autocatégorème
Un autocatégorème est une figure macrostructurale de second niveau, c’est-à-dire un lieu. Il consiste en ce que le locuteur s’accuse d’une faute ou d’un crime dont le grief est justement en cause. Cet acte verbal d'auto-accusation s’insère dans une stratégie dramatique compliquée dont les effets sont, en tout état de cause, qu’à un moment ou à un autre du développement du discours, les uns ou les autres, à un niveau ou à un autre, des auditeurs ou des lecteurs, en soient trompés. L’autocatégorème, comme figure macrostructurale simple, s’apparenterait en un sens à l’ironie. C’est ce qui arrive dans les cas limpides, comme dans la fameuse scène de Tartuffe où Tartuffe dit à Orgon : Oui, mon frère, je suis un méchant, un coupable, [...] Mais la vérité pure est que je ne vaux rien. Le spectateur comprend que Tartuffe s’accuse véridiquement pour qu’Orgon comprenne à l’envers cette accusation, comme une preuve de l’innocence de son ami, par une feinte magistrale du fourbe. Mais c’est parfois plus subtil, et aussi plus nettement topique. Prenons la conduite des propos dans Phèdre. À la scène 4 de l’acte IV, Phèdre dit à Thésée : Seigneur, je viens à vous, pleine d’un juste effroi. [...] Respectez votre sang, j’ose vous en prier. Sauvez-moi de l’horreur de l’entendre crier; Ne me préparez point la douleur éternelle De l’avoir fait répandre à la main paternelle. Elle est donc prête à révéler la vérité et à s’accuser elle-même. Ce qui est confirmé par sa réaction après son entretien avec Thésée (acte IV, scène 5) : Qui sait même où m’allait porter ce repentir? Peut-être à m’accuser j’aurais pu consentir; Peut-être, si la voix ne m ’eût été coupée, L ’affreuse vérité me serait échappée. On a presque un exposé sur le système verbal de l’autocatégorème; en tout cas, c’est bien son dynamisme qui commande la réaction précédente qu’a eue Thésée (dans la scène 4) : au ton des premières paroles de Phèdre et à leur orientation, il réagit exactement à l’envers de l’intention apparente de son interlocutrice, encore plus assuré qu’il en est de l’innocence de Phèdre. En revanche, bien plus saisissants et troublants se montrent les propos ultérieurs de Phèdre. À Œnone (à elle-même) d’abord (à la scène 6 de l’acte IV) : Mes crimes désormais ont comblé la mesure. Je respire à la fois l’inceste et l’imposture. À Thésée ensuite (scène finale) : Non, Thésée, il faut rompre un injuste silence : Il faut à votre fils rendre son innocence. Il n était point coupable. [...] C’est moi qui sur ce fils chaste et respectueux Osai jeter un œil profane, incestueux. Plus de feinte, alors : mais la densité tragique de ces propos ainsi énoncés est renforcée, pour les auditeurs-spectateurs, par les prodigieux faux-fuyants des propos passés. On peut donc soutenir que le lieu de l’autocatégorème constitue l’architecture rhétorique profonde qui détermine les stratégies verbales dont le jeu, toujours subtilement décalé, organise ici l’expression tragique. => Figure, macrostructurale, niveau, lieu, topos; ironie.