BATAILLE Georges
BATAILLE Georges
1897-1962
Essayiste et romancier, né en Auvergne. Cet ancien chartiste (il sera bibliothécaire à la Nationale de 1922 à 1942) est attiré tour à tour par le surréalisme - dont il se sépare bientôt -, par la polémique révolutionnaire, par le yoga aussi, vers 1937, et (comme dit Sartre à son propos dans les Cahiers du Sud en 1943) par toutes les « tentatives impossibles » dont l’expérience nourrit ses récits (Histoire de l’œil, publié sous le manteau en 1928 et réédité en 1967 ; L’Impossible, 1947 et 1962 ; Le Bleu du ciel, 1932 et 1957; Madame Edwarda, 1941 et 1956; Ma mère, 1966) tout autant que ses essais (L’Expérience intérieure, 1943 ; La Part maudite, 1949 ; La Littérature et le mal, 1958 L’Érotisme, 1957 ; Les Larmes d’Éros, 1961). Ce qui le hante, il le sait dès l’époque de ses premiers écrits : une apothéose de ce qui est périssable (revue Acéphale, n°5) et sa conception de l’écriture, en matière de fiction surtout, est marquée par la fascination qu’exercent sur lui ces états extrêmes (au bord des limites, dit-il) où se rejoignent douleur et joie, l’extase érotique et l’extase d’un « mystique sans Dieu » : Le réalisme me donne l'impression d’une erreur; la violence seule échappe au sentiment de pauvreté de ces expériences réalistes. La mort et le désir ont seuls la force qui oppresse [...] La vérité a des droits sur nous ; elle a même tous les droits. Pourtant nous pouvons et même nous devons répondre à quelque chose qui, n’étant pas Dieu, est plus fort que tous les droits : cet impossible auquel nous n’accédons qu’oubliant la vérité de tous ces droits, qu’acceptant la disparition. Bataille (qui, en outre, fonda et dirigea la revue Critique depuis 1946) exerça une grande influence sur la jeune école, sans se soucier jamais de sortir de la demi-obscurité qu’il jugeait propice à sa recherche. La publication de ses Œuvres complètes va permettre de le situer à sa vraie place.
BATAILLE Georges. Ecrivain français. Né le 16 septembre 1897 à Billom, mort le 9 juillet 1962 à Paris. Après des études à Reims, il entre au séminaire à Saint-Flour. Peu de temps après, il abandonne le séminaire et devient archiviste-paléographe. En 1922, il séjourne chez les bénédictins de l’île de Wight, et pense de nouveau se faire prêtre. Au terme du séjour à l’île de Wight, il perd définitivement la foi. En 1924, il est nommé au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale. En 1929, il dirige la revue Documents, collabore à la Critique sociale. De 1931 à 1932, il suit les cours d’Alexandre Kojève sur Hegel. En 1935, il fonde avec Breton, Eluard, Klossowski, Péret et Tanguy le groupe « Contre-attaque ». Un an plus tard, il crée le « College de Sociologie Sacrée » avec Caillois et Michel Leiris, destiné à étudier l’existence sociale et les manifestations du Sacré dans la société. Il fonde également la revue Acéphale. Il n’a encore publié aucun ouvrage sous son vrai nom. En 1937, après la publication de Madame Edwarda — sous le pseudonyme de Pierre Angélique — il quitte Paris pour des raisons de santé, et s’installe à Vézelay. Il sera ensuite successivement bibliothécaire à Carpentras et à Orléans. En 1946, il fonde encore la revue Critique. La vie de George Bataille se confond avec son énorme influence intellectuelle et son œuvre. De 1925 jusqu’à sa mort, il a connu tous les mouvements intellectuels, littéraires et philosophiques de son temps, y prenant une part à la fois occulte et active. L’œuvre, rassemblée à partir de 1970 dans les divers tomes des Œuvres complètes (« Premiers écrits », « Écrits posthumes », « Œuvres littéraires», «La Somme athéologique », etc.) est vaste et difficile. Bataille a publié un certain nombre de récits ou de textes sous divers pseudonymes et plus tard sous son vrai nom.
La « pensée » de Bataille — qui a touché les domaines les plus divers, de la mystique à l’économie — a pour centre ce qu’il appelle en 1943 L'Expérience intérieure. On pourrait également lui donner pour titre L'Impossible. Mais on ne peut comprendre ces termes hors du sens que Bataille leur donne. « J’appelle expérience un voyage au bout du possible », écrit-il dans L’Expérience intérieure. Toute sa pensée — mais il ne s’agit pas d’une pensée théorique, d’une pensée de philosophe — est un « voyage au bout du possible », où la subjectivité éclate dans l’excès, lequel est à la fois souffrance et jouissance, ou, pour reprendre une de ces expressions synthétiques dont il a le secret, « joie suppliciante ». Bataille est au plus près de Nietzsche, pour qui la « pensée » devait devenir danse, affirmation et négation du monde et du sujet. Il est proche également des mystiques et de leur « expérience ». Comme eux, il se voit plongé dans une « nuit » qui est attente, déchirement, submersion dans l'Inconnu. Mais cette « nuit », à la différence de celle de sainte Thérèse ou de Maître Eckart, est immanente à elle-même : elle ne débouche sur aucun absolu, aucun « Autre » divin. Pour Bataille, il n’y a pas d’au-delà de la « nuit ». C’est l’expérience « a-théologique ». Par suite, il s’agit d'une expérience ou l’homme va jusqu’au bout de lui-même, selon des catégories que Bataille a cherché — sans les systématiser — à élaborer : « rire », « excès », « fêlure », » dépense », « jouissance », « érotisme », « inconnu », « mort », « souveraineté », « transgression », « négativité », « angoisse », « ouverture ». La liaison de ces catégories n’est évidemment pas logique : il s’agit toujours de notions qui désignent un certain « éclatement » de la subjectivité. Bataille ne décrit pas une pure expérience individuelle : il transmet, dans ses « méditations » comme dans ses « récits » et ses poèmes, ce franchissement des limites par lequel l’homme à la fois se dépasse et s’effondre. Ce qui caractérise le « sujet », c’est la faille, la blessure : « Il n’est pas d’être sans fêlure. » Hegel avait déjà dit : « Pour la conscience de soi, mieux vaut un bas déchiré qu’un bas reprisé. » Cette énigmatique formule signifiait que le propre de la conscience est la négativité, non la positivité animale. Mais cette négativité, chez le philosophe allemand, devenait moteur dialectique de la construction du « monde de l’esprit ». Bataille, lui, parle de « négativité sans emploi ». La blessure — le « bas déchiré » — est ce qui ouvre le sujet à l’infini des possibles ». D’où les catégories de l’excès, de la « dépense » : « vivre en excès, c’est vivre à perte, c’est dépenser ». L’érotisme — comme le montrent les magnifiques récits de Bataille, Madame Edwarda ou L’Abbé C. — est un tel excès, une telle dépense, un tel franchissement des limites : « De l’érotisme, il est possible de dire qu’il est approbation de la vie jusque dans la mort. » Chacune des catégories que nous avons citées ouvre sur la même expérience : celle où le sujet blessé « défaille », s’illimite dans l’excès et l’approche de la « souveraineté », sans que jamais pourtant cette « souveraineté » soit atteinte et à plus forte raison possédée. C’est aussi la « transgression », l'une des catégories les plus difficiles de Bataille, que l'on a pu caractériser comme une énergétique de la démesure et de la violence. Il s’agit, bien sûr, de cette violence que le sujet opère sur son « être clos » en s’ouvrant, dans le désir, dans l’ivresse, dans le rire, dans la débauche, dans l’exercice du « mal », à « l’infini des possibles ». C’est dans cette optique, nullement moralisante, que Bataille a retracé l’aventure sanglante et perverse de Gilles de Rais. Cette expérience de la « dépense » est, en un sens, révolutionnaire : Bataille, dans des textes consacrés à l’économie et aux mondes primitifs, l’oppose au capitalisme moderne, fondé — selon lui — sur l’accumulation, l’épargne et l’économie. Toutes les sociétés primitives dépensent un certain excédent d’énergie et de biens, comme l’a montré L’Essai sur le don de Mauss; seule la société capitaliste — et c’est ce qui la condamne — a pris le chemin opposé. La pensée de Bataille, peu orthodoxe du point de vue économique, a influencé ici des sociologues modernes comme Baudrillard. Les écrits de Bataille font voler en éclats les divisions traditionnelles entre philosophie, poésie, roman, méditation religieuse, confession, etc. En ceci, ils se rapprochent des derniers « fragments » de Nietzsche. Les lire, c’est se soumettre à l’impulsion violente qui leur a donné naissance, ce n’est pas parcourir un simple corps de textes linéaires. Leur outrance, leur extrémisme, leur immédiateté sont sans égal dans la littérature et la pensée contemporaines. Bataille, naturellement, en était conscient, et s’est lui-même comparé à un « saint » et à un « feu ». Relativement ignoré de son vivant, il a exercé après sa mort une influence considérable sur de jeunes penseurs comme Michel Foucault, Philippe Sollers et Jacques Derrida. Influence qui ne peut se comparer, au XXe siècle, qu’à celle d’Antonin Artaud : dans les deux cas, une expérience extrême, transmise avec des moyens verbaux extrêmes, bouleverse le cours de la littérature et de la pensée, vient instituer un « avant » et un « après » : Bataille et Artaud, par l’exigence presque inhumaine de leurs réflexions, ont marqué un tournant.
Bataille (Georges, 1897-1962.) Écrivain et penseur français dont l'œuvre, qui rencontre depuis sa mort des échos de plus en plus nombreux, se situe aux frontières mouvantes de la littérature et de la philosophie. ♦ D'abord catholique, puis intéressé par le marxisme en même temps que par la sociologie du sacré et la psychanalyse, Bataille affîrme très tôt la nécessité de prendre en compte, dans une théorie générale concernant la signification de « l'homme entier, non mutilé », les aspects éventuellement les moins nobles, les plus repoussants ou déréglés de l'existence humaine : il se passionnera en particulier pour l'œuvre de Sade où il voit une tentative pour repérer par le biais de la fiction les limites de l'humanité. ♦ Rassemblant ses réflexions sur l'art (Lascaux ou la Naissance de l'art, 1955), sur l'économie et la cosmologie (La Part maudite, 1947), sur les « pouvoirs » de la poésie et de la littérature, en particulier « érotique » (La Littérature et le mal, 1957), c'est dans L'Érotisme (1957) qu'il donne l'expression la plus générale de sa pensée, difficile à insérer dans la stricte philosophie dans la mesure où elle procède davantage par affirmations ponctuelles et brutales, éventuellement choquantes, que par construction d'un système cohérent. Il n’en reste pas moins qu’elle se rattache - et simultanément, pour mieux les mettre réciproquement à l'épreuve - aux philosophies de Hegel et de Nietzsche. ♦ Bataille emprunte notamment à Hegel sa définition de l'homme par la conscience de la mort et le travail. Mais c'est pour en déduire que l'organisation du monde humain exige l'expulsion d'une violence originelle (celle de la mort naturelle et de la sexualité) dont l'homme garde comme une nostalgie, et qui devra être réactualisée dans les sacrifices religieux. Ainsi l'humanité, en se distinguant de l'animalité par l'instauration d'interdits (dont le premier est la prohibition de l'inceste), définit-elle deux sphères opposées : le profane, soumis au rationnel et au labeur, et le sacré, qui est à l’origine à la fois fascinant et repoussant parce qu'il est l'espace où la violence peut se déchaîner. Autres œuvres importantes : Madame Edwarda (1937) ; L’Expérience intérieure (1943) ; Le Coupable (1944) ; Sur Nietzsche (1945); Haine de la poésie (1947).
♦ Après avoir été l’homme impossible que fascinait ce qu’il pouvait découvrir de plus inacceptable... Bataille élargit ses vues... et sachant qu’un homme n’en est totalement un que s’il cherche sa mesure dans cette démesure, se fit l’homme de l’impossible, avide d’atteindre le point où — dans le vertige dionysiaque — haut et bas se confondent, et où la distance s abolit entre le Tout et le Rien. Michel Leyris.