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Bertrand BLIER

Fils du comédien Bernard Blier, il est stagiaire dans le cinéma dès ses études secondaires terminées, et assistant de Georges Lautner en 1960-61 tout en réalisant de nombreux documentaires. A 22 ans, il profite de la mode du «cinéma vérité» pour réaliser Hitler, connais pas, qui met littéralement à plat les techniques du direct. «Collant» des jeunes de l’époque sur un fond noir de studio (on pense au mur blanc d’Antonioni pour Tentato Suicidio), il emploie l’objectivité clinique à la place du naturalisme attendu, et peint, en creux, le portrait d’une formidable ignorance. Mais après ce départ trop rapide, Blier se cherche et pense même un temps trouver sa voie dans la littérature. De fait, Les Valseuses, Beau-Père et Tenue de soirée seront d ’ abord romans avant de devenir films, et, écrivant en 1971 Laisse aller, c’est une valse pour Georges Lautner, Blier ne dédaigne pas en 1987 encore de rédiger pour Claude Miller le scénario du Charme des gares, qui ne sera finalement pas réalisé. Depuis Les Valseuses, «fruit d’une immense colère, conçu comme un attentat délibéré contre le public», ainsi qu’il le dit lui-même, Blier cultive la provocation systématique: «Un des devoirs du cinéma est de secouer J’aime bien la grossièreté, la truculence, la verdeur. En revanche, ce que je n’aime pas au cinéma, c’est la poésie, l'esthétisme, les beaux mouvements d’appareil (...). Pour moi, une histoire d’amour, c’est une scène de ménage. Je trouve que les véritables passions, on les voit vraiment quand les gens s’étripent.» De fait, s’il lui arrive de changer de registre, de la démesure de Calmos à la sagesse de Préparez vos mouchoirs, sa suite de variations sur la bêtise, incarnée par des personnages outrés qui ne favorisent guère l’identification, lui vaut régulièrement les accusations de misogynie, de vulgarité et de cynisme qu’il lui est difficile de réfuter totalement, sinon en corrigeant quelque peu les qualificatifs pour parler d anticonformisme ou de moralisme grinçant. Si, en pleine vogue du féminisme, Calmos fait voler en éclats les bornes de l’abjection, Blier cultive surtout un goût très prononcé pour l’esprit des séries B avec son cadre policier et ses énormes poncifs qu’il découpe à la hache. Ses scénarios de mauvaise humeur sont visiblement écrits pour que le spectateur «en prenne plein la gueule» dès l’ouverture Brutale, où les situations insolites agressent par leur humour de mauvaise foi. Bâties sur des paradoxes, ses histoires sont ensuite poussées inexorablement jusqu’au délire, selon une logique de l’absurde qui oscille entre le fantastique surréaliste et le malaise à la Beckett. Cauchemars éveillés où des paumés s’enfoncent dans le sordide, ses films d’un pessimisme glauque développent un sens du tragique assez déconcertant au milieu de tant de grossièreté. Frappant très fort et de tous les côtés à la fois, Blier tourne au premier degré des scénarios faits pour être reçus au second. Plutôt que de films irréalistes, il faudrait varier d’œuvres antiréalistes, dont la crudité déconcerte malgré l’extrême économie de moyens proprement cinématographiques (les courtes focales de Buffet froid). Stylistiquement, le cinéaste aime jouer sur l’ellipse qui vient creuser des vides dans la tension d’une dramaturgie rigoureuse; ainsi, quelques vifs mouvements de tendresse endiguent parfois l’océan de noirceur. Mais chaque fois de prodigieux numéros d’acteurs dynamisent les situations les plus impossibles et font passer les acidités les plus indigestes. Si les «véhicules» construits trop rapidement pour Coluche {La Femme de mon pote) et Alain Delon {Notre histoire) n ont pas apporté les changements souhaités par les acteurs eux-mêmes dans leur image de marque, Gérard Depardieu, Patrick Dewaere et Miou-Miou sont propulsés par Les Valseuses au panthéon des stars tandis que Tenue de soirée tient la gageure de faire un succès public et critique avec un film de mauvaise compagnie. Dans le cinéma français, Blier ne peut guère être comparé qu’à Mocky dont il partage la hargne mais non le romantisme. A la fin des années 1980, son insolence est plus que jamais de salubrité publique.

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