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Autrui (cours de philosophie)

La vie quotidienne, tant qu'elle est engagée dans une suite d'actions habituelles et de réponses attendues, qui se situent dans les zones les plus superficielles du « moi », nous relie par mille liens au monde et aux autres. Mais il est des instants où la personnalité profonde fait surface et saisit sur ces situations des significations indicibles. « Le monde devient alors pour nous angoissant, car la vérité de l'antique adage nous apparaît clairement : nous sommes condamnés à vivre et à mourir seuls ». Il y a des moments, dit Louis LavelleLe mal et la souffrance », 1945), où « nous nous apercevons que tous les visages que nous croisons sont indifférents ou étrangers, et nous sommes refoulés dans un isolement où aucun regard ne vient jamais croiser le nôtre ».

— I — Solitude et communications illusoires.


1 — L'expérience de la solitude. Elle nous apporte la certitude que nous ne pouvons avoir avec quiconque que des relations extérieures et superficielles.

A — Le sentiment de la subjectivité. La réflexion se joint à l'expérience pour me montrer que les autres, comme moi, ont une subjectivité dans laquelle il est difficile de pénétrer. Les efforts pour se faire comprendre et pour comprendre autrui sont le plus souvent vains dès qu'il s'agit d'une situation personnelle. Or, ce sont de telles situations qui sont au premier plan de nos soucis. Toute tentative d'ouverture sur l'intimité d'autrui me la révèle si différente, que le sentiment de l'incommunicabilité de nos sentiments les plus personnels redouble. Il est évidemment à. son comble, si autrui est étranger. La différence des modes de percevoir de vivre, d'agir, ajoutée aux difficultés de saisir les nuances de leur expression, réduit le dialogue aux idées générales ou même plus simplement à la mimique élémentaire.

B — La douleur. « Notre puissance de souffrance et notre puissance d'isolement croissent parallèlement », dit Lavelle. Effectivement on souffre seul. Le malade aux mains des chirurgiens ou même des infirmières en fait l'expérience cruelle. De même, nous avons un sentiment d'impuissance devant la douleur de l'être aimé. Au milieu d'une tentative de communication, le surgissement soudain d'une douleur suffit pour rendre indisponible l'attention à autrui, et replonger le sujet dans sa solitude.

C — La désillusion. Il arrive que nous nous apercevions, après un long abandon à une certitude de communication, que l'autre en qui nous mettions notre confiance, nous trompait. Le doute même sur la sincérité d'autrui est terrible ; la possibilité du mensonge est le signe de la séparation irréductible. Dans des réactions imperceptibles, nous mesurons quelquefois l'abîme qui nous sépare d'autrui et le dissentiment nous laisse seuls.

D — La mort. « Le dernier acte est sanglant », a dit Pascal, « quelque belle que soit la comédie en tout le reste... On mourra seul ». La mort est inimaginable ; on imagine seulement « la mort d'un autre », car même si j'imagine la mienne, je suis celui qui contemple et donc je suis vivant. Inimaginable, elle est normalement imprévisible. Dès que nous pensons vraiment à la mort inévitable, elle irradie sur l'existence actuelle dont elle fait éclater les fausses valeurs et le sérieux illusoire pour découvrir, dans son instance, l'inanité de l'existence et la solitude de chacun.

  
Dans le cas le plus simple ou le plus banal, un dialogue devient artificiel, théâtral et stérile, si d'autres personnes entourent les inter locuteurs et ont (ou prennent) le droit de les déranger, de les critiquer, de les influencer.

2 — La reconnaissance d'autrui. « Reconnaître» autrui a ici le sens de le respecter comme être et comme autre. A l'inverse, le mépris, la haine, la volonté de domination, qu'ils se manifestent de façon directe (agressivité) ou indirecte (ruse et manipulation des consciences), annihilent le dialogue comme tel. La plupart du temps nous traitons d'« idiots », de « fous» ou d'« hommes de mauvaise foi » (ouvertement ou intérieurement) ceux et celles qui ne partagent pas nos opinions, nos conceptions, nos résolutions. A l'inverse, la reconnaissance d'autrui suppose que nous acceptons l'autre comme un semblable et qu'il a le droit d'avoir son point de vue, ses opinions, ses intérêts, ses besoins et ses attentes... différents des nôtres.

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