a deux faces: 1 - une face exclusionniste quand il est instrument de lutte pour la souveraineté (c'est alors ce qu'on a pu appeler le "déterminisme national" [G. A. Macartney, National State and national Minority, 1934], processus antidémocratique qui assigne aux individus une place en fonction de leur appartenance ethnique); 2 - une face inclusionniste, quand il légitime la citoyenneté ("autodétermination", processus démocratique qui forme un groupe et légitime un gouvernement sur la base des volontés individuelles). Citoyenneté et nationalité, bien que complémentaires, emportent des conséquences potentielles contradictoires qu'Hannah Arendt avait bien perçues. La première impose à l'État de garantir équitablement des droits à tous ceux qui tombent sous sa juridiction, la seconde fait du même État l'instrument de "l'intérêt national". La contradiction était contenue dans la Révolution française où la même nation était à la fois déclarée soumise à la loi découlant des droits de l'homme universel et souveraine, c'est-à-dire ne reconnaissant aucun droit supérieur à elle-même. Mais un "deuxième type" de nationalisme est né dans les pays que la mosaïque culturelle d'ethnies, de langues et de religions vouait à l'émergence concomitante d'États nations contre les empires, traditionnels ou coloniaux, et de "minorités" plus ou moins "nationales" contre les nouveaux États-nations. Ce deuxième type de nationalisme, "oriental", pour reprendre la formation de Plamenatz, est également analysé comme découlant de la nécessité, pour des pays soumis à la diffusion d'idées et de pratiques occidentales, de se créer leurs propres identités nationales. Mais celles-ci ne pouvaient incorporer tous les patrimoines culturels présents sur le "territoire national" en voie de constitution: si un nationalisme (ou, au début, un patriotisme) indien a pour symboles les déesses hindoues, les musulmans n'y ont pas de place, ce qui ouvre la porte au communalisme, "idéologie qui insiste sur le groupe formé par les adhérents de chaque religion (dans le cas cité ici, mais le groupe peut être formé aussi par la couleur de la peau, le lignage, ou la langue) comme l'unité sociale, politique et économique, et sur la distinction et même l'antagonisme entre de tels groupes" [cité par L. Dumont, p. 377]. Ne pouvant être reconnues en fait comme citoyennes à part entière dans des États où la condition pour être citoyen est d'avoir des caractéristiques nationales déterminées, craignant que la majorité culturelle ne se tourne contre elles malgré les déclarations du gouvernement national, les minorités peuvent être tentées de transformer leur aspiration au self government culturel en revendication nationaliste. L'État-nation tel qu'il a été défini ici serait partout en crise: rien ne serait plus téméraire que d'en déduire le déclin des nationalismes et de la lutte des communalismes pour monopoliser ou se partager les pouvoirs gouvernementaux. Quand des quartiers, des groupes ou des communautés veulent échapper au contrôle de l'État-nation tout en continuant à bénéficier de ses prestations, celui-ci risque de ne plus représenter ni la loi ni la nation, mais les nations, c'est-à-dire les groupes communalistes représentant les groupes d'intérêts. Jamais la distinction entre l'État et la société n'aura été plus grande. La supranationalité est la possibilité pour des organes administratifs non nationaux d'imposer directement des normes et des décisions aux ordres juridiques nationaux internes sans que les autorités stato-nationales les aient expressément ratifiées. Tel est le mécanisme de la Communauté européenne et tel sera peut-être celui de la nouvelle URSS. Cette dissociation de la souveraineté et de la nationalité conduira peut-être la bureaucratie néo-impériale à chercher quel substitut du nationalisme peut combler le fossé qui la sépare de "sociétés" qui, parce qu'elles ont été transformées par le moule de l'État-nation, n'ont plus grand-chose à voir avec les "états", les "corporations", les guildes, les communes et les confréries, toutes ces "communautés de droits" caractérisant jadis les systèmes médiévaux, monarchiques et impériaux.

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