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ARON (vie et oeuvre)

Philosophe et sociologue français, qui développa une vigoureuse critique du marxisme et contribua à faire redécouvrir l'œuvre de Tocqueville. Principaux écrits : "Introduction à la philosophie de l'histoire" (1938), "L'Opium des intellectuels" (1957), "Les Étapes de la pensée sociologique" (1967).
Excellent analyste des textes, débatteur virtuose, philosophe, sociologue, «spectateur engagé», Raymond Aron est le Montaigne du XXe siècle: dans un temps de fanatisme, il a défendu la tolérance et l'esprit de liberté, dissimulant sous l'analyse sociologique une véritable intention philosophique.

VIE

Raymond Aron appartient à la brillante génération universitaire de l'entre-deux-guerres, qui comptait dans ses rangs Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Albert Camus, Emmanuel Mounier, Maurice Merleau-Ponty
La vocation philosophique
Né à Paris le 14 mars 1905, Raymond Aron est conquis par la philosophie dès les premiers moments de sa classe terminale. En 1930, il passera son doctorat ès lettres. Il enseigne à l'Université de Cologne (1930- 1931) et à l'Alliance Française à Berlin (1931-1933). Secrétaire du Centre de Documentation sociale à l'école Normale Supérieure (1934-1939), il la quittera pour une chaire de philosophie sociale à l'Université de Toulouse.
Le spectateur engagé
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Aron rejoint le général De Gaulle en Angleterre et assume, jusqu'à la Libération, le poste de rédacteur en chef de la France libre. Journaliste à Combat puis aux Temps modernes à l'époque où il restait très proche des intellectuels de gauche de sa génération, il rejoint le Figaro en 1947. Il enseigne la sociologie à la Sorbonne de 1955 à 1968. En 1970, il entre au Collège de France. Il meurt en 1983.

OEUVRES

Très tardive, la célébrité de Raymond Aron ne s'est pas étendue à sa pensée philosophique. Pourtant, c'est à partir de la philosophie que l'oeuvre a pris son essor, et c'est d'elle qu'elle tire son unité: une tentative de dévoilement de la condition humaine.
Introduction à la philosophie de l'histoire (1938)
Y a-t-il une rationalité historique? Le sens de l'histoire ne saurait s'entendre que dans une perspective infinie et pour la totalité achevée de l'humanité . Ici et maintenant, les conduites des individus comme des groupes ne se réfèrent qu'à une rationalité partielle (elles visent une fin) et ne définissent pas un plan universel. Au pluralisme des sujets, qui affecte de relativité le sens de l'événement, s'ajoute le pluralisme des responsables, lequel relativise la finalité de l'action.
Dix-huit Leçons sur la société industrielle (1962)
«L'Europe, vue d'Asie, n'est pas composée de deux mondes (…) elle est faite d'une seule réalité: la civilisation industrielle.» La société industrielle regroupe dans un même type deux espèces: celle de l'Ouest, caractérisée par la libre concurrence, et celle de l'Est, où règne la planification. Mais, malgré leur apparente opposition, ces deux espèces sont caractérisées par des traits communs; deux traits sociaux: le groupe familial perd son rôle dans la production, et la main d'oeuvre tend à se concentrer; deux traits économiques: l'accumulation du capital et le calcul économique rationnel.
L'Opium des intellectuels (1955)
C'est un ouvrage contre les intellectuels progressistes, catholiques, existentialistes, qui, sans adhérer au communisme , l'accompagnent en chemin. Qu'est-ce donc qui les rend insensibles aux effets pervers de la doctrine dont ils se veulent les alliés? Il n'y a pas une gauche mais des gauches. Le prolétariat n'est pas le sujet authentique de l'histoire. La révolution n'est pas un absolu auquel ont puisse sacrifier la vérité. Le marxisme n'est pas la philosophie insurpassable, et ne saurait remplacer la métaphysique abandonnée
Les Étapes de la pensée sociologique (1967)
Le livre passe souvent pour un plaidoyer en faveur du libéralisme, mais il ne s'y limite pas. Le but recherché est avant tout d'affirmer le principe fondamental d'une pluralité fondée de points de vue différents.

EPOQUE

Une génération désorientée
La première moitié du siècle est le temps de deux guerres et du désarroi de toute une génération. Karl Marx a révélé que la lutte des classes sous-tend tout discours politique et a dénoncé l'humanisme comme idéoloogie. Friedrich Nietzsche a mis à jour l'illusion du sujet. Sigmund Freud a mis nu nos motivations secrètes et le rôle, inaperçu avant lui, de notre inconscient. Les autorités qui servaient de guides (Dieu et la raison des Lumières) ont été destituées.
La solution marxiste
Les disciples de Karl Marx vont affirmer qu'il convient de se détourner de la spéculation pour s'engager dans une réelle transformation du monde. La solution séduit de nombreux intellectuels, parmi lesquels Sartre et Camus. Raymond Aron fait partie de ceux qui, trouvant la pensée de Marx dangereuse, la refusent au nom d'un libéralisme qui se définit comme un refus de l'unification et de l'effacement des différences individuelles.

APPORTS

Pluralisme et libéralisme. «Le libéralisme d'Aron était celui de Locke, Montesquieu, John Stuart Mill et, dans une certaine mesure, Tocqueville» (Alain Bloom, Le Dernier des libéraux). Raymond Aron prône la tolérance et préconise le respect de la liberté individuelle, estimant que l'idéal est une société où l'État laisse aux initiatives individuelles «une marge de manoeuvre aussi large que possible». Mais le libéralisme d'Aron ne doit pas s'entendre comme une simple défense des pouvoirs intermédiaires. Il se fonde sur un principe fondamental: le sens de l'expérience humaine reposant sur les échanges de point de vue, c'est compromettre ce sens que de viser sans discernement une quelconque unification. Une société libérale doit respecter un large éventail d'opinions et s'accommoder d'une multiplicité d'élites, parfois antagonistes.

Actualité - postérité. Comment puis-je être moi parmi les autres, comment puis-je être moi et comprendre les autres, comment puis-je être moi, c'est-à-dire l'autre de tous les autres? Cette triple interrogation a renouvelé l'anthropologie et la philosophie. Pourtant, l'originalité du penseur a d'abord été complètement méconnue. On n'a pas vu tout de suite que le libéralisme de Raymond Aron était d'abord une exigence philosophique: le refus de figer les rapports vivants des sujets dans un moule statique, au nom d'un modèle idéologique.


ARON Raymond. Sociologue français. Né à Paris le 14 mars 1905. Par ses cours, ses articles, ses ouvrages, Aron a fortement marqué la sociologie politique française. Dès ses premières œuvres, avec un sous-titre comme « Essai sur les limites de l’objectivité historique », la démarche de Raymond Aron se profile : une méfiance profonde à l’égard des systèmes clos, une orientation volontaire vers une recherche empirique beaucoup plus proche de la ligne anglo-saxonne que des tendances françaises, ce qui explique parfois ses polémiques avec Sartre et Althusser.
En 1930, il passe son doctorat ès lettres alors qu’il termine son séjour à l’Ecole Normale supérieure où il eut pour camarades de promotion Sartre, Nizan, Senghor, Merleau-Ponty. Il enseigne à l’Université de Cologne (1930-1931) et à l’Alliance Française à Berlin (1931-1933) où déjà il perçoit la montée de la « Peste brune ». Il occupera le poste de secrétaire au Centre de Documenta
tion Sociale à l’Ecole Normale Supérieure (1934-1939) et par la suite à l’Ecole Normale de Saint-Cloud (1935-1939), qu’il quittera pour une chaire de philosophie sociale à l’Université de Toulouse (1939). Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Aron rejoint le général de Gaulle en Angleterre. A Londres, il assumera lui-même le poste de rédacteur en chef de La France libre jusqu’à la libération de la France en 1944. L’Institut des Sciences Politiques va dès lors l’accueillir, ainsi que l’Ecole Normale d'Administration; de 1955 à 1968, il restera professeur de sociologie à la Sorbonne. Aron évoluera, sur le plan journalistique, de Combat (1946-1947) au Figaro en passant par Les Temps modernes dont il assumera la rédaction en chef avec Maurice Merleau-Ponty à l’époque où il restait très proche des intellectuels de gauche de sa génération. La rupture se fera sentir quand il s’opposera à Sartre et à ses amis à propos de leur soutien inconditionnel à la Russie soviétique — il écrit alors L’Opium des intellectuels (1957). Dès lors, il s’orientera vers une ligne politique nettement « atlantiste ». Dans la Révolution introuvable (1968), il critiqua la « démission » des universitaires français au moment de mai 1968. Néanmoins, il se retrouva toujours dans le camp des décolonisateurs et restera un adversaire acerbe de la politique gaulienne dans ses écrits (1958-69).
Aron, brillant analyse de la société industrielle — v. Dix-huit leçons sur la société industrielle (1962) et Trois essais sur l’âge industriel(1966) — a grandement contribué à faire connaître en France la sociologie de Max Weber et tout particulièrement l’importance considérable des écrits de Tocqueville consacrés aux Etats-Unis. Aron est de surcroît un marxologue avisé tout en n’étant pas marxiste. Selon lui, le régime de la propriété — privée ou non — des moyens de production ne suffit pas à définir économiquement et politiquement une société. D’après une citation célèbre d’Aron : « L’Europe, vue d’Asie, n’est pas composée de deux mondes fondamentalement hétérogènes, le monde soviétique et le monde occidental; elle est faite d’une seule réalité : la civilisation industrielle. » Selon lui, la société industrielle regroupe dans un même ensemble deux types de régimes sociaux, occidental et communiste qui, malgré leur apparente opposition, ne sont que deux types différents de fonctionnement ayant en fait certains traits communs : une activité de production nettement séparée du cadre familial, ainsi que la concentration de la main-d’œuvre, accompagnée de la division du travail et, trait plus important, l’accumulation du capital et l’orientation de la croissance. Aron insistera sur le fait que cette croissance économique suppose chez les agents sociaux l’existence d’une certitude rationnelle, d’une application intensive du calcul économique et le développement des techniques. Cependant Aron n’ignore aucunement les conflits réels qui opposent l’URSS et les États-Unis; à cet égard, il manifeste un extrême scepticisme quant à une possibilité d’amélioration du rapport des deux blocs.
Parmi les ouvrages de Raymond Aron les plus significatifs, citons : La Sociologie allemande contemporaine, (1935), Introduction à la philosophie de l’histoire (1938), Les Guerres en chaîne (1951), Dimensions de la conscience historique (1961), Paix et Guerre entre les nations (1962), Le Grand Débat (1963), La Lutte des classes, nouvelles leçons sur les sociétés industrielles (1964), Démocratie et Totalitarisme (1965), Les Étapes de la pensée sociologique (1967), Les Désillusions du progrès (1969).


Aron (Raymond, 1905-1983.) Philosophe et sociologue français. Ses recherches, d'abord axées sur la philosophie de l'histoire, où il se montre relativiste, l'ont amené à critiquer fortement les théories marxistes et à cerner la réalité des sociétés industrielles, par-delà les différences apparentes entre capitalisme et socialisme : bureaucratie, économie de plus en plus nettement dirigée par l’Etat, restriction des libertés, etc. Quelques œuvres : La Sociologie allemande contemporaine (1935) ; Introduction à la philosophie de l’histoire (1938) ; L’Opium des intellectuels (1957); 18 Leçons sur la société industrielle (1962) ; Démocratie et totalitarisme (1965) ; Penser la guerre, Clausewitz. (1976) ; Mémoires, cinquante ans de réflexion politique (1983).

Aron (Raymond, Paris 1905 -id. 1983); philosophe, journaliste et politologue français. D’une famille de la bourgeoisie moyenne du judaïsme français qui a abandonné toute pratique religieuse, sujet brillant passant par Normale supérieure en 1924, agrégé de philosophie en 1928, A. semble destiné à une carrière universitaire qu’il commence d’abord comme lecteur à l’université de Cologne (1930) où il découvre Max Weber, Heidegger, la montée du nazisme, puis à l’institut français de Berlin (1931-1933), avant d’enseigner au lycée du Havre, à l’École normale de Saint-Cloud. En 1938, il soutient une thèse de doctorat, l'Introduction à la philosophie de l'histoire. Essai sur les limites de l’objectivité historique, ce qui lui permet d’être élu à l’université de Toulouse. Mobilisé, sergent, il se replie sur Bordeaux, où il choisit de rejoindre Londres dès le 24 juin 1940. Il veut se battre mais on lui demande de s’occuper d’une revue, La France libre. Gaulliste mais à sa façon, A. rompt en 1944 avec l’université pour se consacrer au journalisme {Combat, Les Temps modernes). Après un passage rapide (nov. 1945-janv. 1946) au cabinet de Malraux, ministre de l’information, il démissionne de son poste mais adhère l’année suivante au RPF. La même année (1947) il entre au Figaro. Pendant trente ans, il y écrira plusieurs chroniques par semaine. En 1955, il est élu à la chaire de sociologie de la Sorbonne. Désormais, sa vie publique sera partagée entre l’enseignement, l’écriture de ses ouvrages et l’analyse de la vie politique. S’il fut dans un premier temps écouté comme un pestiféré à cause de ses jugements sur le communisme, très vite son séminaire des Hautes Etudes devint un des pôles de la vie intellectuelle française. En 1963, il est élu à l’Académie des sciences morales et politiques et en 1970 au Collège de France. Son oeuvre, très importante, se présente sous quatre aspects. En premier lieu, des ouvrages d’études sociologiques. A ce titre, il fait découvrir au public français la sociologie allemande et la sociologie italienne (Pareto). En second lieu, une critique méthodique des illusions engendrées par le communisme dont L’Opium des intellectuels (1955) est le titre le plus célèbre. En troisième lieu des analyses du temps présent par lesquelles il participe au débat politique avec des ouvrages qui surprennent aussi bien les hommes de droite que ceux de gauche (ainsi La Tragédie algérienne, 1957, Plaidoyer pour l’Europe décadente, 1977). Enfin, il enrichit la pensée libérale à la fois dans sa dimension historique {Dimension de la conscience historique, 1981) et dans sa pratique politique et économique {Essai sur les libertés, 1965). Au total, un penseur vigoureux, alerte, perspicace et roboratif dont l’influence va grandissante. Bibliographie : R. Aron, Mémoires. Cinquante ans de réflexion politique, 1983 ; N. Baverez, Raymond Aron, 1993.



ARON Raymond.

Paris 14.3.1905 - 17.10.1983. Issu d’une famille où la vie intellectuelle était en honneur, A., après d’excellentes études au lycée de Versailles et au lycée Condorcet, entre à l’École normale supérieure dans la promotion de 1924 et y est le condisciple de Jean-Paul Sartre, avec qui il entretiendra des relations d’abord amicales, puis de plus en plus conflictuelles. Reçu premier à l’agrégation de philosophie en 1928, il est par là promis à une carrière universitaire brillante qui fera de lui plus tard un maître incontesté. Mais en attendant, il oriente sa réflexion initiale dans deux voies connexes, celle de la sociologie et celle de la philosophie de l’histoire, suivant les perspectives ouvertes par son attention particulière à la philosophie allemande, de Hegel à Marx. C’est alors qu’il séjourne en Allemagne de 1930 à 1933, au moment de la montée de l’hitlérisme. Ces années allemandes semblent avoir joué un rôle décisif dans l’évolution de sa pensée : voici en effet que l'intellectuel-philosophe, attaché à une recherche théorique sur l’Histoire et son sens, se trouve directement au contact de l’Histoire immédiate dans sa réalité concrète et dans une de ses manifestations les plus dramatiques. Dès lors, sa vocation est claire à ses yeux : il n’aura de cesse qu’il n’ait éclairci et élucidé la relation entre la philosophie et le réel, ce à quoi le préparait déjà sa formation de sociologue. Aussi sa réflexion va-t-elle désormais englober la totalité du champ historique, sous le signe d’un réalisme méthodique auquel il restera indéfectiblement fidèle, de l’histoire proprement dite à la politique, et de la politique à l’économie : réflexion unifiée, dans sa diversité même, par la recherche des fondements d’un humanisme moderne des valeurs qui devra tout aussi bien servir de référence pour résoudre les problèmes de l’enseignement et de l’Université.
Aussi l’intellectuel se trouve-t-il alors confronté au problème de l’engagement, et il se sent moralement obligé de ne point rester à l’écart d’une forme d’action qui puisse se concilier avec sa tâche de réflexion. Tenté d’abord par l’action politique directe, « sur le terrain », A., en 1946, se rallie au général de Gaulle (qu’il avait déjà rejoint à Londres dès juin 1940), et, à partir de 1947, occupe un poste important, auprès d’André Malraux, à la direction du R.P.F. (« Rassemblement du Peuple Français »). Bientôt pourtant il décide de donner la préférence à la double forme d’action qui lui paraît le mieux correspondre à sa vocation propre, l’action universitaire et l’action journalistique. Il s’affirme de plus en plus comme un enseignant, au sens le plus exigeant du terme, et le journaliste lui semble ne devoir être qu’un adjoint de l’universitaire (il omettra, délibérément, de demander la « carte de presse » à laquelle pourtant il a droit !). Collaborateur du Figaro, puis de l’Express, ainsi que de diverses revues telles que Liberté de l’esprit et Preuves, il est plus qu’un simple journaliste : un expert en matière sociologique et économique, un penseur politique dont l’influence se diffuse de plus en plus largement en France et hors de France ; la plupart de ses chroniques ou articles seront réunis en volumes. Il lui arrive, le plus souvent un peu malgré lui, de se trouver mêlé à d’âpres controverses et il se révèle alors un polémiste redoutable. Dans le même temps, l’universitaire, professeur à la Sorbonne puis au Collège de France, le « mandarin », comme il se qualifie lui-même, non sans ironie, dans ses Mémoires, poursuit sa tâche de philosophe de l’histoire des sociétés industrielles et apparaît de plus en plus comme le continuateur de la lignée moderne des grands penseurs politiques.
Or de quelque sujet qu’il s’agisse, quelque forme que revête l’expression de la pensée (de l’article de journal au « traité » universitaire, de l’actualité la plus immédiate à la synthèse globale des données d’un problème), l’intellectuel-philosophe, parce qu’il a aussi le souci de l’efficacité, s’efforce avec succès de traduire sa pensée dans un langage susceptible de concilier hauteur de vues et simplicité d’expression : à cet égard, l’œuvre de A. peut être considérée comme un modèle de communication intellectuelle et à cette technique...