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BOLCHEVISME

BOLCHEVISME Doctrine et mouvement politiques des bolcheviks qui, au sein du marxisme, se présentaient comme orthodoxes par rapport aux « révisionnistes » et radicaux face aux mencheviks qui constituaient l’autre grande tendance (le marxisme révolutionnaire) de la social-démocratie russe. L’apparition du bolchevisme - né d’une querelle avec un autre groupe de révolutionnaires -, son but premier - la création d’un parti fortement discipliné -, sa trajectoire - de la clandestinité à la prise du pouvoir en tant que parti unique en octobre 1917 -, ses méthodes d’action - l’insurrection armée, la terreur et l’épuration -, sa volonté de s’universaliser - avec la création de la IIIe Internationale (Komintern), forment un tout cohérent dont l’impulsion et la théorisation sont dues à Lénine. Celui-ci est le premier leader des bolcheviks lorsqu’en 1903, au IIe congrès du Parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR), ils se séparent des mencheviks. Ces derniers imaginaient un parti rassemblant tous ceux qui se reconnaissaient dans les objectifs des marxistes révolutionnaires. Mais pour Lénine, le parti doit solidement unir des révolutionnaires professionnels. Le parti remplit deux fonctions : multiplier, tel un levier, la force des ouvriers en les organisant, et importer la conscience de classe socialiste en leur sein. En effet, et à la différence de la théorie de la conscience de classe que Karl Marx (1818-1883) a formulée dans Le Manifeste du parti communiste (début 1848), Lénine ne croit pas que la conscience de classe puisse naître de la lutte de classe des ouvriers contre les patrons car, en Russie, les prolétaires ne se trouvent pas en face d’une bourgeoisie éclairée comme celle des pays européens. Il faut donc, selon lui, que la conscience de classe vienne de l’extérieur (amenée par le parti) et qu’ainsi les combats des ouvriers revêtent un sens politique. Cette situation est liée à la spécificité de la société en Russie, pays capitaliste mais dont les rapports sociaux sont imprégnés par l’« asiatisme » de l’autocratie. Division du travail, discipline et hiérarchie. Pourvoyeur de la conscience de classe, le parti doit aussi démultiplier les forces de ses membres par une technique similaire à celle de l’usine capitaliste : division du travail, discipline et hiérarchie dans un groupe réuni par une « volonté unique » (concept clé de Lénine). Mieux vaut un parti avec peu de membres, mais semblables aux rouages d’une machine, qu’un club de discussion de style parlementaire. Ce mode d’organisation est en accord avec le moyen privilégié d’accès au pouvoir, non pas l’élection mais l’insurrection. Aussi les bolcheviks se distinguent-ils des autres marxistes lors de la révolution de 1905 en incitant à la violence armée et en regrettant que la « terreur de masse » ne soit pas plus développée. En 1912, à Prague, la fraction bolchevique du POSDR se proclame seule organisation légitime du parti : Lénine n’acceptera jamais le principe d’un parti divisé en tendances (ou en groupes par nationalité). Les bolcheviks publient légalement, à Moscou, la Pravda, mais ils ne représentent qu’un petit groupe de militants avec une poignée d’élus à la Douma (Assemblée) quand éclate la Première Guerre mondiale. Lénine engage alors une bataille contre les socialistes ralliés à la défense de la patrie : pour lui la guerre extérieure, entre deux impérialismes, doit être transformée en révolution contre son propre gouvernement. Position ultra-minoritaire mais qui vaudra aux communistes, après 1918, le ralliement de pacifistes, en France par exemple. D’autant que la révolution de février 1917 semble donner raison aux bolcheviks. Lénine impose, en avril 1917, à ses camarades réticents le mot d’ordre d’un passage immédiat à la dictature du prolétariat, alors que, selon le schéma marxiste du développement historique par stades, la Russie devrait d’abord connaître une « révolution bourgeoise ». Et il soutient que si les bolcheviks prennent le pouvoir, ils pourront le garder, seuls. Après la révolution d’Octobre, ce pronostic se réalise. Les bolcheviks éliminent tous les concurrents possibles : en dissolvant l’Assemblée constituante (en janvier 1918), ou en s’assurant le contrôle des syndicats et des soviets. La guerre civile et l’intervention étrangère de l’Entente ne sont pas des surprises pour les bolcheviks. Ils savent faire preuve d’une grande détermination, lors de la répression de l’insurrection des marins de Cronstadt en mars 1921 ou de la campagne de persécution contre l’Église orthodoxe en 1922. Mais ils peuvent aussi se montrer souples, par exemple en mettant un terme au début de l’été 1918 à la « campagne d’extermination des vampires koulaks » ou en lançant, en mars 1921, la Nouvelle Politique économique (NEP), qui réintroduit certains éléments de l’économie de marché, au moment du Xe congrès du Parti. En même temps, les règles de fonctionnement du Parti sont modifiées : les tendances n’y sont plus admises, et il doit être purgé des « déviants ». Parti unique et recours à la terreur. Le bolchevisme a instauré un dispositif de pouvoir inédit : un parti unique, lui-même épuré, met en œuvre l’épuration de la société pour la débarrasser de ses éléments nuisibles. La justification de la terreur est la construction d’une société où disparaîtront les classes sociales et où naîtra un « homme nouveau ». Un modèle qui sera appliqué et diffusé par les partis communistes qui naissent à partir des années 1920, souvent de scissions avec des partis socialistes, et se rassemblent dans la IIIe Internationale (Komintern). Les socialistes - le Français Léon Blum ou l’Allemand Karl Kautsky (1854-1938) - ne sont pas les seuls à critiquer le bolchevisme. Sa conception des rapports entre la classe ouvrière et le Parti avait été attaquée, dès 1903, par des militants radicaux, telle Rosa Luxemburg. De la même façon, les partisans du communisme des conseils reprocheront aux bolcheviks d’avoir imposé le primat de l’organisation autoritaire sur le mouvement spontané des masses. Ce à quoi Lénine répondra qu’aucune action n’est possible sans chef. L’éloge de la violence, de la nécessité de l’autorité explique que le bolchevisme ait pu faire figure de modèle aux yeux de révolutionnaires conservateurs, en Allemagne particulièrement. Lénine lui-même avait dit, en 1922, qu’il n’y aurait bientôt plus le choix qu’entre la terreur rouge et la terreur blanche (fasciste). De ce duel annoncé entre les deux totalitarismes, le communisme allait sortir provisoirement vainqueur, au prix d’une alliance temporaire avec les démocraties. C’est aussi un compromis - l’intégralité du pouvoir politique confié au Parti, mais une forme de liberté économique - qui permettra à l’héritage du bolchevisme de se perpétuer à la fin du xxe siècle en Chine.

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