Bergson: La liberté se confond-elle avec la réalisation de soi-même ?
Bergson: La liberté se confond-elle avec la réalisation de soi-même ?
Nous accorderons d'ailleurs au déterminisme que nous abdiquons souvent notre liberté dans des circonstances plus graves, et que, par inertie ou mollesse, nous laissons ce même processus local s'accomplir alors que notre personnalité tout entière devrait pour ainsi dire vibrer. Quand nos amis les plus sûrs s'accordent à nous conseiller un acte important, les sentiments qu'ils expriment avec tant d'insistance viennent se poser à la surface de notre moi, et s'y solidifier à la manière des idées dont nous parlions tout à l'heure. Petit à petit ils formeront une croûte épaisse qui recouvrira nos sentiments personnels ; nous croirons agir librement, et c'est seulement en y réfléchissant plus tard que nous reconnaîtrons notre erreur. Mais aussi, au moment où l'acte va s'accomplir, il n'est pas rare qu'une révolte se produise. C'est le moi d'en bas qui remonte à la surface. C'est la croûte extérieure qui éclate, cédant à une irrésistible poussée. Il s'opérait donc, dans les profondeurs de ce moi, et au-dessous de ces arguments très raisonnablement juxtaposés, un bouillonnement et par là même une tension croissante de sentiments et d'idées, non point inconscients sans doute, mais auxquels nous ne voulions pas prendre garde. En y réfléchissant bien, en recueillant avec soin nos souvenirs, nous verrons que nous avons formé nous-mêmes ces idées, nous-mêmes vécu ces sentiments, mais que, par une inexplicable répugnance à vouloir, nous les avions repoussés dans les profondeurs obscures de notre être chaque fois qu'ils émergeaient à la surface. Et c'est pourquoi nous cherchons en vain à expliquer notre brusque changement de résolution par les circonstances apparentes qui le précédèrent. Nous voulons savoir en vertu de quelle raison nous nous sommes décidés, et nous trouvons que nous nous sommes décidés sans raison, peut-être même contre toute raison. Mais c’est là précisément, dans certains cas, la meilleure des raisons. Car l'action accomplie n'exprime plus alors telle idée superficielle, presque extérieure à nous, distincte et facile à exprimer : elle répond à l'ensemble de nos sentiments, de nos pensées et de nos aspirations les plus intimes, à cette conception particulière de la vie qui est l'équivalent de toute notre expérience passée, bref, à notre idée personnelle du bonheur et de l'honneur. [...]. Bref, nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l'expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu'on trouve parfois entre l'œuvre et l'artiste.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Qu’est-ce que « le moi d’en bas » pour Bergson ? 2 En quoi consiste la liberté pour Bergson ? 3 Qu’exprime l’action libre pour Bergson ?
1 - La personnalité profonde et authentique, construite dans la durée, par opposition au moi superficiel et influençable. 2 - En une « irrésistible poussée » du « moi d'en bas » faisant éclater la croûte extérieure du moi superficiel faite d'automatismes, d'inertie et de mollesse. 3 - Elle exprime l’ensemble de nos sentiments, de nos pensées, de nos aspirations, toute notre expérience passée, notre idée personnelle du bonheur, notre personnalité tout entière.Liens utiles
- la liberté chez Bergson
- "L'Histoire est la réalisation de l'idée de liberté.
- "On appelle liberté le rapport du moi concret à l'acte qu'il accomplit. Ce rapport est indéfinissable, précisément parce que nous sommes libres." Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience. Commentez cette citation. ?
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