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Bernard Noël

Bernard Noël est né en 1930. En 1968 il publie son premier recueil de poèmes : Extraits du corps. Mais ce sont ses romans, Le château de Cène et surtout Les premiers mots en 1973 qui l’imposeront comme l’un des écrivains les plus remarquables d’aujourd’hui et feront reconnaître du même coup l’importance de son œuvre poétique. Très vite, Bernard Noël devient une référence pour de jeunes écrivains et pour des revues d’avant-garde. Critique, il collabore à La Quinzaine Littéraire. « Les mots crèvent au ras de ma peau. » Cette première phrase du premier poème d'Extraits du corps, on peut la lire aujourd’hui comme ouverture et exergue de toute l’œuvre de Bernard Noël. Celle-ci, en un sens ne dit rien d’autre que la relation profonde, parfois torturante et tragique, entre l’individu, en tant qu’être physique, et sa parole, entre la chair et le verbe. D’entrée de jeu, Bernard Noël refuse la vieille dichotomie du corps et de l’âme, de la matière et du souffle. Celle-ci avait pour conséquence de faire du discours le témoignage évident du spirituel et si le langage pouvait parler du corps, de ses voluptés et de ses sanies, c’était comme de l’extérieur, sans être véritablement concerné. Chez Bernard Noël d'Extraits du corps aux Premiers mots, le langage est compromis avec le corps. Il n’en parle pas impunément et le corps est ce qui parle en nous, qui dit effort, calme, souffrance, désir, plaisir, etc. Ce sont la langue et la gorge qui émettent les sons : murmure, chants, bavardage, cris, râles, soupirs, plaintes, rires. Aussi bien, dès ses premiers textes, Bernard Noël fait plus qu’exprimer le corps dans ses profondeurs organiques : la fibre des nerfs, la texture fragile du poumon, le gluant, l’opaque — lé particulièrement pourrissable — des viscères, la netteté de l’os, il tente de traduire ce que dit le corps, de donner la parole à ce qu’il y a en nous de plus refoulé : « Il y a des perceptions à nerfs, à squelette et à chair. J’avance de l’une à l’autre, comme à travers les bandes d’un spectre. » Avancée qui se fait aux frontières du silence. Et du cri. Quinze ans après Extraits du corps, le roman Les premiers mots commence ainsi :« Tu ne cries pas. Tu ne crieras pas. Tu sens une buée monter de ta bouche. Tu fixes obstinément le même point blanc. Tu ne te demandes pas pourquoi tes tempes sont si étroites. Tu as le fond des yeux brûlant. Tu plies et déplies tes doigts. Tu as oublié ce que tu fais et même que tu marches, et que ce sont tes pas, autant que toi, qui répètent le nom. » Le cri est retenu. Mais un balbutiement, un murmure qui se fait litanie habitent la gorge, la marche, les expriment. Ce qui devrait se dire, ce qui se dira, depuis l’expérience de l’absence, du chagrin, depuis une sorte de creux viscéral et douloureux, a à faire avec le corps. Quel est le thème du roman tel qu’il se dégage d’un texte très serré, sans intrigue soulignée, d’une partition de mots — à trois voix et, comme toute partition, parfaitement structurée ? Un homme vient de mourir. Une femme qui fut sa maîtresse, un homme qui fut son ami vivent ce creux — dans leur vie, au dedans d’eux mêmes — que crée sa disparition. Ils sont là, se parlent, parlent de lui, écoutent leurs souvenirs, leurs fantasmes, se communiquent parfois, aux frontières du silence, car c’est alors dans la souffrance et le deuil, que le corps parle en eux. Finalement, trois voix tissent la trame du texte, se répondent, se nouent, se délacent, se reprennent dans l’alternance et l’échange du tu du je et du il, trois voix qui sont celles des deux vivants et celle — mais d’où venue, proférée par quelle bouche, de quel heu et en quel temps ? — du mort. Ces trois voix se fondent dans une même écriture, qui pourrait bien être, à double titre une écriture du corps : écriture où le corps est dit, dans ses faiblesses, ses élans, ses profondeurs, et où il s’exprime. Là encore, les mots crèvent au ras de la peau. Ainsi la démarche de Bernard Noël s’est développée de façon cohérente. Poèmes, essais — ou encore Le Château de Cène, roman érotique d’une singulière intensité, dépassant les lois du genre et où la chair, le désir, le plaisir étaient à la fois exaltés et mis à la question — n’ont cessé d’aller dans le sens du dépouillement, du dénude-ment. Si la réalité et l’écriture sont mises à nu, c’est jusqu’à l’os, jusqu’à la racine des mots, du sens. « C’est sans doute l'esprit qui souille la chair », dit Ora, au terme du Château de Cène. Soucieux de retrouver une pureté, une évidence premières du corps et de la parole, Bernard Noël gomme tout ce qui dans le poème ou le récit pourrait être surajouté : effet poétique, élégance facile, interprétation psychologique ou philosophique. Mais s’en tenant à la rigueur, recherchant ce neutre dont parle Maurice Blanchot à qui il a consacré en collaboration avec Roger Laporte, un remarquable essai, il en dit finalement plus, d’une manière plus aiguë, plus efficace, plus irréfutable, que bien des discours philosophiques. Cela ne l’empêche point, au contraire, d’être un poète incisif, troublant, qui nous oblige à regarder jusqu’à l’innommable et qui est bien près de dire l’indicible. Mais cet indicible, n’est-il pas d’abord perceptible au dedans de nous ? tais-toi le creux du ciel est le dessous d’un crâne où trop de mouches font la scie dit Bernard Noël dans La peau et les mots.

► Bibliographie

Poèmes

Extraits du corps, 1958 éditions de Minuit; La face de silence, 1967 Flammarion; La peau et les mots, 1972 Flammarion coll. Textes, (ce volume regroupe toute l'œuvre poétique de 1954 à 1972 à l'exception de La face de silence} ; Le livre de Coline, 1974 Fata Morgana, illustré par Colette-Deblé; L'été langue morte, 1976 Fata Morgana, en collaboration avec André Velter; La chute d'Icare, 1976 Fata Morgana; Récits, romans Une messe blanche, 1970 Fata Morgana; Le Château de Cène, 1971 J. J. Pauvert; Le Château de Cène suivi de L'outrage aux mots, 1975 J.J. Pauvert; Les premiers mots, 1973 Textes Flammarion;

Essais

Le lieu des signes, 1971 Pauvert; Deux lectures de Maurice Blanchot, 1973 Fata Morgana, (en collaboration avec Roger Laporte); Treize cases du Je, 1975 Flammarion; Histoire Art Mexicain, 1968 Fernand Hazan; Dictionnaire de la Commune, 1971 Fernand Hazan;

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