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Aux origines des massacres politico-ethniques au Rwanda et au Burundi

Aux origines des massacres politico-ethniques au Rwanda et au Burundi Encadré : L'intervention internationale au Rwanda Des centaines de milliers de morts, pour la plupart massacrés à la machette, au moins deux millions de réfugiés, trois millions de déplacés. Le terrible drame qui a touché le Rwanda à partir d'avril 1994 a fait suite à une série d'affrontements meurtriers: 1959, 1963, 1973 pour le Rwanda; 1965, 1972, 1988, 1993 pour le Burundi. Gravées dans les mémoires, ces dates phares de l'histoire contemporaine fondent des clivages politiques et des identités ethniques exacerbés par des formations politiques extrémistes qui s'inspirent explicitement d'idéologies raciales. Au Burundi, le putsch militaire d'octobre 1993, suivi de l'assassinat du nouveau président Melchior Ndadaye et des principaux responsables de l'État a montré une fois encore à quel point l'action de quelques extrémistes décidés pouvait en quelques heures faire basculer un pays tout entier dans la violence en redonnant, dans chaque camp, l'initiative aux courants les plus radicaux. Des dizaines de milliers de morts, 180 000 déplacés à l'intérieur, quelque 700 000 à 800 000 réfugiés à l'extérieur (20% de la population), des haines ravivées pour une génération, le bilan de cette nouvelle crise a réduit à néant les efforts entrepris pour construire une démocratie pluri-ethnique. Au Rwanda de même, le 6 avril 1994, dès que fut abattu l'avion transportant les présidents burundais (Cyprien Ntaryamira) et rwandais (Juvenal Habyarimana), la Garde présidentielle, les milices de l'ex-parti unique (Mouvement révolutionnaire national pour le développement) et les forces armées gouvernementales ont mis en oeuvre un plan visant à l'élimination physique systématique de l'opposition démocratique et des populations tutsi. Avec le départ précipité de tous les étrangers puis le retrait des troupes impuissantes des Nations unies, c'est tout un peuple qui s'est vu pris en otage de stratèges déments. Poursuivi avec une violence extrême pendant des semaines, l'objectif semble avoir été pratiquement atteint, région après région, avant que les troupes du FPR (Front patriotique rwandais) ne conquièrent progressivement l'essentiel d'un pays dévasté et pratiquement vidé de sa population. Début juillet 1994, on estimait qu'il y avait entre 500 000 et un million de morts et quelque 3 millions de Rwandais avaient gagné les pays voisins (Tanzanie et Zaïre) ou s'entassaient dans la "zone humanitaire sûre" établie par l'armée française. Conflits ethniques séculaires ou ethnicisation manipulée de conflits politiques, l'analyse de la genèse de ces massacres de masse est en soi un enjeu politique décisif pour l'avenir de la région. Différenciation sociale et différenciation ethnique Si les clivages socio-ethnique entre Batwa, Bahutu et Batutsi, les trois ethnies représentées au Burundi et au Rwanda (les Bahutu comptant pour plus des quatre cinquièmes de l'ensemble), précèdent la colonisation (allemande de 1897 à 1916, puis belge jusqu'à 1962), il reviendra à l'historiographie coloniale et à l'administration belge de consolider l'identité entre des groupes ethniques remplissant des fonctions sociales différenciées (artisans twa - poterie, vannerie -, cultivateurs hutu et éleveurs tutsi) et des groupes sociaux hiérarchisés (correspondant aux stratifications socio-économiques d'une société moderne). En effet, les élites dirigeantes promues par les autorités coloniales sont quasi exclusivement d'origine tutsi et adhèrent activement à l'idéologie fondant leur suprématie dans l'histoire, la race et la religion. Les Batutsi seraient les descendants de Cham, fils de Noé, et donc des Noirs "supérieurs" (les Hamites) par rapport aux premiers occupants "bantous", les Batwa et Bahutu. A la fin des années cinquante, désireuses de s'opposer aux revendications indépendantistes des élites princières du Ruanda et de l'Urundi (graphies de l'époque), les autorités coloniales vont apporter leur soutien aux cadres hutu militant en faveur d'une "révolution sociale". Cette attitude apparaîtra comme une volte-face des plus opportunistes. Monarchistes indépendantistes tutsi soutenus par les leaders progressistes du tiers monde contre "serfs" hutu en quête d'émancipation sous la double tutelle de l'administration belge et de la haute hiérarchie catholique, la confusion politique et idéologique est alors totale. Ce brouillage des références explique pour une large part l'extrême simplification des formes de mobilisation partisane et la cristallisation sur l'appartenance ethnique. Après la proclamation de la République de Gitarama par les leaders hutu du "sud", en janvier 1961, et sa confirmation électorale de septembre, l'exclusive politico-ethnique servira d'arme contre les anciennes élites et, dans les faits, contre tous les membres de l'ethnie bannie. Au Rwanda, des résurgences meurtrières des violences ayant accompagné le processus d'accession à l'indépendance se manifesteront pratiquement jusqu'en 1973, lorsque s'achève la I République du président Grégoire Kayibanda. La dérive ethnique des luttes politiques gagne ensuite le Burundi où en 1965 le Premier ministre hutu Pierre Ngendandumwe est assassiné. Elle se poursuit avec la prise du pouvoir par le colonel Michel Micombero et la proclamation de la République en 1966, puis atteint un paroxysme en 1972 avec le massacre des dizaines de milliers de Hutu. La suprématie tutsi est alors solidement ancrée à tous les niveaux de la société. A partir de 1973 au Rwanda et de 1976 au Burundi, deux nouveaux chefs d'État, les présidents Juvénal Habyarimana et Jean-Baptiste Bagaza établissent les bases d'une paix civile régionale relative. Ils se donnent l'image de modérateurs soucieux de surmonter les clivages ethniques. S'appuyant sur des Partis-États autoritaires, les pouvoirs se veulent purement fonctionnels et quasi apolitiques. Au Burundi, les dirigeants prétendaient dépasser le "problème ethnique" dans le cadre d'une société modernisée où les hiérarchies sociales reposeraient sur les compétences individuelles. Au Rwanda, la démocratie à base de quotas garantissant un certain nombre de places dans les écoles, les entreprises, la fonction publique... aux membres dûment identifiés de l'ethnie tutsi était considérée par les autorités hutu comme satisfaisante et durable. Après de violents affrontements en août 1988 dans le nord du Burundi, le nouveau président, Pierre Buyoya, engage une politique de rééquilibrage ethnique et de large débat national. Elle débouche sur les élections présidentielle et législative de juin 1993 qui portent au pouvoir un président hutu, Melchior Ndadaye, et son parti, le Front pour la démocratie au Burundi (Frodébu). Le caractère pacifique de cette transition politique majeure est saluée par la communauté internationale. Au Rwanda, l'attaque d'octobre 1990 par le Front patriotique rwandais (FPR), composé majoritairement d'exilés tutsi installés en Ouganda, rappelle brutalement l'existence de centaines de milliers de réfugiés et réveille les "consciences ethniques". Par ses appels constants à la haine ethnique, la Radio libre des mille collines, financée et soutenue par les principaux dignitaires du régime Habyarimana, jouera un rôle décisif dans l'exacerbation des tensions, dans les exactions et massacres localisés dont seront régulièrement victimes les populations tutsi. Au terme de trois ans d'affrontements, les accords d'Arusha signés le 4 août 1993 prévoyaient l'installation d'un gouvernement de transition dominé par l'opposition interne légale et le FPR, chargé d'organiser une consultation démocratique. Refus du changement politique par les extrémistes Dans les deux pays, les factions extrémistes du pouvoir ont refusé le changement politique. Les pays riverains de la région des Grands Lacs comptaient, à la mi-1994, quelque trois millions de réfugiés croisés et autant de déplacés, les économies étaient dévastées, les États décomposés (Zaïre) ou scindés en tendances apparemment irréconciliables (Burundi et Rwanda). La victoire du FPR à Kigali, début juillet 1994, a pesé fortement sur le fragile rapport de forces politique du Burundi, où les partis de l'opposition tutsi ont remis en cause la légitimité même du processus électoral de 1993 et la "tyrannie du nombre" qui avantage arithmétiquement les formations à dominante hutu. L'inversion des force au pouvoir au Burundi et au Rwanda qui s'est produit entre les mois de juin 1993 et 1994, laisse toujours en suspens les questions fondamentales pour échapper à la spirale de la violence: surmonter les trois "maux" de "l'ethnisme, du régionalisme et du clanisme", mettre en place des institutions démocratiques garantissant les droits des minorités, transformer des armées largement mono-ethniques en authentiques forces nationales de sécurité. Quelle que soit la capacité des dirigeants politiques et des peuples à renouer les fils d'une cohabitation inévitable, le prix payé apparaissait d'ores et déjà exorbitant pour deux pays parmi les plus pauvres de la planète, confrontés à des tensions démographiques (taux de croissance de la population supérieurs à 3%, densités entre 250 et 300 habitants/km²), économiques (PIB proche de 250 dollars par habitant) et sanitaires (sida, malnutrition) particulièrement préoccupantes. Ces contraintes ont été encore amplifiées dans le contexte de désengagement international qui a suivi la fin de la "guerre froide". Sans prise réelle sur les acteurs et les événements, les représentants des principales puissances étrangères se sont, au Rwanda, cantonnés au rôle d'apprentis sorciers faisant le lit des extrémistes hutu (la France, avant son intervention militaire à caractère humanitaire, avait armé et encadré les forces gouvernementales), ou de soutiens opportunistes au FPR (Belgique, États-Unis). La tourmente burundaise s'est déroulée quant à elle dans le plus complet désintérêt. Impuissance, cynisme, calculs à court terme, ces crises inaugurent une approche nouvelle de la "communauté internationale" où seul le volet humanitaire, armé ou civil, principalement du fait des ONG, témoigne de l'intérêt maintenu pour des zones de chaos abandonnées à leur funeste destin. Instables, sans vision stratégique claire, les gouvernements des pays voisins sont apparus surtout soucieux de ne pas être entraînés dans l'engrenage des affrontements par réfugiés interposés.

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