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BOSSUET

Évêque français, le plus grand prédicateur du siècle de Louis XIV. Il prêcha le carême au Louvre dès 1662 et prononça les oraisons funèbres d'Anne d'Autriche (1667), d'Henriette de France, reine d'Angleterre (1669), d'Henriette d'Angleterre (1670), de Michel Le Tellier (1686), du Grand Condé (1687). Évêque de Condom (1669), puis de Meaux (1681), précepteur du Grand Dauphin de 1670 à 1681, il composa pour son élève divers traités, parmi lesquels le Discours sur l'histoire universelle (1679) et la Politique tirée de l'Écriture sainte où il se faisait le théoricien de l'absolutisme, tempéré par les exigences de la morale chrétienne. Très gallican, il apparut à l'Assemblée du clergé de 1681/82 comme le chef spirituel de l'épiscopat français. Chargé du discours d'ouverture - le Sermon sur l'unité de l'Église (9 nov. 1681) -, il joua pendant toute l'assemblée un rôle modérateur, s'efforça de ménager Rome, fit accepter un compromis sur la régale, mais n'en affirma pas moins son gallicanisme. Il rédigea la déclaration des Quatre Articles, qui proclamait les libertés de l'Église gallicane. Les dernières années de sa vie furent remplies par des luttes contre les protestants, contre Fénelon et le quiétisme, contre Richard Simon et la critique biblique naissante, enfin contre le théâtre et l'irréligion du Grand Siècle finissant.

BOSSUET

Jacques. Bénigne Bossuet, né à Dijon en 1627, mort à Meaux en 1704, a été successivement archidiacre de Metz, évêque de Condom, précepteur du Grand Dauphin et évêque de Meaux (en 1681, d'où son surnom d'« Aigle de Meaux »). C'est saint Vincent de Paul qui le tourne vers la prédication, domaine dans lequel il acquiert une grande renommée. À l'intention du Dauphin, il rédige le Discours sur l'histoire universelle. Il soutient Louis XIV dans son conflit avec le pape, combat autant les protestants que le quiétisme de Fénelon (doctrine selon laquelle la perfection chrétienne est atteinte dans la contemplation) et inspire les Déclarations sur les libertés gallicanes dont il est l'ardent défenseur. En 1690, il travaille avec Leibniz à la réunion des Églises catholiques et luthériennes. Son œuvre oratoire (les Sermons et les Oraisons funèbres), ses écrits polémiques et historiques le placent parmi les grands écrivains du classicisme. Créateur de la philosophie spiritualiste et disciple de Descartes, orateur éloquent et sublime, il a été en son temps le véritable « chef » de l'Église de France.

Prédicateur, né à Dijon. Son père occupait une charge, assez peu importante, au parlement de Bourgogne. Ordonné prêtre à vingt-cinq ans, il doit attendre encore huit années avant d’être remarqué du roi, qui l’appelle (1660) pour prêcher le carême à la chapelle du Louvre, et se voit reprocher ses amours coupables. Aussi le nouveau prédicateur attendra-t-il dix années encore la prochaine promotion. Le voilà donc, en 1670, précepteur du dauphin, morne et gros enfant que Saint-Simon nous a décrit « sans vice ni vertu, absorbé dans sa graisse et dans ses ténèbres ». Dix années, encore, avant d’être affranchi, en 1680, de cette corvée pédagogique sans espoir - qu’il a d’ailleurs trouvée pour sa part très enrichissante - et d’être nommé évêque de Meaux. Dès lors (1681), Bossuet, qui s’était institué déjà le champion de la foi (contre les athées, dits alors : « libertins ») et du dogme (contre tous les schismes, mais aussi contre la tendance janséniste au sein même de la communauté catholique), devient officiellement le protecteur de l’Église au nom du roi ; et ce, sur le triple front de l’ultramontanisme (Déclaration sur les libertés de l’Église gallicane, 1681), puis du protestantisme (il approuve la révocation de l’édit de Nantes, que d’ailleurs il n’a pas suscitée ; et il la justifie par ses écrits ultérieurs), enfin du « quiétisme », doctrine qui, selon lui, parce qu’elle encourage la fuite devant les responsabilités de la vie, et pis encore, la fuite devant les pratiques religieuses, constitue pour l’âme des fidèles le péril majeur. (En 1689, il obtiendra la condamnation en cour de Rome de ce mouvement quié-tiste, et, par contrecoup, de la position de Fénelon, trop ambiguë sur ce point.) Les œuvres de Bossuet se répartissent, d’elles-mêmes, selon trois catégories, qui correspondent à ses fonctions successives : le prédicateur, le professeur (si l’on peut dire) du dauphin, et enfin le protecteur de l’Église catholique gallicane.

Dans la première section prennent place : 1° les Sermons (sur Le Mauvais Riche, 1662 ; et, surtout, sur La Mort, 1662 : La nature nous fait signifier qu’elle ne peut pas nous laisser longtemps ce peu de matière qu’elle nous prête : elle le réclame pour d’autres formes, elle le redemande pour d’autres usages) ; 2° les Oraisons funèbres, majestueuses et surtout fastueuses constructions, analogues aux oratorios en musique de Caris-simi, à Rome : même mode d’exposition, selon deux parties qui se répondent, précédées d’une sorte d’ouverture en fanfare, l'exorde. On trouve à la même époque une « Pompe funèbre » dans maints opéras de Lulli (Alceste, par exemple). Ici comme là, le décorateur est toujours le même, Berain ; les assistants aussi sont exactement les mêmes : le roi, « les reines », les maîtresses, la cour. Et le prédicateur n’aurait garde de laisser perdre l’effet (proprement théâtral) de contraste entre l’outrecuidante opulence du cadre ou du décor, et le néant promis bientôt à ce corps enfermé là, au centre de cette immense pièce montée (Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre, 1669 ; d’Henriette de France, 1670 ; et, beaucoup plus tard, 1687 : du prince de Condé). Le « précepteur » du dauphin de France est, tour à tour, professeur d’histoire et de philosophie. Son Discours sur l’histoire universelle, d’abord (1670), explique le long enchaînement des causes particulières par la divine providence : Dieu veut-il faire des conquérants ? Il fait marcher l’épouvante devant eux, et il inspire, à eux et à leurs soldats, une hardiesse invincible [...] L’Égypte, autrefois si sage, marche enivrée, étourdie et chancelante, parce que le Seigneur a répandu l’esprit de vertige dans ses conseils [...] En un mot, il n’y a point de puissance humaine qui ne serve, malgré elle, à d’autres desseins que les siens. Quant à la Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte (rédigée pour l’instruction du dauphin, mais publiée en 1709, soit cinq ans après la mort de Bossuet), c’est une apologie de la soumission : obéir au roi c’est obéir à Dieu, donc l’obéissance qu’on doit aux rois ne doit être altérée par aucun prétexte. La servitude, c’est-à-dire la condition de serf, est bonne en elle-même ; fondamentalement, et, en quelque sorte, étymologiquement : Le mot [ancien] servi, qui, devenu odieux, a été dans son origine un terme de bienfait et de clémence, descend du mot servare, conserver. Reste l’oeuvre du protecteur de la religion, c’est-à-dire : 1° l'Histoire des variations des Églises protestantes (publiée en 1688, quatre ans après que la révocation de l’édit de Nantes eut assuré la victoire par la force de la religion catholique) ; 2° le Traité de la concupiscence (1694, à quoi se rattachent logiquement, la même année, les Maximes et réflexions sur la comédie, 1694) ; enfin, 3° la Relation sur le quiétisme (1698). Ajoutons que, dans une dernière phase de sa vie, Bossuet, loin de la cour, et comme « pour soi » (car il ne publie plus rien), rédige de courts ouvrages d’un caractère inattendu chez lui : simples de ton, dépouillés de style (Méditations sur l’Évangile, 1695 ; Élévations sur les Mystères, 1695), qui, selon l’écrivain catholique Jean Guitton, rendent l’« Aigle de Meaux » soudain très proche de nous. « Proche de nous »? Ce même auteur, dans le même livre, consacré aux « Œuvres oratoires » de Bossuet (voir la bibliographie ci-après), constate cependant que, pour le reste, « Bossuet est un étranger dans notre époque. [Il] a le malheur de concentrer tout ce qui s’éloigne de nous dans l’Antiquité, dans le christianisme, et même dans la manière de parler ou d’écrire ». En fait, ce qui l’éloigne de nous, davantage que la matière de sa foi ou sa manière d’écrire, c’est cette imperturbable et sereine certitude. Pascal est inquiet, tourmenté ; Fénelon, ondoyant, voire frémissant. Pour Bossuet, toute entorse à l’immuable dans la pensée de l’homme est un signe manifeste d’« erreur » (Histoire des variations...'); à quoi le protestant Jurieu, alors exilé, répond qu’en ces matières spirituelles, l’absence de mouvement est signe manifeste de mort. De même, le Traité de la concupiscence, ainsi que les Maximes..., prendront à partie, au nom de la ferme raison, les passions suspectes de vouloir nous égarer (ces mêmes passions que louait en définitive Descartes, dès lors qu’elles savent faire équilibre à la raison, voire l’animer). Flatter nos instincts? porter des coussins sous les coudes des pécheurs ? Non pas, mais extirpons cette racine commune de la triple concupiscence [...], la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et l’orgueil de la vie. Il nous fera honte de nos défaillances en évoquant (d’ailleurs, en un style d’un beau réalisme) le hennissement des coeurs lascifs. À la limite, il nous trouvera toujours en état de culpabilité; ou, sinon coupables, du moins : suspects de l’être (son expression familière). Rien de plus curieux chez lui que la signification, par exemple, d’un mot habituellement pris en bonne part (et, de toute façon, dénué en soi de malice) comme le mot nouveau. Ainsi dans certain développement polémique (empli, du reste, d’une vigueur, d’une fureur vengeresse et d’une verdeur qui n’appartiennent qu’à lui) dont nous extrayons cette proposition caractéristique : Tout cela me parut d’abord superbe, nouveau, inouï; et dès là, du moins, fort suspect.

Nouveau n’est-il pas, en effet, le mot le plus inquiétant pour une âme éprise des seules certitudes ? Ce qui doit être, ici-bas, selon Bossuet, c’est ce qui a été, et le lien qui relie les destinées identiques des hommes n’est nullement fictif, idéal, mais concret ; il le désigne, deux siècles avant Barrés, par une formule en deux termes : la terre, et les morts qui y reposent. Par exemple : Les hommes se sentent liés par quelque chose de fort, lorsqu’ils songent que la même terre, qui les a portés et nourris étant vivants, les recevra en son sein quand ils seront morts (Politique tirée de l’Écriture). De la même façon, ce qui doit être dans notre esprit, c’est ce qui a été depuis les origines dans l’esprit de nos pères. Lisons donc encore et toujours l’Écriture sainte ; il suffira de s’y reporter lorsqu’un doute, au passage, viendra nous effleurer, car tout est dans ce seul livre. L’abbé Bremond, dans son édition de Bossuet (Plon, 1913), s’irrite de ce renvoi perpétuel au Dieu de l’Ancien Testament et à ses prophètes : « Il y a vraiment trop loin du Sinaï à Versailles. » Il reste que cette sécurité mentale, cette intime conviction de parler au nom du Dieu qui tient, du haut des deux, les rênes de tous les royaumes, a permis au prêtre le plus docile de risquer impunément toutes les hardiesses, toutes les insolences. Il s’écriera, devant la cour réunie, et à la face du monarque superbe qui créa Versailles : Que dirons-nous, Chrétiens, et que pensera la postérité, du siècle où nous sommes ? Quand est-ce qu’on a étalé plus de titres, plus de couronnes, plus de balustres ? Et, s’élevant encore, il apostrophe à présent, bien au-delà du roi, tous les rois de la terre : Je l’ai dit, vous êtes des dieux; c’est-à-dire que vous avez dans votre autorité, vous portez sur votre front, un caractère divin [... ] Mais, ô dieux de chair et de sang, ô dieux de boue et de poussière, vous mourrez comme des hommes. De la même façon, descendu de sa chaire, c’est avec une tranquille assurance qu’il pourra, lui, fils de robin, se colleter avec le prince-archevêque de La Mothe-Fénelon ; il fera même, avant de lui mettre la face contre terre, durer un peu le plaisir (et sa Correspondance, d’un tour faussement bonhomme, en dit long sur ce point : On s’échauffe [...] on se tâte, pour ainsi dire, l’un l’autre, dans les premiers coups qu’on se porte; et quand on croit avoir senti le faible, tout ce qui suit est plus vif et plus pressant). Cette force, en définitive, il ne la sentait en lui-même que comme une simple délégation, tandis que nous y voyons, nous, aujourd’hui, une manifestation irrépressible de sa complexion sanguine. C’est lui que nous voyons apparaître dans ce portrait qu’il croit tracer du Père Bourgoing : S’il trouvait en chemin les fleurs de l'éloquence, il les entraînait plutôt avec lui par sa propre impétuosité qu’il ne les cueillait avec choix pour se parer d’un tel ornement. Le miracle du style, chez Bossuet, réside précisément dans cette maîtrise de sa propre impétuosité, comme il dit, dans le contrôle incessant d’une force, qui, loin de se complaire en elle-même, se tient sur ses gardes, et dès lors peut s’accorder par jeu de cueillir, comme il dit encore, une fleur au passage. Le souffle puissant et large, sans aucun doute ; mais aussi la retenue, et l’eurythmie. Parfois même l’abandon : la parfaite décontraction, si ce n’est la familiarité. C’est de cette mise en harmonie d’éléments différents (ce tempérament, au sens véritable où Bossuet lui-même l’emploie ; comme Bach dans son Clavier bien tempéré), c’est de ce mélange des humeurs apparemment incompatibles ou opposées qu’est fait l’art de Bossuet. C’est par là qu’il a pu prendre valeur exemplaire pendant plusieurs siècles, alors même que peu à peu sa pensée devenait plus encore qu’irritante (ou odieuse) : indifférente. Sur son nom, l’aristocrate Chateaubriand et le démocrate Hugo se réconcilièrent ; ainsi que le classique Paul Valéry et le baroque Paul Claudel. Il a été pour tout professionnel de l’écriture - qu’il fût maître ou débutant - l’exercice journalier, la gymnastique matinale.




Bossuet (Jacques, 1627-1704.) Prélat, écrivain, théologien et philosophe politique français, né à Dijon et mort à Meaux, connu en littérature pour ses célèbres Sermons et Oraisons funèbres. ♦ C'est comme précepteur du Dauphin qu'il compose son Discours sur /'Histoire universelle, où il tente de faire une synthèse de l'activité humaine et de l'ordre transcendant de la Providence divine qui ne peut produire dans l'histoire que du bien, même si ce dernier n'est pas aisément perceptible. Soucieux de rester fidèle à l’orthodoxie, il combattit protestantisme et quiétisme, et développa la philosophie politique du pouvoir de droit divin. La société, selon lui, ne procède ni d'un contrat initial ni d'une nature politique ou sociale de l'homme : elle vient de Dieu et la forme idéale de l'État est la monarchie héréditaire. Théoricien de l'absolutisme, Bossuet observe cependant que le pouvoir du monarque, bien qu’absolu, n'est pas arbitraire, dans la mesure où il doit se soumettre à une hiérarchie de valeurs : l'autorité temporelle et politique doit être au service de l'ordre moral, et l'ordre moral à celui du pouvoir spirituel et religieux. Si politiquement, le roi commande à ses sujets, moralement il doit être charitable à leur égard et assurer parmi eux le règne de la justice, enfin religieusement, il rend des comptes - « terribles » - à Dieu, seul souverain légitime à qui l'obéissance est finalement due. Bossuet maintient ainsi la distinction entre l'ordre temporel et l'ordre éternel, l'homme public et le sujet libre, la cité charnelle et la Cité de Dieu. Principales œuvres philosophiques : Discours sur l’Histoire universelle (1681) ; La Politique tirée de l’Écriture sainte (1709).

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