AYMÉ Marcel
AYMÉ Marcel 1902-1967 Romancier, conteur et auteur dramatique, né à Joigny. Fils du peuple, élevé à la campagne, autodidacte, il exerce d’abord les métiers de maçon, de vendeur, de figurant, d’employé de bureau. Mais dès ses débuts littéraires (Brûlebois, 1926), son originalité se manifeste de façon si puissante qu’il pourra vivre désormais de sa plume. Son œuvre est abondante, et dans les domaines les plus variés : contes et nouvelles surtout (Le Puits aux images, 1932; Derrière chez Martin, 1938; Les Contes du chat perché, 1934-1958; Le Passe-muraille, 1943, etc.), et romans (Le Vaurien, 1931 ; La Jument verte, 1933; Les Tiroirs de l’inconnu, 1960), théâtre (Clérambard, 1950 ; Les Oiseaux de lune, 1956), essais (Silhouette du scandale, 1938 ; et le retentissant Confort intellectuel, 1949, qui fut compris - bien à tort - comme un pamphlet réactionnaire, sur le plan de la littérature, et de plus misogyne). De ses expériences diverses (paysannes ou administratives), il a gardé le plus méticuleux souvenir et semble se complaire à la description, précise jusqu’à la cruauté, des grisailles et des routines ; il ne nous fait grâce d’aucune des pensées dérisoires de ses humbles héros, dont les travers n’accèdent pas même à la dignité de vice ; mais ces personnages de Marcel Aymé, si piètres soient-ils - tel le héros du Vaurien -, sont tous affligés comme lui d’une irrépressible « mauvaise habitude » : ils rêvent. Or, l’auteur ne nous prévient pas quand leur pensée quitte la terre, et, pour sa part, imperturbable, il continue à les suivre. Même s’ils se mêlent, par mégarde, à des êtres surnaturels. Ce qui survient plus fréquemment dans les récifs brefs ; mais aussi dans les romans (La Vouivre, 1943, en particulier). Au reste, quand l’envie lui en prend, il laisse là sans plus de façon son travail scrupuleux de prosateur, et il stylise, construit, ordonne résolument son récit. Comme un poème. Par exemple, le chœur des morts dans la scène du cimetière de La Jument verte ; ou encore, les strophes alternées - une longue, puis une très courte, réduite à une ou deux lignes - dans le dernier récit (« En attendant ») du Passe-muraille. Depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le ton, déjà mélancolique à l’origine, de cet homme timide, taciturne, et foncièrement généreux, se met à tourner à l’aigre. Moins apparente dans le récit bref (Le Vin de Paris, 1947), cette altération va affecter surtout son théâtre, qui reste d’ailleurs, si l’on fait abstraction de Clérambard (1950, un immortel chef-d’œuvre, aussi « trouvé » que les meilleurs de ses contes), la part la plus décevante de l’œuvre. La scène des deux tortionnaires, par exemple, au IIe acte de La Tête des autres (1952), n’est pas drôle, vraiment ; quant aux Quatre Vérités (1954), on s’étonne que l’auteur ait voulu nous faire rire sur un thème aussi pénible que celui des piqûres utilisées pour faire parler malgré lui un homme. Au fond, le rêveur Marcel Aymé a vomi à ce point la « vie » que, même à la faveur d’une histoire prétendument comique, il parvient à nous inoculer cette sourde haine des hommes - des adultes -, un peu plus forte chaque année ; un peu plus noire. Aussi longtemps, du moins, qu’il s’agissait des hommes. Car pour notre plus grand bonheur, à l’écart de son œuvre, il édifia aussi une œuvre pour l’enfance ; et ces Contes du chat perché (première série rassemblée en volume dès 1934), répartis tout au long de sa carrière, semblent écrits par un autre écrivain. Plus trace de la moindre misanthropie. Une âme fraîche et diaphane. Plus encore : joyeuse. D’une joie sans « éclats de rire », mais joyeuse paisiblement, largement, profondément. Les parents, seuls (un couple de paysans, plus bêtes que vraiment mauvais), rappellent au passage, et de très loin, le satiriste. Ses deux naïves héroïnes (Delphine, et Marinette, la plus blonde) existent pour tous les lecteurs francophones dans le monde au même titre que Carmen, la féroce ; que Manon, la futile ; ou qu’Emma Bovary, la sentimentale. Ajoutons que jamais Marcel Aymé n’écrivit une langue aussi colorée, aussi riche et juteuse, aussi drue que dans ces courts chefs-d’œuvre : Le Mauvais jars (1935), Le Canard et la panthère (1937), Le Paon (1938, Les Bœufs (1941), Les Boîtes de peinture (1941), Le Loup (1941), La Patte du chat (1944), Le Problème (1946), Les Chiens (1948), etc. À ces Contes du chat perché, d’ailleurs, il faut joindre toutes les histoires (contes ou romans) qui prennent pour thème l’enfance : Les Bottes de sept lieues, Le Moulin de la Sourdine... À elle seule, cette part de son œuvre suffirait à faire de lui, au sens le plus profond du terme, un classique, c’est-à-dire un auteur « qu’on apprend dans les classes ».
AYMÉ Marcel. Ecrivain français. Né à Joigny (Yonne) le 29 mars 1902, mort à Paris le 14 octobre 1967. Ses parents étaient tous deux originaires du Jura, et de leur mariage naquirent six enfants. Marcel, le plus jeune, perdit sa mère à l’âge de deux ans. Il connut à peine son père, maréchal-ferrant de son état qui, devenu veuf, mit ses aînés en pension et confia les cadets à sa belle-famille. Ainsi Marcel vécut de sa deuxième à sa huitième année à Villers-Robert, chez ses grands-parents qui exploitaient une tuilerie. Le village était assez semblable à celui qu’il décrivit plus tard dans La Jument verte et les habitants y connaissaient des passions politiques et religieuses (et antireligieuses) fort vives. La grand-mère attendit la mort du grand-père, en 1908, pour faire baptiser son petit-fils, celui-ci avait alors sept ans. Peu après, un nouveau décès, celui d’une tante qu’il aimait beaucoup, amena le garçonnet à proférer des blasphèmes « pour marquer au ciel sa désapprobation ». Il perdit sa grand-mère en 1910. Après avoir vécu quelques mois chez un oncle meunier, où il fut très heureux, il fut placé, à la rentée d’octobre, comme pensionnaire au collège de Dôle, où il fut inscrit en classe de septième. Deux fois par mois, il allait passer la fin de semaine au moulin de l’oncle. Une de ses tantes habitait Dôle; devenue veuve en 1911, elle s’empressa de prendre le jeune garçon à sa charge, ainsi qu’une petite nièce. La tante Léa était employée de magasin. En 1912, Marcel réussit le concours des Bourses et le regretta vite car, chaque fois qu’il obtenait de mauvaises notes, on lui reprochait de gaspiller l’argent de l’Etat. Il retournait maintenant au vinage chaque samedi et y passait ses grandes vacances, pendant lesquelles il gardait les vaches avec d’autres bergers. Médiocre élève, il assura être devenu un cancre pendant la guerre de 1914. Il aimait mieux lire qu’étudier. En 1918, il obtient toutefois son baccalauréat de mathématiques élémentaires et une bourse d’internat qui lui permet d’entrer, en 1919, au lycée de Besançon, dans la classe préparatoire de mathématiques spéciales. Il pense pouvoir devenir ingénieur. C’est alors qu’une grave maladie l’oblige à abandonner ses études. Quand il est de nouveau sur pied, il doit accomplir son service militaire : on l’envoie en Allemagne occupée (1922-1923). Libéré, il vient à Paris. Il s’essaie dans divers métiers : employé de banque, agent d’assurances, journaliste dans une agence de presse. Il assure avoir été mauvais journaliste, dans la mesure où il ne rapportait rien d’autre que ce qu’il avait vu lui-même. En 1925, il tombe à nouveau malade et c’est alors qu’il rédige son premier roman. Il avait déjà écrit de petites choses, mais pour son plaisir et sans l’idée de devenir un véritable écrivain. Cette fois, c’est différent. Brûlebois sera publié aux « Cahiers de France » en 1926. Marcel Aymé a vingt-quatre ans. Il écrit un deuxième roman, Aller-Retour, qu’il présente à un grand éditeur (Gallimard). Il est accepté et paraît en 1927. Dès lors, Marcel Aymé donnera une nouvelle œuvre chaque année : un roman, un recueil de nouvelles, voire un essai. A partir de 1930, il cesse de considérer la littérature comme un passe-temps. Elle devient un métier. Et c’est un métier qui devient rentable dès 1933 où La Jument verte, saluée comme un ouvrage licencieux, obtient de beaux tirages. La même année d’ailleurs, Marcel Aymé commence à travailler pour le cinéma. Marié et devenu père de famille après la naissance d’une fille, il ne déteste pas du tout les « commandes ». Il songeait aussi au théâtre et c’est dès avant-guerre qu’il écrivit Vogue la galère qui ne sera jouée qu’en 1947. Pendant l’Occupation, il continuera de travailler pour le cinéma. Il fit notamment équipe avec un réalisateur d’extrême gauche, Louis Daquin, pour deux films qui remportèrent un grand succès : Nous les gosses et Le Voyageur de la Toussaint (d’après Simenon). Dans le même temps, il n’hésite pas à donner des nouvelles et des romans aux journaux de la « Collaboration », mais on ne trouve dans ses textes nulle trace d’un engagement politique quelconque; si bien qu’il ne figurera sur aucune liste noire à la Libération et les épurateurs ne l’inquiéteront pas. C’est l’inverse qui se produit plutôt : il fait campagne pour obtenir la grâce de Robert Brasillach que de Gaulle laissera fusiller. A partir des représentations de Vogue la galère, Marcel Aymé entreprend une carrière théâtrale et il obtient de francs succès avec Lucienne et le boucher (1947), Clérambard (1950), La Tête des autres (1952). Entre-temps, il fut invité aux Etats-Unis. Le genre de vie américain ne lui plut pas et devait lui inspirer deux pièces : La Mouche bleue (1957) et Louisiane (1961) qui ne comptent pas parmi ses chefs-d’œuvre. Marcel Aymé fit un retour au roman avec Les Tiroirs de l’inconnu (1960), mais ses dernières œuvres furent des pièces de théâtre. La dernière, La Convention Belzébir, fut créée quelques mois seulement avant sa mort prématurée. Marcel Aymée a connu de grands succès commerciaux. Il était un écrivain très connu et possédait même sa légende : homme taciturne abrité derrière des lunettes noires, paysan du village de Montmartre (il habitait rue Paul-Féval). Mais on le considérait plutôt comme un auteur divertissant que comme un grand écrivain. Or son œuvre s’affirme comme une des plus neuves, des plus fortes et probablement des plus durables de notre époque. Elle est très variée, tantôt d’inspiration réaliste, tantôt d’inspiration satirique et tantôt d’inspiration fantastique. Mais il passe parfois d’un registre à l’autre dans le même ouvrage en maintenant une unité de ton. Il est bon peintre de la campagne, des petites villes et de la capitale. Parmi ses romans campagnards, on citera La Table aux crevés (1929) et La Vouivre (1943). Parmi les romans de la province, Le Moulin de la sourdine (1936). Parmi les œuvres parisiennes, Le Bœuf clandestin (1939) et Travelingue (1941). Ce dernier roman est le premier volet d’une trilogie d’histoire contemporaine, dont le deuxième volet s’appelle Le Chemin des écoliers (1946) et se situe pendant l’Occupation, et dont le troisième volet, Uranus (1948), décrit les lendemains de la Libération. Les recueils de nouvelles d’Aymé sont tous de premier ordre, tels Le Passe-muraille (1943) et Le Vin de Paris (1947). Et il faut mettre hors de pair Les Contes du chat perché qui commencèrent de paraître en 1934 sous forme d’albums pour enfants. Ils firent tout de suite les délices des parents. Bon observateur des mœurs, Marcel Aymé est un ami de la fantaisie qui nous délivre de la pesanteur du quotidien. Il ne nous donne aucune leçon, ne nous adresse aucun message et on lui a cherché une mauvaise querelle en lui attribuant les pensées d’un des personnages du Confort intellectuel (1949) où il se plaçait dans une pure tradition moliéresque. De même, dans La Tête des autres, qui déclencha un scandale, il ne cherchait à rien prouver : il mettait en lumière certains aspects du monde contemporain. Il s’est voulu absent de son œuvre, mais y est toujours présent par son style inimitable.