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ARTAUD Antonin

ARTAUD Antonin 1896-1948
Si ce Marseillais est surtout connu pour sa contribution au théâtre (il fut acteur, écrivit divers textes théoriques qui furent réunis dans Le Théâtre et son Double (1939) il fut aussi, dans les traces des grands maudits, un poète puissant et pathétique. Fils d'un capitaine au long cours, il fera, enfant, de longs séjour chez sa grand-mère, à Smyrne. Mais une maladie nerveuse assez sérieuse l'atteint, alors qu'il est encore tout jeune; il en traînera les séquelles toute sa vie. «Monté» à Paris, il publie un premier recueil (Tric Trac du Ciel, en 1922) auquel succèdent L’Ombilie des Limbes (1925) et Le Pèse-nefs (1929). Ces recueils de textes en prose entrecoupés de pièces de vers frappent par leur extrême densité et leur grande violence. Il est, tout au long de ces années 1920, un proche des surréalistes, avec qui il se brouillera bientôt. Un voyage au Mexique, un autre en Irlande seront suivis d'un long internement en asile psychiatrique, à Rodez, où il écrira ses fameuses Lettres de Rodez. Il faut dire que ses nerfs, que la drogue, de surcroît, soumet à rude épreuve depuis déjà une quinzaine d'années, sont dans un état profond de délabrement. Il meurt à Ivry-sur-Seine, le 14 mars 1948, laissant une très importante œuvre inédite, dont la publication (plus de vingt cinq volumes), commencée en 1956, a révélé peu à peu la portée et la dimension. Poète mystique, poète halluciné, Antonin Artaud est de la lignée des voyants, des visionnaires, les Rimbaud et les Van Gogh, en même temps qu'il partage la modernité littéraire des Blanchot et autres Bataille. Son œuvre ardente et difficile, faites d'éclats, de cris et de blasphèmes, produite souvent à la frange entre transe et demi-veille, est un témoignage fulgurant et émouvant d'une tentative d'expérience poétique absolue.
♦ «Sa grande silhouette dégingandée, son visage consumé par la flamme intérieure, ses mains de qui se noie, soit tendues vers un insaisissable secours, soit tordues dans l’angoisse, soit le plus souvent enveloppant étroitement sa face, la cachant et la révélant tour à tour, tout en lui racontait l'abominable détresse humaine, une sorte de damnation sans recours, sans échappement possible que dans un lyrisme forcené dont ne parvenaient au public que des éclats orduriers, imprécatoires et blasphématoires... Un homme misérable, atrocement secoué par un dieu, comme au seuil d’une grotte profonde, antre secret de la Sibylle où rien de profane n’est toléré, où, comme sur un Carmel poétique, un vaste exposé, offert aux foudres, aux vautours, dévorants, tout à la fois prêtre et victime. » André Gide. ♦ « Artaud est un solitaire aux prises avec des obsessions effrayantes qu’on aurait tort de lui croire réservées. Qui essaie de pénétrer dans son monde peuplé de goules et strié d’éclairs n’a pas envie de rire ou de se débarrasser de cette création par le facile coup d’épaule : “C’est de la folie car cette folie, dont il a bien fallu qu’il s’accommode, lui a servi à pénétrer plus loin que quiconque dans d’étranges régions où se posent les questions essentielles de notre vie à tous. La folie n’est pas un brevet de génie, mais elle n’en est pas un, non plus, d ’infériorité. » Maurice Nadeau. ♦ « Artaud, c’était pur. C’était le cri de l’homme excédé par lui-même. C’était le grand soubresaut hurlant et nerveux de ceci ou de cela gainé, ganté dans l’horreur de notre chair, et qui s’impatiente, et qui, déchirant le gant, se déchire, à mourir... Antonin Artaud s’est à bon escient suicidé sa vie durant, sans une heure de répit, sans se préoccuper de disciples, d’imitateurs, pour notre salut. » Audiberti. ♦ « Le moins qu’on puisse dire d’Antonin Artaud, c’est qu’il ne s’est jamais avoué vaincu. C’est que l’érosion de la pensée, la ruine et la folie même le rejetaient plus sûrement à cette redoutable station intérieure qu’il s’agit (pour nous tous) de mûrir — à ce point mort, mais rayonnant où l’être pourri rassemble ses vertus. Je ne sais quel empereur disait qu’il existe trois soleils dont le premier seul est visible. Je n’ai jamais douté qu’Artaud ne vît à son gré le second. » Jean Paulhan. ♦ « Je salue en Antonin Artaud la négation éperdue, héroïque, de tout ce que nous mourons de vivre. » A. Breton. ♦ « Poète maudit dans toute l’acception du terme, Artaud s’est, en quelque sorte, immortalisé par sa résistance au monde extérieur. Se refusant aux lois naturelles comme aux lois humaines, il finit par s’inscrire en faux contre le langage tout entier, parce qu’il se persuadait que l’expression est condamnée à trahir toujours la pensée. Ayant fixé de bonne heure son attention sur le dedans de lui-même, il se soumit de plus en plus à son intériorité, là où il entendait des voix qui ne sont plus du monde des idées — pour reprendre ses propres mots. Visionnaire, dont le moindre texte brûle comme le vitriol, il demeure sans doute supérieur à son œuvre, laquelle fait songer aux fragments de quelque tragédie perdue. » Roland Purnal.


Poète, né à Marseille. Poète, mais aussi acteur, animateur de théâtre et théoricien d’un nouvel « art dramatique », Artaud a été reconnu après sa mort et mis à sa vraie place, qui est au premier rang. Entre tant de poètes qu’on nomme maudits, celui-ci a véritablement, physiquement, payé de sa personne bien que soigné dès son jeune âge pour déséquilibre mental, il n’hésitera pas à se jeter dans de périlleuses expériences, telles que le recours aux drogues (le peyotl mexicain, en particulier), chargées d’ajouter à ses irrépressibles hallucinations un appoint de visions déformantes. Sa famille le fera interner (voir ses Lettres de Rodez) de 1937 à 1946, date à laquelle ses amis obtiennent sa libération. Comédien en 1922 chez Dullin (qui bientôt lui semble trop classique), il collabore à la revue La Révolution surréaliste. En tant que poète - L'Ombilic des limbes (1925) et Le Pèse-nerfs (1927) -, Artaud se révèle aussi bouleversant dans son ton, son timbre de voix, que foisonnant dans son art. Et la part la plus riche de ces deux livres est, de plus, l’analyse de ses sensations de décorporisation de la réalité. Sur un autre plan, il crée et anime avec Roger Vitrac, de 1927 à 1929, le Théâtre Alfred-Jarry (qui, entre autres, fait connaître Strindberg au public français de sa génération). Mais c’est un spectacle de danses bali-naises, présenté à l’Exposition coloniale de 1931, qui va constituer pour Artaud la révélation décisive ; de ce jour, il se fera le théoricien d’une nouvelle dramaturgie, en rupture totale avec la conception traditionnelle ; Manifeste du théâtre de la cruauté (1932), suivi de La Mise en scène et la métaphysique, etc. Tous ces essais, publiés en revue, seront réunis plus tard dans Le Théâtre et son double (1938). La cruauté dont il est question dans le premier de ces articles doit s’entendre avant tout comme une violence faite à notre pensée (en l’espèce, au mode de pensée occidental). On interprète parfois ces idées et ces formules d’Artaud selon un schéma un peu trop simplifié. Pour lui, notre culture discursive, excellente dans la vie pratique, est débilitante, sinon mortelle, en matière de littérature ; aussi propose-t-il, en guise d’exemples, outre les spectacles balinais, les rites des Tarahumaras qu’il a observés au Mexique en 1936, ou encore le hiératique nô. Nous voici loin de la cruauté conçue comme l’étalage sur le plateau de visions d’horreur (ce qui est vieux comme le théâtre : mélodrame, spectacle d’épouvante, grand-guignol) ; loin aussi de la technique commerciale du « chauffage de salle » (qui ne péchait pas trop jusqu’ici par sa rareté en Occident). Pour Artaud, le théâtre doit être avant tout exorcisme : alors que les Anciens se contentaient d’y voir purger les passions (un exutoire à nos mauvais instincts, nous rappelle Artaud avec humour), ce qu’il s’agit cette fois de purger, c’est notre peur d’aller au monde et, par suite, il s’agit [... ] de créer une métaphysique de la parole, du geste, de l’expression. Artaud veut nous guérir de la peur par la peur. On conçoit que toutes ces vues nouvelles, ces perspectives, ces échappées, aient captivé les hommes de théâtre, depuis Jean-Louis Barrault, son ami, jusqu’à l’Anglais Peter Brook et au Polonais Jerzy Grotowski. Sans doute pensa-t-il un instant que ses propres expériences, incomprises à l’époque (Les Cenci, représentés sans succès en 1935), n’étaient pas concluantes ; mais la fécondité de ses principes apparaît immense et inépuisable aujourd’hui. On a trop souvent jugé Artaud sur des affirmations (d’ailleurs nullement provocantes dans leur intention, mais profondément vécues), des cris, par exemple : toute écriture est de la cochonnerie. Ou sur de simples titres, décevants pour qui s’en tient là et ne s’avise pas d’aller plus loin (par exemple : Pour en finir avec le jugement de Dieu, texte publié en 1947 d’une émission radiophonique qui, sur ordre, sera interdite). Souhaitons au contraire que le débat auquel ont donné naissance ses recueils poétiques, tout autant que ses conceptions révolutionnaires en matière de théâtre et les expériences qui s’autorisent de son nom, donnent envie de se reporter à tous ses écrits, y compris ses poèmes. Avec moi dieu-le-chien, par exemple, ou Invocation à la momie ; ou encore la pièce intitulée Description d’un état physique (Une fatigue de commencement du monde [...], une espèce d’éblouissement oblique qui accompagne tout effort...). Les Œuvres complètes, riches en textes jusqu’alors inédits, ont été rassemblées de 1946 à 1981.


ARTAUD Antonin.
Marseille 4.9.1896 - Ivry-sur-Seine 4.3.1948. Rarement l’œuvre et la vie d’un homme auront été aussi étroitement liées, noyées qu’elles furent dans l’amertume de l’échec, puis de la folie. Venu à Paris en 1920, A., qui, dès ses premiers essais poétiques, s’est heurté à une atterrante impuissance d’écrire ce qu’il veut, se lie d’abord avec les surréalistes. Breton lui confie le n° 3 de la Révolution surréaliste, consacré à l’Orient, mais la virulence insurrectionnelle de ce déchiré, qui trouve, à s’exprimer, sa raison de vivre, ne peut convenir à un mouvement qui prépare son rapprochement avec le parti communiste. A. est expulsé, et ses anciens amis l’insultent dans une brochure intitulée Au grand jour (1927). Revenu à sa souffrance, A. se consacre au théâtre : disciple de Dullin à l’Atelier depuis 1922, il fonde seul le «théâtre Alfred-Jarry» (1927), puis le « théâtre de la cruauté » (1932). Le célèbre volume le Théâtre et son double (1938) réunit des textes écrits de 1931 à 1933 : au lieu de se perdre dans la psychologie, « créer des mythes, voilà le véritable objet du théâtre ». Mais l’échec de sa pièce les Cenci (1935) l’entraîne à chercher dans la vie le « théâtre » que le théâtre lui refuse ; il part pour le Mexique (janv-nov. 1936). Quelque temps après ce voyage, au cours duquel il s’était drogué, une crise de folie entraîne son internement. Il restera neuf ans à Rodez, accumulant rage et aigreur contre la terre entière. Des textes délirants et atroces, comme Van Gogh ou le Suicidé de la société, séparent sa libération de sa mort. Celui qui fut Marat dans le film de Gance, Napoléon (il avait déjà figuré au cinéma dans la Jeanne d’Arc de Dreyer), représente pour l’histoire littéraire un nouveau « cas », dans la lignée des « poètes maudits » du XIXe s. ; pour l’angoisse moderne, c’est un prophète douloureux, un précurseur que certains considèrent comme génial.