bas
L’adjectif paraît translucide, et il ne l’est pas. Il s’emploie dans l’expression style bas; on est donc situé dans la question des niveaux de style. Apparemment, tout est simple. On se trouve dans une axiologie qui définit la hiérarchie tripartite : élevé - moyen - bas. On est alors au degré le plus inférieur de la hiérarchie. On glosera bas par populaire. Et comme cette tripartition correspond, d’une certaine façon, à un traitement ou thématique ou littéraire spécifique, c’est, dans la tradition classique, le caractère des styles comique et burlesque; dans comique, il faut ranger, on le sait, à la fois tout ce qui relève de la comédie non sérieuse, mais aussi tout ce qui relève du réalisme (notamment dans les romans). L’expression qualifie également les œuvres de ton et d’objet plus nettement triviaux. Mais on a parfois, plus sommairement, une bipartition ; dans ce cas, style bas s’oppose à style sublime. La désignation renvoie alors à tout ce qui n’est pas élevé, à tout ce qui ne relève ni des plus hautes déterminations de l’art, ni de la plus magnifique inspiration, ni des élaborations artificielles les plus tendues. Le style bas désignerait presque un prétendu style naturel, ou une prétention de naturel dans le style. À cet égard, dans une certaine esthétique qui n’est pas sans renvoyer à toute une histoire des interprétations ou de l’idéal cicéronien ou des pratiques cicéroniennes, on a pu parler d’un beau style bas, par un apparent paradoxe dans la formulation. Il s’agit, de ce point de vue, d’insister sur l’appropriation d’un certain niveau de style à un certain type de matière traitée, notamment l’ensemble des enjeux sentimentaux. Cette tendance accentue à la fois l’aspect social et l’aspect personnel de la relation rhétorique : la garantie d’un bon accord entre le locuteur et son public peut justement se réaliser, dans les inflexions subjectives en tout cas, en suivant une pente plus terre à terre d’expression, à condition bien sûr qu’elle reste correcte et convenante. La narration ou la poésie lyrique sont ainsi concernées. Cette dernière acception fait évidemment sauter le principe d’une hiérarchie des styles, en tout cas des niveaux : on irait vers l’idée d’une possibilité d’excellence dans différents genres. À considérer la totalité du champ rhétorique, et surtout à partir d’Aristote, on est porté à considérer que cette inflexion apparemment paradoxale est en réalité parfaitement congruente avec la vraie nature du rhétorique. Mais l’axiologie, dans le devenir moderne, surtout français, a fait imperturbablement ses ravages ; et il est vrai que bas est employé, en particulier dans l’héritage classique, pour qualifier des faits d’élocution. On parle de mots bas, de façons de parler basses, ce qui veut incontestablement dire à la fois moralement et socialement lamentables, et stylistiquement vicieux ou indignes. Nulle part mieux que dans le cas de ce genre de termes, on ne voit l’importance et la complexité des enjeux engagés par les questions de rhétorique.
=> Élocution, composition, style, niveau; élevé, sublime, moyen; genre, narration; correction, convenant.