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cadencée

La prose cadencée est une pratique du discours qui relève de l’élocution, et qui fait problème en rhétorique normative. Inséparable des concepts de nombre et de clausule, elle pose la question des niveaux de style, et du rapport, conflictuellement oppositif, ou variablement coopératif, entre la prose et la poésie (versifiée). Quoi qu’il en soit des doctrines aussi fluctuantes que contraires à son égard, elle existe depuis les écrivains grecs et latins, et s’appréhende essentiellement pour nous en termes d’approximations rythmiques : le lecteur, ou l’auditeur, reconnaissent dans un ensemble de phrases des retours de quantités syllabiques à peu près égaux, selon des régularités plus ou moins exactes mais en tout cas mémorisables, et avec d’éventuels supports d’identités ou de parentés sonores aux principales articulations. Ex. :

Quand nous eûmes atteint ce réduit et que je l’eus quelque temps contemplé : Quoi ! dis-je à Julie en la regardant avec un œil humide, votre cœur ne vous dit-il rien ici, et ne sentez-vous point quelque émotion secrète à l’aspect d’un lieu si plein de vous?

Cet extrait de La Nouvelle Héloïse est assez clair. Les isosyllabismes (c’est-à-dire une égale quantité de syllabes entre des groupes de mots) approximatifs se répartissent de la façon suivante : autour de 9 (syllabes) pour chacun des deux premiers membres (jusqu’au deux-points) ; autour de 10 dans la seconde partie, ce qui est simple pour les membres votre... ici - ne... secrète - à... vous, et distribué en trois fois la base élémentaire 5 pour le membre Quoi... humide, ce qui ne change pas le système global et justifie une mesure de base 5, permettant de souligner le support de fins de groupes en i. L’approximation d’un côté (liée d’ailleurs à l’incertitude de la prosodie), le caractère partiel des marques sonores aux bornes de l’autre, déterminent l’incontestable appartenance de ce texte à la prose, tout en en renforçant, par cette opposition-même, l’aspect spécialement rythmique. La prose cadencée est ainsi un témoin privilégié de l’émergence du littéraire à travers le rhétorique.

=> Élocution, style, niveau; clausule, nombre, homéotéleute ; période.