BEAUMARCHAIS (PIERRE AUGUSTE CARON DE)
BEAUMARCHAIS (PIERRE AUGUSTE CARON DE)
Écrivain français (1732-1799; né et mort à Paris). D'abord horloger, comme son père, il occupe ensuite les fonctions de maître de harpe et de guitare des filles de Louis XV. Devenu secrétaire du roi (1761), anobli, il est cependant éloigné de la Cour à cause de ses relations avec une des jeunes princesses. Il se lance alors dans la spéculation, non sans être mêlé parfois à des affaires assez douteuses ; il fait notamment fortune en fournissant des armes et des munitions aux Américains insurgés contre l'Angleterre. Des nombreux procès qu'il soutient, l'un le conduit à rédiger, pour sa défense, des Mémoires qui assurent son succès grâce à la façon brillante dont il s'y justifie tout en attaquant les abus de la justice sous l'Ancien Régime. Mais la célébrité lui vient surtout du théâtre. Deux pièces, entre autres, font sa fortune et sa réputation : Le Barbier de Séville (1775) et Le Mariage de Figaro (1784) dans lesquels il pressent les libertés de la Révolution française approchante.
BEAUMARCHAIS Pierre Augustin Caron de
1732-1799 Auteur dramatique, né à Paris. D’abord horloger - comme son père -, prodigieusement doué dans tous les domaines et ambitieux, on le voit très vite à la cour, où il donne des leçons de harpe aux sœurs de Louis XVI. Puis il achète le titre de secrétaire du roi, et, du même coup, s’anoblit. Friand d’affaires politiques ou financières, d’intrigues et de procès, il est condamné, sur rapport d’un certain conseiller Goèzman, et s’en venge bientôt dans un pamphlet, féroce et savoureux (Mémoires contre Goèzman, 1774), qui sera son premier succès littéraire. Au surplus, tout au long de sa vie, la littérature ne fut jamais pour lui qu’une activité secondaire : J’ai été trop sérieusement occupé pour chercher autre chose qu’un honnête délassement dans les lettres. Il n’en sera pas moins, à la suite d’une querelle avec les interprètes de son Barbier de Séville (1775), le fondateur de la Société des auteurs dramatiques, embryon de la future Société des gens de lettres. Dix années s’écoulent entre le succès du Barbier et la représentation de sa « suite », Le Mariage de Figaro (1784) : c’est qu’il est alors aux prises avec la censure depuis 1778. En outre, agent secret de Louis XVI, il s’affaire à envoyer des armes aux « insurgents » d’Amérique, dressés contre la couronne d’Angleterre. Après le triomphe du Mariage, emprisonné à Saint-Lazare, il est relâché très vite. La Révolution, qui éclate cinq ans plus tard, le retrouve chargé de mission, puis bientôt suspect ; et, à ce titre, incarcéré à l’Abbaye. Il se réfugie un instant à Hambourg, revient en 1796 et meurt trois ans après, très désargenté, et, surtout, très oublié. Une dernière pièce de théâtre, La Mère coupable était passée presque inaperçue ; on y retrouvait le personnage de Figaro, mais le pétulant valet, devenu moral selon le goût du jour, y faisait peine à voir. Une reprise (courageuse) en 1992, à la Comédie-Française, n’a pu sauver l’œuvre qui porte trop bien sa date : 1792. L’œuvre de Beaumarchais se réduit au total à deux pièces, deux comédies d’esprit satirique : Le Barbier de Séville et Le Mariage de Figaro. La première ne se veut pas encore autre chose qu’une « comédie d’intrigue », du type le plus traditionnel : un aimable aristocrate pénètre chez une belle à la faveur de déguisements successifs (professeur de musique, puis soldat muni d’un « billet de logement ») et triomphe à tous coups d’un vieux tuteur jaloux. Le fait nouveau, toutefois, c’est que le jeune seigneur, Almaviva, n’est pas ici le héros sympathique, ni même un héros véritable : simple « profil perdu », humble faire valoir du roturier Figaro, barbier-chirurgien-poète (et domestique occasionnel), qui usurpe le premier rang dans la pièce. Il figure ici le tiers état : actif, intelligent, et, plus encore, courageux. Ce n’est plus le lâche Sganarelle (dans le Don Juan de Molière) mais le représentant d’une « classe montante », qui se sent déjà de taille à injurier une noblesse affadie par le désœuvrement. Vous vous êtes donné la peine de naître, rien de plus, dira Figaro dans Le Mariage..., qui va marquer d’ailleurs, à dix ans de distance, l’évolution rapide des rapports de forces. Figaro, cette fois, ne se trouve plus seulement, vis-à-vis du joli seigneur, en position de revendication, mais en position de rivalité : le comte Almaviva convoite la fiancée d’un de ses manants et s’agace des obstacles que dresse ce plébéien devant chacun de ses pas. C’est le noble au demeurant qui va perdre, et devra - de fort mauvais gré - lâcher prise. Le célèbre monologue de Figaro, au début de l’acte V, nous laisse prendre la mesure de ce qu’un auteur pouvait alors se permettre, en matière d’insolences à l’adresse des « grands » ; car Beaumarchais n’était pas homme à risquer un échec (et sa comédie fut en effet un retentissant triomphe, très savamment préparé). "Pièce politique", a-t-on dit parfois. Sans aucun doute. Mais en fait c’est avant toute chose un vaudeville, comme Le Barbier, c’est-à-dire une « comédie mêlée de chansons sur des airs connus » ; genre satirique alors toléré depuis deux siècles par les censeurs royaux, eu égard à son irremplaçable pouvoir de « purgation des passions » sur le plan politique. On a récemment retrouvé dans les répertoires du type Chansonniers ou Clefs du caveau, imprimés à l’époque, un certain nombre de ces « timbres », « ponts-neufs » et « airs connus », utilisés par Beaumarchais dans Le Barbier et Le Mariage (l’un d’eux, d’ailleurs, n’a pas cessé de vivre dans la tradition populaire : c’est l’« air de Malbrough » qu’emprunte la chanson de Chérubin à l’acte III). Vaudevilles d’abord, par conséquent, plutôt que pamphlets, ces deux pièces restent - et c’est très bien ainsi - des œuvres de divertissement. Ou mieux : de fantaisie. D’une fantaisie raffinée, ailée, et même, plus d’une fois, poétique, dans la lignée du Sicilien de Molière ou des Folies amoureuses de Regnard ; moins fine, peut-être, que ces deux modèles classiques, mais d’un rythme plus vif encore. La succession des jeux de scène et le feu roulant des répliques est tel, que le public du temps se plaignait de « n’avoir pas même le temps d’éternuer ». Seul Labiche retrouvera ce vent de folie, qui est à mettre au compte d’un art subtil et méticuleux du mouvement scénique.
BEAUMARCHAIS Pierre Augustin Caron de. Né à Paris, le 24 janvier 1732, mort à Paris le 18 mai 1799. Fils d’un horloger en renom, il reçut une instruction solide. Dès sa jeunesse, il manifesta un goût très vif pour la musique et les belles lettres ; sous la direction paternelle il s’initia si bien à l’horlogerie qu’à vingt ans il imagina, pour les montres, un ingénieux échappement. Lepaute, horloger célèbre, ayant eu connaissance de cette trouvaille, chercha à se l’approprier, mais le jeune inventeur lui intenta un procès devant l’Académie des Sciences et il le gagna en 1754. Il mit aussitôt à profit la notoriété ainsi acquise et il obtint le titre d’horloger du roi. Il fabriqua pour le souverain, pour la famille royale et pour la cour, des pendulettes, des montres plates et, enfin, pour Mme de Pompadour, une montre sertie dans le chaton d’une bague. Il séduisit la jeune épouse du contrôleur clerc d’office de la Maison du roi, Pierre Augustin Francquet, âgé de cinquante ans. Celui-ci se prit d amitié pour le sémillant horloger et, se sentant las de sa charge, il la lui céda le 9 novembre 1755 avec l’assentiment du roi. Pierre Augustin Caron avait désormais ses entrées à la cour. Francquet mourut d’une attaque d’apoplexie le 3 janvier 1756; le 22 novembre de cette même année, sa veuve se remariait avec son amant qui ajoutait à son nom celui de Beaumarchais, emprunté à un domaine que possédait son épouse. Veuf au bout d’un an et n’ayant pas réussi à capter la fortune de la défunte, il trouva dans la musique l’occasion de se pousser davantage à la cour. Jouant habilement de la harpe, il avait perfectionné cet instrument par un dispositif de pédales. Son talent de musicien charma les filles de Louis XV qui le réclamèrent comme professeur, et il devint l’âme des concerts intimes de la famille royale. Malgré sa situation enviable, Beaumarchais se débattait dans des embarras d’argent; c’est alors qu’il entra en relation avec le financier Paris-Duverney. L’opulant banquier avait fondé l’Ecole Militaire et il attendait en vain depuis neuf ans que le roi vînt officiellement en visiter les bâtiments. Beaumarchais, usant de son influence sur les princesses royales, les décida à se rendre à l’Ecole et celles-ci, peu de jours après, y conduisaient leur père. Paris-Duverney, satisfait par la consécration royale de son établissement, témoigna sa reconnaissance en offrant à Beaumarchais de l’initier aux affaires. Ce dernier accepta; une sorte d’association lia les deux hommes et c’est par elle que Beaumarchais commença à édifier sa fortune. Moyennant cinquante-six mille livres il acheta une charge de secrétaire du roi qui conférait la noblesse ; puis il obtint celle de lieutenant général des chasses dans la capitainerie de Paris, qu’il exerça pendant vingt ans. Les spéculations fructueuses auxquelles il se livrait, sa participation aux opérations de Paris-Duverney lui permettaient de mener un grand train de vie dans le bel hôtel dont il était devenu possesseur et où il hébergeait sa famille. Le 20 avril 1764, Beaumarchais partait pour l’Espagne. Il se rendait à Madrid afin de contraindre à tenir ses engagements un littérateur médiocre mais ayant de l’entregent, Clavijo, qui avait offert le mariage à l’une des sœurs de Caron. Beaumarchais se démène, intrigue, prend tout Madrid à témoin, il parvient a être reçu par les ministres, par le roi lui-même ; Clavijo est révoqué et il est chassé de tous ses emplois le o juin. Beaumarchais se jette alors dans un tourbillon de plaisirs et d’affaires. Il devient le favori des salons, des ambassades et il plaît aux femmes ; il essaie d’obtenir du gouvernement espagnol l’adjudication des vivres et des fournitures pour l’armée ; il s’efforce ensuite de faire agréer le plan, conçu avec Paris-Duverney, d une exploitation de la Louisiane que la France vient de céder à l’Espagne; il forme le projet de devenir le pourvoyeur de la main-d’œuvre noire nécessaire dans les colonies espagnoles d’Amérique et, tandis qu’il évalue les bénéfices que peut réaliser un négrier, il fait parade d’une sensibilité humanitaire. Ne parvenant pas à arracher les autorisations ministérielles nécessaires aux affaires qu’il veut lancer, il quitte Madrid après y avoir séjourné plus d’un an. En arrivant à Paris, il doit renoncer à épouser une créole qu’il courtisait depuis longtemps, Pauline Le Breton, héritière présumée d un onde planteur à Saint-Domingue. Il vend sa charge de contrôleur pour achever de payer la demeure qu’il fait construire à Paris, rue de Condé, et il entreprend l’exploitation de vastes forêts dans la région de Chinon, territoires qu’il vient d’acquérir sous le nom de son valet, car ses fonctions de lieutenant général de vénerie lui interdisent tout négoce. L’activité fébrile de Beaumarchais s’est exercée jusqu’alors dans presque tous les domaines sauf dans celui de la littérature, mais la gloire qu’on y peut acquérir le tente. Influencé par les malencontreuses théories dramatiques de Diderot, il écrit un drame, Eugénie, qui est joué au Théâtre-Français le 29 janvier 1767. L’ouvrage est médiocre, il est mal accueilli, qu’importe ! Beaumarchais le remanie et le critique Fréron constate que la pièce modifiée s’est relevée avec éclat. En 1768, Beaumarchais se marie avec Geneviève Madeleine Watebel, jolie et très riche veuve d’un garde général des Menus. Malgré la multiplicité des affaires, pas toujours très irréprochables, qu’il brasse, il travaille à un nouveau drame, Les Deux amis, par lequel il croit donner à l’art dramatique une impulsion nouvelle et, cependant, il y entasse les situations conventionnelles, les postulats invraisemblables et les poncifs les plus usés. La pièce, jouée à la Comédie-Française le 13 janvier 1770, tomba après la dixième représentation. L’année 1770 est pour Beaumarchais l’année des déboires. Paris-Duverney et lui avaient amicalement réglé leurs comptes, mais le financier mourut en 1770 et son héritier, le comte de La Blache, traduisit en justice l’associé de son grand-oncle en l’accusant de fraude et de dol. Beaumarchais gagna son procès en première instance ; il le perdit en appel et attendit pendant plusieurs années le jugement qui flétrissait ses calomniateurs. Le 4 novembre 1770, il perdait sa seconde femme, dont la santé avait toujours été chancelante. Peu de temps après ce deuil, ce sont les parents de sa première épouse qui l’attaquent en alléguant qu’il a extorqué la signature de sa belle-mère. Il commet alors la maladresse de produire en faveur de son honorabilité un témoignage des princesses royales qui se fâchèrent d’être mêlées à des affaires qu’elles voulaient ignorer. Calomnié, discrédite de toutes parts, à moitié miné, il se releva avec une virtuosité inégalable en Prenant à témoin l’opinion publique dans ses démêlés avec le conseiller Goëzman et, à travers ce magistrat, avec l’impopulaire parlement Maupeou. Le conseiller était le rapporteur du procès intenté par l’héritier de Paris-Duverney. Selon la coutume de l’époque, Beaumarchais avait essayé d’entrer en relation avec Goëzman ; n’y parvenant point, il intéressa à son affaire, moyennant quelques présents, l’épouse de ce juge à charge pour celle-ci de restituer en cas d’échec les sommes encaissées. Le procès une fois perdu, Mme Goëzman ne rendit qu’une partie des subsides. Beaumarchais en ayant âprement réclamé le solde, Goëzman le poursuivit en calomnie, escomptant la solidarité de ses collègues du parlement Maupeou. En cas de condamnation, Beaumarchais pouvait être envoyé aux galères. Il ne se laissa pas intimider, il rédigea et publia quatre Mémoires, chefs-d’œuvre de dialectique, de verve et de causticité qui couvrirent de ridicule ses ennemis et firent de l’accusé qu’il était un populaire triomphateur. Le parlement Maupeou imagina pour l’abattre de le condamner au blâme ainsi que Goëzman, mais tandis que ce dernier abandonnait ses fonctions et cachait sa honte, Paris fêtait Beaumarchais qui, au lendemain de sa condamnation, était l’invité du prince de Conti et du duc de Chartres. L amour le comblait aussi; Marie-Thérèse de Willermawlaz, riche orpheline de vingt-trois ans, éblouissante de grâce et de beauté, devenait sa maîtresse. (Il régularisa cette liaison quand Marie-Thérèse mit au monde une fille.) La cour elle-même lui témoignait un regain de faveur en le chargeant d’une mission secrète en Angleterre : il s’agissait d’acheter le silence d’un pamphlétaire (Théveneau de Morande) et de détruire le libelle qu’il avait rédigé contre Mme du Barry. Au cours de ces années dramatiques, Beaumarchais concevait et achevait une œuvre qu’il destinait aux Comédiens Italiens, et ceux-ci la refusèrent. L’ouvrage était une sorte d’opéra-comique mal venu que Beaumarchais transforma en comédie, Le Barbier de Séville. La pièce, alors en cinq actes, avait reçu de la censure un visa favorable dès février 1773, mais la représentation en fut différée. Un an plus tard le visa devint inutile, Beaumarchais étant sous le coup du blâme qui terminait l’affaire Goëzman et, de plus, sous le nom de M. de Ronac (anagramme de Caron) il était parti pour Londres afin de neutraliser le détracteur de Mme du Barry. Le succès de sa mission lui valut un second voyage en Angleterre. Louis XVI, à peine monté sur le trône, chargeait Beaumarchais d’obtenir de la prétendue chevalière d’Eon la restitution de la correspondance que cet agent secret avait échangée avec Louis XV, et de veiller aussi à la destruction d’un ouvrage déplaisant sur la reine Marie-Antoinette. Beaumarchais mena à bien les deux affaires, mais pour la seconde, en véritable aventurier, il courut en poste la Hollande et poussa jusqu’en Autriche, corsant son voyage de péripéties simulées ou imaginaires. La seule narration que l’on possède de ses pérégrinations mouvementées est une lettre de Beaumarchais datée du 15 août 1774. Il y essaie de persuader son correspondant qu’il fut l’objet d’une agression sanglante; il prétend que, malgré ses blessures, il se rendit à Vienne sans désemparer afin de se présenter à l’impératrice Marie-Thérèse et de la rassurer au sujet de sa fille Marie-Antoinette. La cour d’Autriche, circonspecte à juste titre, soumit Beaumarchais à une stricte surveillance pendant un mois; elle mena une enquête au bout de laquelle « le drôle » (ainsi le qualifiait M. de Kaunitz), remis en liberté avec une indemnité de mille ducats, fut prié de repasser la frontière. De son voyage et surtout de ses séjours en Angleterre, Beaumarchais rapportait la conviction que l’intérêt de la France exigeait qu’elle vînt en aide aux colons américains qui se battaient contre la métropole anglaise pour obtenir leur indépendance. Il plaida chaleureusement, cette cause et Louis XVI, ainsi que le ministre Vergennes, envisagèrent d’accorder l’appui secret du gouvernement français aux Américains. Le Barbier de Séville, comédie en cinq actes, créée à la Comédie-Française le 23 février 1775, reçut un accueil très froid. En quelques jours, Beaumarchais réduisit sa comédie à quatre actes et l’œuvre connut un succès qui n’est pas épuisé. Gloire littéraire, richesse, amour laissaient cependant Beaumarchais insatisfait; il était toujours marqué par le blâme qui avait terminé l’affaire Goëzman et qui entraînait pour lui l’interdiction d’exercer les fonctions publiques liées à sa charge de lieutenant général des chasses. Avec son opiniâtreté coutumière, il réclamait sa réhabilitation ; un arrêt solennel du parlement la lui accorda le 6 septembre 1776. Au cours de cette même année, il se lançait dans une affaire gigantesque qu’il espérait devoir être lucrative. Afin de dissimuler l’aide que Louis XVI et ses ministres désiraient apporter aux insurgés américains, Beaumarchais, nanti d’un million de livres fourni par la France, fonde une maison de commerce qui se charge de fournir à l’Amérique aimes, munitions et vêtements militaires. Il frète des navires, il embauche des équipages, et parmi les matelots qui entrent à son service, il en est un, nommé Ganteaume, qui deviendra grand amiral sous l’Empire. Pour commencer, Beaumarchais expédie, en décembre 1776, deux cents canons, des mortiers, des bombes, des fusils, des effets pour vingt-cinq mille hommes, se fiant à la bonne foi américaine pour le paiement de toutes ces fournitures. D’autres expéditions suivirent mais elles ne lui furent jamais entièrement remboursées et les héritiers de Beaumarchais, après d’interminables procès, se contentèrent de toucher, en 1835, une faible partie des sommes qui étaient dues par l’Amérique à l’homme qui, avant tout autre, avait tant contribué à son indépendance. La surprenante activité commerciale de Beaumarchais et la fortune importante dont il jouit ne lui font pas perdre de vue les difficultés financières dans lesquelles se débattent les auteurs dramatiques. Afin de défendre leurs droits, Beaumarchais, non sans peine, fonde le 3 juillet 1777 la Société des Auteurs, société qui existe encore de nos jours. Il se lance, en 1778, dans une colossale affaire littéraire, celle de la publication des œuvres complètes de Voltaire qui vient de mourir. Leur impression et leur vente étant interdites en France, Beaumarchais s’assure de l’indulgence du ministre Maurepas au sujet du commerce littéraire auquel il va se livrer, il achète à l’étranger tous les manuscrits inédits, il achète des caractères et du matériel d’imprimerie, il achète des papeteries dans les Vosges non loin de la frontière, il loue au margrave de Bade un fort désaffecté, voisin de Kehl, il y installe des ouvriers, il émet en 1780 les prospectus de souscription et, en 1783, sortent les premiers volumes que met en vente la Société philosophique, littéraire et typographique, dont il déclare n’être que le modeste correspondant. Les derniers volumes de cette édition, actuellement très recherchée et dite de Kehl, parurent en 1790 et Beaumarchais ne récupéra qu’une partie des frais qu’il avait assumes. La mise en train de cette vaste entreprise n’interrompit point sa carrière d’auteur dramatique. Il avait commencé, en 1778 très probablement, un second chef-d’œuvre, La Folle Journée, qui a aussi pour titre Le Mariage de Figaro. Acceptée à l’unanimité par les Comédiens Français en 1781, la comédie fut soumise aux censeurs ainsi qu’à Louis XVI qui la jugea « détestable et injouable ». Beaumarchais en multiplia alors les lectures privées, et il arracha 1 autorisation de la faire jouer chez M. de Vaudreuil à condition qu’un nouveau censeur en prît connaissance. M. Gaillard, membre de l’Académie Française, commis à cet effet, trouva la pièce excellente « et propre à attirer à la Comédie, qui en a grand besoin, beaucoup de spectateurs ». Le succès du Mariage de Figaro chez M. de Vaudreuil neutralisa la résistance du roi et les Comédiens Français annoncèrent le 27 avril 1784 la première représentation de la pièce. Elle s’effectua dans une salle bondée et frémissante d’enthousiasme ; les représentations qui suivirent placèrent Beaumarchais au sommet de la faveur populaire mais attisèrent la haine de l’académicien Suard et celle du comte de Provence. Accablé d’injures et de sarcasmes, Beaumarchais répondit avec tant de violence que le Garde des sceaux signa un ordre d’arrestation, et l’écrivain triomphant se vit incarcérer à Saint-Lazare. Sous la pression des manifestations publiques la détention de Beaumarchais ne dura que cinq jours et, pour liquider l’incident, le roi accepta que Le Barbier de Séville soit joué à Trianon. La reine Marie-Antoinette, guidée par les conseils du comédien Dazincourt, joua Rosine et le comte d’Artois, Figaro. La fortune de Beaumarchais s’élevait alors à plusieurs millions et cet habile et hardi spéculateur la voyait s’accroître encore. Il commanditait deux ingénieurs qui avaient conçu d’alimenter Paris en eau de Seine au moyen d’une pompe dite « pompe à feu de Chaillot ». Des banquiers chargèrent le besogneux Mirabeau d’entreprendre une campagne hostile et véhémente contre la Compagnie et contre Beaumarchais, qui répondit. La vigueur du style de Mirabeau, la pertinence de ses railleries, la sévérité de ses jugements sur les diverses entreprises présentes et passées de son adversaire décidèrent celui-ci à abandonner une lutte dont il se sentait las. Une besogne artistique l’occupait; il réalisait enfin un rêve longtemps caressé. Depuis plusieurs années il travaillait à un opéra, Tarare. Le chevalier Gluck avait décliné l’honneur d’en écrire la musique et un de ses élèves, Salieri, s’en était chargé. L’ouvrage fut représenté le 8 juin 1787 et son succès se prolongea; en 1795 l’œuvre était encore jouée, mais Beaumarchais en modifiait le livret selon les circonstances. En 1787 le personnage principal était partisan de la monarchie absolue; en 1790 il prônait la monarchie constitutionnelle; en 1795, il était républicain. La satisfaction que Beaumarchais éprouvait d’avoir son opéra joué à l’Académie Royale était loin d’être sans mélange. Sa contestation avec Mirabeau avait montré qu’en lui le polémiste avait perdu une grande partie de sa combativité, une seconde affaire allait lui ravir la popularité qu’il croyait définitivement acquise. Une dame Kornmann, légère il n’en faut point douter, avait été incarcérée sur la demande de son mari, complaisant pendant tout le temps où il bénéficiait financièrement de l’inconduite de son épouse. Les subsides venant à manquer, Kornmann avait essayé de s’approprier la dot de sa femme. Beaumarchais prit fait et cause pour la prisonnière qu’il ne connaissait pas; il parvint à la tirer de prison et ensuite il la conseilla. Kornmann chargea alors l’avocat Bergasse de rédiger un mémoire virulent où Beaumarchais était attaqué tant sur la dépravation de sa vie privée que sur le caractère équivoque des spéculations dont il tirait sa fortune. Beaumarchais répondit sans verve, et l’opinion publique se retourna contre lui et lui tint grief de son opulence insolente. Bergasse devint son favori et le resta même lorsque, le 2 avril 1789, conjointement à Kornmann, il fut condamné sévèrement par le parlement. Le revirement de l’opinion publique a sans doute pour cause le fait que, de 1787 à 1789, Beaumarchais se faisait construire un fastueux hôtel, aujourd’hui détruit, mais qui, entouré de ses jardins, occupait un des côtés du boulevard qui porte de nos jours le nom de l’écrivain. Au cours des premières années de la Révolution de 1789, Beaumarchais ne fut pas trop inquiété. S’il témoignait sa sympathie pour les idées nouvelles, il souhaitait que leur établissement s’effectuât sans violence. Il se tira sans dommages des perquisitions que ses anciens ennemis lui infligèrent. Malgré les tracasseries subies en tant que gros brasseur d’affaires, il s’occupait de faire jouer La Mère coupable, drame fastidieux dans lequel sévissait un traître odieux : le major Begearss. Le nom du fourbe était l’anagramme de Bergasse. Par cet artifice Beaumarchais se vengeait de l’avocat qui l’avait malmené lors de l’affaire Kornmann. La pièce créée au Théâtre du Marais le 26 juin 1792 a été reprise à la Comédie-Française le 27 novembre 1799. Parallèlement à cette flambée d’activité littéraire, un regain de l’esprit d’entreprise agite Beaumarchais. D’accord avec le gouvernement français, il se lance dans l’achat de soixante mille fusils en Hollande. Des difficultés nationales et internationales surviennent, il réussit partiellement à les vaincre mais, néanmoins, le bruit court qu’il cache des armes afin de les offrir à la contre-révolution. Il est arrêté et emprisonné à l’Abbaye, mais un rival littéraire, Manuel, alors procureur de la commune, a la générosité de le faire mettre en liberté. A peine sorti de prison, Beaumarchais poursuit son affaire des fusils de Hollande, il se démène, il voyage, car, à propos de cette cargaison d’armes, il a maille à partir avec les Anglais. Pendant qu’il est à l’étranger, il apprend qu’il a été porté sur la liste des émigrés, que ses biens sont mis sous séquestre et que sa femme et sa fille sont en prison. Il se réfugie à Hambourg, il y connaît la misère et il doit attendre le début du Directoire pour être rayé de la liste des émigrés. Il regagna Paris le 5 juillet 1796. Il écrit alors un mémoire justificatif qu’il intitule : Mes six époques; mais l’âge et les déboires ont émoussé la plume étincelante qui avait été la sienne et, à juste titre, Sainte-Beuve remarque au sujet de cette dernière œuvre : « Il arrive ici à Beaumarchais d’être ennuyeux. » Le 18 mai 1799, Beaumarchais était trouvé mort dans son lit : une attaque d’apoplexie l’avait foudroyé. A part une surdité légère, il avait vieilli sans infirmité.
BEAUMARCHAIS (PIERRE AUGUSTIN CARON DE) Écrivain français (1732-1799 né et mort à Paris). D’abord horloger, comme son père, il occupa ensuite les fonctions de maître de harpe des filles de Louis XV. Devenu secrétaire du roi (1761), anobli, il fut cependant éloigné de la cour à cause de ses relations avec une des jeunes princesses. Il se lança alors dans la spéculation, non sans être mêlé parfois à des affaires peu honorables. Des nombreux procès qu’il soutint, l’un le conduisit à rédiger pour sa défense des Mémoires qui assurèrent son succès grâce à la façon brillante dont il s’y justifie tout en attaquant les abus de la justice de l’Ancien Régime. Mais la célébrité lui vint surtout du théâtre. Deux pièces, entre autres, firent sa fortune et sa réputation: Le Barbier de Séville (1775) et Le Mariage de Figaro (1784).
♦ Il n’y a pas plus de XVIIIe siècle complet sans Beaumarchais que sans Diderot, Voltaire ou Mirabeau; il en est un des personnages les plus originaux, les plus caractéristiques, les plus révolutionnaires. » Sainte-Beuve. ♦ « Pour être moins bien nés que ceux de Molière, ses enfants n’en vivent pas moins de la même vie. » Nisard. ♦ «Beaumarchais, à défaut d’études approfondies et sans faire métier d’écrivain, a pris et gardé dans les lettres françaises un rang dont il ne saurait déchoir. Polémiste, il a élevé un simple débat judiciaire à des hauteurs inconnues avant lui... il est [aussi], sans conteste, le premier auteur comique de son siècle. » Maurice Tourneux. ♦ « Dans son théâtre, on perçoit le souffle du matérialisme et du libéralisme qui secoue et ébranle l’Ancien Régime à la suite de l’abolition des préjugés - souffle perceptible aussi dans la vie trépidante et variée du dramaturge lui-même. » Nicolas Ségur. ♦ « A une époque où chacun bombarde son voisin avec tout ce qui lui tombe sous la main, billets à ordre, mandats d’amener, dénonciations anonymes, dépêches chiffrées et libelles, plaidoiries et conclusions, où l’on écrit avec des excréments et avec du sang, où l’on se jette à la figure des certificats de bâtardise et des faux en écriture, Beaumarchais ramasse les idées et les mots sublimes comme des projectiles de fortune, en bourre son pistolet jusqu’à la gueule, et décharge ses chefs-d’œuvre sans viser, à bout portant. » Paul Morand. ♦ «... Je relis le Barbier de Séville. Plus d’esprit que d’intelligence profonde. De la paillette. Manque de gravité dans le comique. » André Gide.
BEAUMARCHAIS, Pierre Augustin CARON de (Paris, 1732- id., 1799). Écrivain français. Fils d’horloger et horloger lui-même, il enseigna la harpe aux filles de Louis XV puis travailla dans le monde de la finance et des affaires où ses spéculations et ses procès sont demeurés célèbres. Marchand d’armes au bénéfice des insurgés d’Amérique, Beaumarchais accueillit favorablement la Révolution en 1789, puis s’exila durant la Terreur et ne rentra en France qu’en 1796. Il est l’auteur de deux chefs-d’œuvre, Le Barbier de Séville (1775) et Le Mariage de Figaro (1778). Cette seconde comédie fut interdite par la censure durant six ans et jouée en privé. Finalement, Louis XVI leva l’interdit ; la première représentation, donnée en 1784, remporta un succès considérable car, pour la première fois sur une scène parisienne, les revendications du Tiers État, à travers les propos satiriques du roturier Figaro, étaient exprimées avec force et humour. Beaumarchais, grand admirateur de Voltaire, avait entrepris une édition complète de ses œuvres, éditées en Allemagne entre 1783 et 1790 pour fuir la censure.