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Bilan de l'ONU à son quarantième anniversaire

Bilan de l'ONU à son quarantième anniversaire Célébré en 1985, le quarantième anniversaire des Nations Unies a été, comme il convenait, l'occasion d'un bilan. Malgré les réserves et les critiques à l'égard d'une organisation qui traverse une crise politique et de structures, ce bilan mérite d'être nuancé. Le jugement des Français semble être plutôt favorable puisque, selon un sondage international réalisé en 1985, 47% d'entre eux estimaient que l'ONU faisait du "bon travail" (et 25% du mauvais). Et cette opinion était encore plus favorable aux États-Unis (51%). C'est pourtant l'année de l'anniversaire de la Charte des Nations Unies, signée le 25 juin 1945, à San Francisco, que la droite du Parti républicain a choisie pour demander que la contribution américaine à l'organisation internationale soit ramenée de 25 à 5% en 1987 ... si les États-Unis ne parvenaient pas à disposer, du moins sur les questions budgétaires, d'un pouvoir de vote proportionnel à leur participation financière. Par cette menace, véritable remise en cause du principe d'universalité des Nations Unies, les ultras conservateurs et isolationnistes reaganiens ont voulu signifier qu'ils ne voulaient plus que leur pays subventionne, en quelque sorte, une institution dont la politique était à leur avis fort peu conforme aux intérêts américains. Certains orateurs ne s'en servent-ils pas comme tribune pour dénoncer "l'impérialisme américain"? N'y voit-on pas des "majorités automatiques", soutenues parfois par les pays de l'Est, plus ou moins hostiles aux États-Unis? Il n'est cependant nullement question que ceux-ci se retirent d'une institution qui, à une autre époque, s'inspira largement des idéaux américains. L'administration Reagan y regardera à deux fois, même après avoir décidé le départ des États-Unis de l'UNESCO, devenu effectif en janvier 1985. Mais l'ensemble du système des Nations Unies a, de ce fait, reçu un nouveau et sérieux coup de semonce. Et il doit observer une rigueur budgétaire encore plus grande. Paix et désarmement Il est vrai que la crise, "l'inefficacité" des Nations Unies, sont plutôt mises en avant par ceux qui estiment que l'organisation ne peut jouer, en matière de "paix, sécurité et désarmement", le rôle dévolu par ses inspirateurs dans un monde où le statu quo repose sur l'équilibre des forces entre les deux supergrands. Les arguments ne manquent pas pour dénoncer "l'impuissance", "les pesanteurs bureaucratiques", "l'inutilité" de l'ONU, en premier lieu de son Assemblée générale - forum universel de cent cinquante-neuf membres (en 1985) - où chaque année des discours répétitifs servent d'exutoire à de nombreux États. L'Assemblée générale reflète pourtant la diversité et les tensions multiples d'un monde multipolaire, et les clivages s'y font, tout compte fait, plus autour d'intérêts divers (régionaux, politiques, idéologiques, économiques), qu'au nom des antagonismes Est-Ouest ou Nord-Sud. Certes, ses prises de position sont des résolutions qui n'ont valeur que de recommandation dont l'application n'a pas un caractère obligatoire. Mais ses votes sur des questions comme celles du Cambodge, de l'Afghanistan, du Proche-Orient, de l'Afrique du Sud ou de Chypre, constituent autant d'avertissements et de pressions morales et politiques sur les États méprisant le droit et les principes au nom desquels ont été fondées les Nations Unies. Le Conseil de sécurité - composé de quinze membres, dont cinq permanents: États-Unis, URSS, Royaume-Uni, France, Chine - fonctionne, lui, en principe, comme une soupape de sûreté décidant, en cas de conflit local, "des mesures pour maintenir ou restaurer la paix et la sécurité". Mais ses travaux, parfois tendus, s'achèvent fréquemment sans décision, le veto de l'un des cinq membres permanents pouvant les paralyser. Il est toutefois parvenu à arracher des cessez-le-feu dans le cas de guerres-éclair entre Israël et les pays arabes (1967, 1973), l'Inde et le Pakistan (1965, 1971), l'Inde et la Chine (1962), mais il n'a pu empêcher la prolongation de nombreux conflits dans le tiers monde. Aussi bien est-il peu surprenant que les missions de bons offices menées par l'ONU dans le conflit Irak-Iran ou l'Afghanistan n'aient pu aboutir à des résultats. En revanche, ses efforts de médiation ont permis la réouverture en 1984, et la poursuite en 1985, du dialogue entre représentants des communautés chypriotes turque et grecque. A Chypre, comme au Golan et au Liban, l'ONU entretient des forces chargées du "maintien de la paix", si l'on peut dire, mais, pour plusieurs autres zones de tension, les dossiers restent ouverts. On ne saurait juger l'oeuvre des Nations Unies sans souligner que l'organisation a été au coeur du processus de décolonisation qui s'est traduit par l'indépendance - et l'entrée à l'ONU - d'une cinquantaine d'États. Cette mutation n'est pas achevée puisque quelque vingt à trente territoires, petits pour la plupart, ne sont pas encore souverains. Mais l'ONU a poursuivi, au sujet de la Namibie par exemple, une guerre d'usure, diplomatique et politique, que l'Afrique du Sud ne pourra pas toujours ignorer. Et le Conseil de sécurité a déclaré nulle, en 1985, la décision de Prétoria d'établir un "gouvernement intérimaire" sur ce territoire. Ses résultats dans le domaine de la paix et du désarmement sont à l'image de la situation militaire mondiale, décevants ou encourageants, selon le point de vue où l'on se place. Il est évident que le travail de l'organisation internationale en ce domaine n'a pas empêché les dépenses d'armements de croître de façon impressionnante, et les conflits de se développer, généralement dans les pays du tiers monde. Si l'ONU a tout de même obtenu la limitation des essais pour la fabrication d'armes nucléaires (mais pas des expériences souterraines) et d'autres résultats limitant certains types d'armes, elles n'a enregistré aucune avancée, au début des années quatre-vingt, en matière de non-prolifération des armes nucléaires ou de réduction des armements stratégiques. Conséquence de "l'équilibre de la terreur", la rencontre au sommet Reagan-Gorbatchev en novembre 1985 a abouti, sur les forces nucléaires intermédiaires (euromissiles), à des résultats plus rapides. Cependant, l'ONU sert de cadre, non seulement à certaines négociations sur le désarmement - ce qui correspond à sa vocation - comme celles qui se sont déroulées à Genève en 1985 et 1986 en vue de "promouvoir, sous un contrôle efficace, un désarmement général et complet" (!), mais aussi à diverses initiatives (discours, contacts diplomatiques...) ; par ses études, elle fait progresser la connaissance des effets économiques et sociaux désastreux de la course aux armements. Ces efforts devaient aboutir à la réunion, à Paris, d'une conférence pour examiner dans quelle mesure une partie des ressources consacrées à la défense pourrait être allouée au développement, problème devant lequel les principaux producteurs d'armes sont généralement les premiers à se dérober. Initialement prévue en juillet 1986, elle a été reportée en 1987 à la demande du gouvernement français. Un important arsenal législatif L'ONU ne bouleverse pas, ce faisant, les rapports de forces mondiaux, mais elle alimente, comme on dit, la prise de conscience universelle. Il en est de même de son action dans le domaine de la législation internationale: environ trois cent cinquante traités, conventions, chartes ont été signés en quarante ans. Certains de ces textes - concernant les droits de la femme et de l'enfant, se prononçant contre le racisme, la torture, ou en faveur des droits économiques des États, etc. - inspirent parfois le scepticisme. Du moins existe-t-il ainsi un arsenal législatif très laborieusement négocié, prenant en compte tous les intérêts concernés, en faveur d'un monde meilleur, quand bien même il n'empêche pas les violations. La Convention sur le droit de la mer représente le texte le plus important dans ce domaine ; mis au point au terme de négociations complexes dans le cadre des Nations Unies - elles se sont poursuivies pendant dix ans -, elle définit l'utilisation des mers, "patrimoine commun de l'humanité", au profit des hommes et d'abord des pays riverains du tiers monde. (Les États-Unis n'ont pas signé ce texte.) L'aide au développement Où ailleurs qu'à l'ONU peuvent avoir lieu, sur une base démocratique, de telles négociations à l'échelle mondiale? S'il convient de relativiser le rôle de l'ONU, force est de constater qu'elle représente un irremplaçable forum de négociations et un organe de référence, sinon de sauvegarde, en particulier pour les petits pays. Ceux-ci sont très sensibles à son action dans les secteurs économiques et sociaux auxquels sont consacrés 70 à 80% des ressources de l'Organisation. En fait, le système des Nations Unies comprend une trentaine d'institutions spécialisées, ayant chacune leur domaine d'activité propre (alimentation, femme et enfant, population, développement, santé, industrialisation, emploi, réfugiés...). Ce réseau, qui continue de s'étendre, distribue nettement moins d'assistance multilatérale au développement que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, institutions plus autonomes, où comme au GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) les grandes puissances tiennent le haut du pavé, et pèsent, de ce fait, fortement sur l'orientation des politiques économiques. Toutes les agences spécialisées constituent, en revanche, de précieux instruments d'assistance technique et financière pour les pays en développement les plus pauvres. La CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) a, de plus, contribué à mobiliser l'aide publique en faveur des pays les moins avancés (PMA) ; elle s'est montrée, d'une façon générale, à l'écoute des préoccupations des pays en développement. Mais son action, pour placer le commerce véritablement au service du développement du tiers monde, s'est heurtée au manque de bonne volonté, sinon à la fin de non-recevoir, des pays industrialisés, et du plus puissant d'entre eux, les États-Unis. Le même manque de volonté politique a été la cause de l'échec de l'initiative sans doute la plus importante de l'ONU en matière de coopération internationale pour le développement (outre l'ambitieuse "Stratégie de développement pour la décennie" qui s'est révélée être finalement un document avant tout verbal, sinon verbeux, et en aucun cas opérationnel): le projet de lancement de négociations globales universelles sur tous les chapitres de cette coopération. Cet échec est considéré comme le plus sérieux qu'ait connu dans ce domaine les Nations Unies. Le projet était à coup sûr trop vaste ; il s'est enlisé dans les discussions préparatoires aux négociations globales, parce que les États-Unis (tout comme la Grande-Bretagne et la République fédérale d'Allemagne) étaient opposés au lancement de ces négociations, mais aussi du fait de la perte d'influence progressive des pays en développement (crise de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole, de la dette, intérêts divergents). L'esprit de changement prôné par les "77" - le groupe des pays en développement de l'ONU - s'est heurté aux dures réalités des rapports Nord-Sud et des termes de l'échange. Le recul ainsi marqué par le concept de "Nouvel ordre économique international" est aussi celui d'une démarche volontariste, profondément réformatrice, qui n'est plus guère de saison dès lors que le reaganisme entretient l'idéologie de l'économie de marché. Dans ces conditions, il n'en est que plus délicat, à l'ONU, de venir à bout de la rédaction d'un code "de bonne conduite" des multinationales, pourtant aux trois quarts rédigé. L'ONU n'en a pas moins effectué un énorme travail d'investigation. Plusieurs conférences thématiques (sur les PMA, la population, l'environnement, la femme, etc.) auront même renforcé l'intérêt international pour ces questions. Les revers qu'elle a connus ont souligné l'un des traits majeurs de l'action de l'ONU: sa tendance à toucher à tout, pour satisfaire les innombrables préoccupations de tous ses membres alors que son pouvoir est relativement modeste et que ses ressources sont fort limitées (800 millions de dollars, pour le siège, à New York). Les conflits politiques et idéologiques entre les pays membres, la nécessité de rechercher constamment des consensus minimaux, ont freiné ou même paralysé ses capacités d'intervention. Le secrétaire général, Javier Perez de Cuellar, a reconnu d'ailleurs, à l'occasion du quarantième anniversaire, que l'institution devait devenir plus efficace. Des idées de réformes ont été avancées: limiter le nombre de conférences internationales ; celui des dossiers à traiter aux affaires urgentes ; permettre au Conseil de sécurité de jouer un rôle dans la prévention des conflits ; coordonner les activités des agences spécialisées ; "restructurer" l'ensemble du système ; créer une "ONU économique". Mais c'est dans le domaine de la paix, si l'on s'en tient à l'esprit de la Charte de San Francisco, et des moyens à mettre en oeuvre pour désamorcer les conflits potentiels ou ouverts, que le plus d'efforts restent à faire, comme l'a admis le secrétaire général lui-même.

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