ARISTOTE
ARISTOTE, philosophe grec (Stagire, en Macédoine, 384 - Chalcis, en Eubée, 322 av. J.-C.). Fils du médecin du roi Philippe, élève de Platon pendant vingt ans, il est le fondateur de l'école péripatéticienne. Les traités d'Aristote sont des notes de cours, réunies en une vaste encyclopédie et réparties en quatre groupes : 1° la logique (les Analytiques), dont l'influence fut considérable au Moyen Age, où elle suscita la scolastique. C'est Aristote qui a posé les définitions de la « déduction » et de I'« induction », qui a dégagé les notions de « concept », de « jugement » et de « raisonnement », telles que nous les utilisons couramment aujourd'hui; 2° les ouvrages de philosophie de la nature (la Physique), qui développent une philosophie vitaliste dont Leibniz, Schelling et même Bergson se sont réclamés; 3° une Métaphysique, qui explique l'origine du mouvement dans le monde à partir de Dieu, « acte suprême ». C'est un problème non résolu de savoir si Dieu est, chez Aristote, immanent ou transcendant au monde; 4° une morale pratique (Ethique à Nicomaque, Politique), qui allie les vues rétrogrades de l'Antiquité (nécessité de l'esclavage, notions de races inférieures) à des vues novatrices et modernes (rôle du milieu géographique, économique et social sur les individus, idée d'une politique fondée sur l'expérience). C'est autour de la doctrine d'Aristote, en particulier de sa logique et de sa théorie de la connaissance, que s'est développée toute la philosophie du Moyen Age, dont elle fut l'oracle et l'inspiratrice.
Aristote
(Philosophe grec, né en 384 av. J.-C. à Stagire, en Macédoine, mort à Chalcis en 322 av. J.-C.) Fils d’un médecin du roi Philippe de Macédoine, celui-ci le prendra comme précepteur de son fils, le futur Alexandre le Grand. Il devient à partir de 367 l'élève de Platon et son disciple privilégié. Mais, à la mort du maître, il prend ses distances avec sa doctrine et, après son préceptorat à la cour macédonienne, il revient à Athènes fonder son école philosophique (nommée le Lycée, à cause d’un temple voisin consacré à Apollon Lycien - tueur de loups). Des cours exotériques qu'il donne l'après-midi à qui veut l’entendre, et ésotériques (c'est-à-dire abstraits et difficiles) dispensés le matin aux initiés (en se promenant, ce qui fait qualifier ses disciples de péripatéticiens), seuls les seconds nous sont parvenus. ♦ Dans l'œuvre immense et encyclopédique d'Aristote (l'Antiquité lui attribuait quatre cents ouvrages, dont nous sont parvenus quarante-sept livres à peu près complets et des fragments d'une centaine d'autres), distinguons, outre les cinq livres de l'Organon, d'une part le groupe des sciences théorétiques, et de l’autre celui des sciences pratiques. L'Organon établit les bases de la logique formelle en faisant la théorie de la démonstration et notamment du syllogisme. ♦ Les sciences théorétiques, groupées essentiellement autour de la Physique et de la Métaphysique (texte placé après la Physique dans l’édition du Ier siècle av. J.-C.) qui ont pour objet la recherche désintéressée de la vérité, témoignent d'une pensée originale par rapport à celle de Platon. Critiquant la conception selon laquelle l'idée, et notamment le nombre, est supérieure à la réalité empirique, Aristote refuse l'anamnèse platonicienne (théorie de la réminiscence) et restitue sa dignité ontologique à l’individu dans sa dimension concrète, bien qu’il n’y ait de science - affirme-t-il - que du général, c’est-à-dire des propriétés communes aux individus, propriétés abstraites par l’esprit sous forme de concepts hiérarchisés (selon les genres et les espèces). Or l’examen de l'être individuel montre qu'il est soumis au changement et réalise de ce fait, en lui-même, des qualités qui n'y étaient d'abord que virtuelles : entre le non-être et l'être, il existe un intermédiaire, le pouvoir-être ou puissance qui tend vers son actualisation pour donner l'être en acte qui l'achève. La matière est ainsi ce qui passe de la puissance à l'acte en étant mis en forme, et la forme est le principe qui organise une matière et lui donne son sens : la matière est l'une des causes (cause matérielle) que distingue Aristote pour expliquer la constitution d'un être : par exemple, le marbre est la cause matérielle de la statue ; la cause formelle correspond à l'idée qui donne à chaque chose sa forme déterminée (l'idée du sculpteur) ; la cause efficiente est l'antécédent immédiat qui provoque le changement (coups de ciseau), et la cause finale est le but visé (gain, amour de l'art). Les êtres tendent naturellement à se réaliser pleinement, et ils se distribuent selon un ordre hiérarchique en fonction de la perfection de leur forme. Par exemple, si l'âme est la substance formelle des corps animés, les vivants ont une dignité ontologique variable selon qu'ils possèdent soit une âme végétative (plantes), soit, en plus, une âme sensitive (animaux), soit, enfin, une âme rationnelle qui spécifie l'être humain. Tous les mouvements (changements quantitatifs ou qualitatifs qui affectent les êtres de l'Univers) trouvent leur origine, non dans leurs causes observables - car dans l'enchaînement causal, il faut bien s’arrêter quelque part - mais dans l'existence d'un Premier Moteur lui-même immobile, acte pur possédant toutes les perfections. Tel est le Dieu d'Aristote, acte pur, non soumis au changement et dispensateur de tout mouvement, forme de l'activité la plus haute qui est la pensée : pensée divine qui n'agit pas directement sur ou dans le monde, mais à la manière d’un modèle absolu, cause finale qui exerce sur les êtres une force d’attraction. ♦ De leur côté, les sciences pratiques regroupent la morale et la politique. Connu en Occident par l'intermédiaire des philosophes arabes, Aristote fut au Moyen Âge intégré à la pensée chrétienne par saint Thomas, qui voyait en lui le Philosophe et le véritable représentant de la philosophia perennis. Autorité suprême et incontestée pendant longtemps - Aristoteles dixit ! - le Stagirite fut néanmoins remis en cause à partir de la Renaissance et de Descartes, dans la mesure où sa physique, toute a priori, se révéla incompatible avec l'expérience, et où, plus globalement, l'ensemble de sa doctrine avait dégénéré en scolastique dogmatique et stérile. Malgré tout, Aristote demeure un des penseurs les plus importants par l'influence profonde et prolongée qu'il exerça (et exerce encore) à travers les siècles. ♦ Les Premiers et Seconds Analytiques forment la troisième partie de l'Organon. Aristote y étudie les relations nécessaires, dont la science telle qu’il l'entend est la connaissance claire, et les conditions de validité des démonstrations. Il y recense particulièrement les différentes figures du syllogisme. Bien qu'il ne soit pas à proprement parler l'inventeur de ce mode de raisonnement dont l'aspect contraignant est dû à la seule vertu de la forme, Aristote a voulu en établir le système le plus complet en le purifiant de tout aspect subjectif. Dans les Premiers Analytiques est constituée la théorie des différentes figures du raisonnement attributif, qui permet de conclure d'une proposition initiale à une conclusion grâce à la « mineure » qui représente le moyen terme opérant la jonction nécessaire. Dans la mesure où, pour Aristote, toute proposition est de type prédicatif (sur le modèle A est B) - ce que n'admettent plus les logiciens contemporains - cette théorie nous apparaît aujourd'hui « restreinte », « exactement comme l’œuvre d'Euclide dans les mathématiques » (J. Bernhardt). Les Seconds Analytiques étudient la façon dont la connaissance s'établit de façon progressive, partant obligatoirement de la sensation pour aboutir à l’intellection (discursive ou intuitive) par le biais d'un « sens commun » et de l'imagination. C'est incontestablement par leur théorie de la déduction rigoureuse que les Analytiques tiennent dans l'histoire de la philosophie une place d'exception (cf. Kant : « Depuis Aristote, la logique formelle n'a pas progressé ».) On a même pu y voir un ensemble sclérosant, ayant notamment « retardé » les débuts de la science véritable en accordant une importance quasiment exclusive au seul raisonnement, aux dépens de l'observation et de l’expérience. En fait, il faut remarquer que cette sophistication logique ne s'effectue que chez les auteurs de la scolastique tardive, et ne pas oublier que, dans l'œuvre même d'Aristote, la déduction rationnelle n'est qu'un versant de la science - dont l'aspect empirique est largement présent dans bon nombre d'autres textes (Histoire des animaux, De la génération et de la corruption, Du ciel...). ♦ L'Éthique de Nicomaque serait, d'après les critiques contemporains, le seul ouvrage authentique d'Aristote consacré à la morale - bien qu'il ait vraisemblablement été publié par son fils Nicomaque (d'où son titre) à partir des notes (destinées à alimenter un cours public ?) laissées par le Stagirite. Seraient en revanche dus à des disciples l'Éthique d'Eudème, la Grande Morale et le Traité des vertus et des vices. S’il y semble partagé entre un eudémonisme et un intellectualisme moral, Aristote y montre un souci constant de s'appuyer sur une expérience commune aux hommes les plus différents et de ne pas se perdre dans trop d'abstractions. Ainsi, tout le monde admet que le but de la vie pratique, c’est-à-dire le bien suprême, est la conquête du bonheur. Mais en quoi consiste ce dernier ? Ni dans les plaisirs les plus sommaires, ni dans la contemplation (platonicienne) d'un bien « en soi » : on doit le concevoir par rapport à la rationalité fondamentale de l'homme, et le bien de l'homme est ainsi « une activité qui n'appartient qu'à lui, en tant que l'âme par laquelle il vit est une âme douée de raison » (Livre I). Encore faut-il distinguer les vertus dianoétiques (propres à l'activité rationnelle, elles peuvent être développées par l'enseignement) des vertus éthiques (qui sont engendrées par l'habitude). Le Livre II précise le rapport entre vertu éthique et habitude : la vertu est à strictement parler, non pas un acte, mais un « fait » (on devient juste en agissant justement) constitué d'un aspect volontaire, qui définit le but, et d'un aspect intellectuel, qui indique les moyens. D'où la définition : « La vertu est une disposition acquise volontaire consistant par rapport à nous dans la "mesure", elle-même définie par la raison conformément à la conduite de l’homme réfléchi. » Le Livre III analyse l'acte pratique pour préciser cette définition en habitude conforme, voire conjointe à la juste raison, ce qui revient à insister sur la responsabilité de l'homme, par opposition au « Nul n'est méchant volontairement » socratique. Les Livres IV et V décrivent les vertus éthiques particulières (tempérance, franchise, etc.) avec une insistance prononcée sur la justice, qui est soit distributive, soit réparative. Les vertus dianoétiques sont abordées au Livre VI. Aristote en dénombre cinq : la science, l’art, la prudence, l'intellect et la sagesse, qui définissent simultanément, chacune dans son domaine, une fin et une image du bien. Le Livre VII anticipe sur le Xe en revalorisant une certaine conception du plaisir comme fondement du bonheur, à condition que sa recherche soit guidée par la raison. C’est à l’amitié que sont consacrés les Livres VIII et IX : elle y apparaît à travers toutes ses variantes, comme une vertu fondamentale pour l'homme (animal politique), liée au sens de la justice : l'être humain ne trouvera son véritable épanouissement qu'en ayant des relations avec autrui. Le dernier livre prolonge l'analyse du plaisir pour montrer que, fondé sur une perfection de l'acte, il peut accompagner toutes les fonctions de l'âme, y compris les plus élevées. C'est pourquoi il ne peut être séparé de la vertu ni du bonheur. L'ouvrage semble alors basculer vers l’intellectualisme (ce que certains lecteurs dénonceront comme une contradiction), Aristote affirmant que l'homme ne trouve son bonheur le plus complet que dans la pure contemplation de la vérité, qui, en nous détachant des accidents du monde, nous fera goûter à une béatitude totale, divine. Comme cette dernière n'est permanente qu'en Dieu lui-même, l'activité éthique est nécessaire dans l'homme, à la fois pour tempérer ses appétits et pour s'appliquer spécialement à la vie politique. L'Éthique de Nicomaque s'articule ainsi à la Métaphysique et à la Politique. Bien que la pensée d'Aristote y soit souvent présentée de façon peu séduisante (soit par excès de concision, soit, à l'inverse, en raison de la longueur de certaines analyses), l'ouvrage est capital par la volonté qui s'y devine de proposer une morale véritablement à hauteur d'homme - même s'il s'adresse en priorité à un public constitué de citoyens libres ayant déjà de la vertu une pratique habituelle. ♦ Dans sa Politique, qu'il rédigea après avoir étudié les constitutions des cités grecques et des Etats « barbares » de son temps, Aristote affirme que l'État est la forme suprême de la vie sociale. C'est en ce sens qu'il est logiquement antérieur à l'individu ou à la famille, dans la mesure où il est auto-suffisant et réalise des fins qui, tout en étant aussi les leurs, échappent à l'individu comme à la famille. D'où la célèbre affirmation de l’homme comme animal politique. Analysant les éléments de l'Etat, Aristote justifie l'existence des esclaves par les différences naturelles entre les hommes et par les besoins techniques de la production. Mais en dernière analyse (puisque certains deviennent esclaves après une défaite) l'opposition entre l'homme libre et l'esclave est celle qu'il y a entre la vertu et le vice. Passant en revue les relations familiales et les activités de la famille, Aristote étudie l’art d'acquérir naturellement des richesses (par opposition à l’usure, qui est condamnable) et les différentes formes d'autorité en jeu dans l'organisation familiale : si celle du mari sur l’épouse ressemble à celle d'un gouvernement républicain, celle d'un père sur ses enfants est comparable à l'autorité qui s'exerce dans une monarchie. Par opposition aux thèses communautaires de Platon, Aristote affirme que les liens affectifs entre parents et enfants sont déterminés par la nature, ainsi que les règles d’éducation (dont c'est par ailleurs l’État qui devra être chargé pour former la vertu des futurs citoyens). Quant au vrai citoyen, il aura pour principales vertus l'obéissance et la capacité à commander, car il est défini par sa participation à la justice et à la magistrature. Aristote distingue trois sortes de gouvernements, selon que la souveraineté - qui est toujours pour lui le fait du gouvernement -est exercée par un seul, par quelques-uns ou par beaucoup : monarchie, aristocratie et république ont leur version perverse dans la tyrannie, l'oligarchie et la démocratie, qui sont contraires à la nature. En fait, le philosophe ne privilégie pas une forme de gouvernement au détriment des deux autres, admettant que chacune peut être adaptée aux caractères propres d'un peuple. Anticipant sur la distinction moderne des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire (cf. Montesquieu), Aristote attribue au gouvernement une triple fonction : de délibération, d'administration et de justice. Quant à la domination impérialiste d’une nation sur une autre, elle ne se justifie que lorsque la première est supérieure en nature : c'est évidemment le cas de la Grèce, dont le rôle est ainsi de civiliser les Barbares.
Autres œuvres importantes : Physique ; Du Ciel ; De la génération et de la corruption ; Histoire des animaux ; Parties des animaux ; De la génération des animaux ; De l’âme ; Métaphysique ; Constitution d’Athènes ; La Poétique ; La Rhétorique.
- POLITIQUE (Traité de la), d'Aristote. Cette étude intéressante des diverses constitutions dégage trois formes valables de gouvernement : la royauté, l'aristocratie (étymologiquement : le gouvernement des meilleurs), la démocratie, dont les déviations correspondantes sont la tyrannie, l'oligarchie (gouvernement qui se contente de flatter le peuple par des paroles) et la démagogie (ou gouvernement des castes).
ARISTOTE. Né à Stagire (aujourd’hui Stavro), petite ville de la péninsule chalcidique en 384 av. J.-C., mort à Chalcis en 322. On peut dire d’Aristote qu’il fut le plus grand génie spéculatif de l’histoire de la pensée grecque. Cette primauté ne pourrait être contestée qu’en faveur de son maître Platon. De fait, toute l’histoire de la philosophie est dominée par ces deux grandes figures, et il a été dit à juste titre que tout philosophe, même moderne, est ou platonicien ou aristotélicien, en ce sens qu'il est nécessairement plus proche de Platon ou plus proche d’Aristote puisque toute pensée spéculative digne de ce nom procède à la fois de ces deux philosophes. Mais, si le « divin » Platon reste un exemple inégalé de génie philosophique pour avoir, le premier, donné a la philosophie son véritable monde, celui de la pensée (le monde des « idées ») et l’avoir exprimé avec une passion contenue qui le place au rang des grands poètes, il n’en est pas moins vrai qu’Aristote a été et sera toujours le maître de cette pensée critique et systématique qui est le fondement même de la science. Non qu’il nous offre d’emblée un système achevé et rigide. Bien au contraire. C’est la scolastique qui le représenta ainsi, et le dogmatisa, au service d’une doctrine d’une portée et d’une signification toutes différentes, la théologie chrétienne. Comme des études récentes l’ont montré (W. Jäger, Aristote, Première ébauche d’une histoire de son évolution spirituelle), la pensée aristotélicienne est le fruit d’une méditation lente et laborieuse, rien moins que paisible; elle fut toujours déchirée par des contradictions intérieures, des inspirations opposées, ce qui permit aux penseurs des tendances les plus inconciliables de se réclamer d’elle à bon droit. Aristote était encore jeune quand il mourut, mais tout porte à croire que même s’il était parvenu à un âge plus avancé comme son maître Platon, il n’aurait pas résolu ces contradictions inhérentes à l’attitude fondamentale de la pensée grecque en général (de telle sorte que ces contradictions mêmes rendent la position d’Aristote encore plus représentative, encore plus exemplaire). Comme toujours, les circonstances de la vie nous éclairent sur la pensée du philosophe. Le père d’Aristote, Nicomaque, était médecin. C’était même le médecin particulier et l’ami d’Amintas II, roi de Macédoine, ce qui explique en partie du moins la prédilection du fils pour les sciences biologiques (contrairement à Aristote, Platon fut plus attiré par les mathématiques). Aristote perdit tôt son père et sa mère et il fut confié à la tutelle d’un parent, Proxène, auquel il garda une reconnaissance qui lui fit plus tard adopter le fils de celui-ci, Nicanor. Mais l’événement décisif de sa vie fut son départ pour Athènes, où il s’inscrivit à l’Académie de Platon. Il avait alors dix-sept ou dix-huit ans et il y resta jusqu’à la mort du maître (347), soit près de vingt ans. Un séjour aussi prolongé s’explique par la conscience que devait avoir Aristote de se trouver en présence d’un maître d’une valeur exceptionnelle, et par le fait que, selon l’usage des écoles de l'Antiquité, il était libre de travailler pour son propre compte, c’est-à-dire de ne pas souscrire entièrement à son enseignement. L’école était au contraire un lieu de discussion, et il semble qu’Aristote se soit fait immédiatement remarquer par la vivacité de son esprit, s’il est vrai, comme on le prétend, que Platon lui aurait donné le surnom de Noûs, intelligence. Il convient ici de préciser un point qui éclaire non seulement sa vie, mais aussi sa philosophie. La légende, consacrée par la fameuse fresque de Raphaël, L’Ecole d’Athènes, fait état d’une dissension allant jusqu’à l’inimitié, entre maître et disciple, ou plutôt entre les deux maîtres. Certes, ils sont en désaccord flagrant sur la question capitale des « idées » qui, selon Platon, ont une existence propre, tandis que pour Aristote elles n’existent pas en tant que telles, mais en tant que « formes », qui rendent intelligibles les choses, dont elles constituent l’« essence ». Chaque chose en effet, est composée de matière et de forme (c’est-à-dire une existence concrète, ousia, en latin « substance », pour la distinguer de ses qualités ou propriétés plus ou moins changeantes, qui en sont les « accidents »). De plus, la conception platonicienne est, de ce fait même, une conception « statique », d’où la difficulté du platonisme à donner vie et mouvement à ce monde des idées (qui aux yeux de nous, modernes, n’existent évidemment qu’en fonction de l’activité de la pensée qui les pense). La conception aristotélicienne, elle, tout en ayant hérité du platonisme un caractère foncièrement statique (les « essences » des choses sont ce qu’elles sont par elles-mêmes), vise à fonder un « dynamisme » universel, en ce que le monde est conçu comme une évolution des formes qui, en passant de la puissance à l’acte, réalisent dans la matière une intelligibilité de plus en plus grande et parfaite jusqu’à cette intelligibilité absolument pure, dépourvue de matière, qui est l’objet de l’intelligence divine, laquelle ne peut ainsi que se penser elle-même comme l’unique objet digne de l’être. Donc, le désaccord existe. Mais aussi et surtout un accord fondamental, puisque Aristote comme Platon maintient la supériorité de l’intelligence sur le sensible, de la forme sur la matière; enfin il est historiquement faux que ce conflit idéologique ait jamais dégénéré en inimitié; Aristote a toujours vénéré en son maître l’expression la plus haute qu’avait atteint la pensée jusqu'à ses jours. Même lorsqu’il polémique contre la doctrine des idées, plutôt qu’aux œuvres du maître il songe aux écrits de ses disciples, ses compagnons d’école, qui exploitant l’obscurité et les incertitudes qui avaient marqué la dernière période de l’enseignement platonicien, lorsqu’il avait cherché à établir comme un pont entre l’intelligible et le sensible par le truchement des « idées-nombres » (c’est-à-dire d’entités intermédiaires), avaient versé dans des élucubrations qui ne présentaient plus rien du caractère concret propre à la spéculation philosophique comme aux sciences mathématiques. Mais, même à l’égard de ses adversaires, sa polémique reste toujours dans les limites de la correction, comme en fait foi aussi le passage de l'Ethique à Nicomaque , déformé par la légende en « Amicus Plato sed magis amica veritas », et en réalité ainsi conçu : « Pour pénible qu’il nous soit de soulever un tel problème, en raison de l’amitié que nous portons à ceux qui ont introduit ces doctrines, chacun comprendra aisément que l’amour de la vérité parle plus fort que les considérations d’ordre privé, spécialement lorsqu’on fait profession de philosophe » (ibid., I, 6). La légende, où il est question de jalousie et d’autres sentiments du même ordre, naquit de cette équivoque et du manque de sens critique apporté à l’évaluation des rapports entre les deux doctrines : elle fleurit surtout à la Renaissance, lors des querelles entre platoniciens et aristotéliciens. Revenons maintenant au jeune Stagirite devenu l’élève du grand philosophe athénien. Nous devenons à Jäger la connaissance d’un fait capital : avant de critiquer la doctrine de son maître, Aristote en fut le disciple fervent. Il écrivit à la manière de Platon plusieurs dialogues animés du même esprit; mieux, si l’on en juge d’après les fragments de l’un d’eux, l'Eudème, il allait même plus loin que Platon, poussant le sentiment religieux jusqu’à un véritable mysticisme. Dans ce dialogue et dans le suivant qui s’y rattache, le Protreptique, on trouve, à côté de l’exaltation de la vie philosophique, des accents d’un sombre pessimisme à propos de la vie mortelle à laquelle l’homme est condamné, comme dans ce passage où il met dans la bouche d’un prisonnier du roi Midas ce propos : « La meilleure de toutes les choses est de ne pas naître et la mort est préférable à la vie » (Eud., fr. 6); ou bien, lorsque après avoir constaté la « vanité de tous les biens terrestres », aux yeux de celui qui a contemplé ne serait-ce que quelques vérités éternelles, il compare l’union de l’âme au corps au supplice que certains pillards étrusques infligeaient à leurs victimes, « liant étroitement face à face le vivant et le mort » (Protr., 10 b). Après la mort de Platon, son neveu Speusippe lui ayant succédé à la tête de l’école, Aristote quitta l’Académie et fonda une école à Axos, sur la côte de la Troade, où Hermias, seigneur d’Atharnée, avait créé un petit cénacle d’élèves de l’Académie. Entre les deux hommes naquit une vive amitié qui ne devait se terminer que par la mort tragique d’Hermias à l’occasion de laquelle Aristote composa un très bel hymne destiné à son monument funèbre. Il avait épousé sa nièce Pythias qui lui donna une fille du même nom. Il semblerait que sa femme soit morte peu de temps après et il contracta une union durable, sinon légitime, avec une femme de Stagire, Erpillys, dont il eut un fils qu’il nomma Nicomaque en souvenir de son père. C’est pour lui qu’il écrivit plus tard l'Êthique à Nicomaque. Après trois ans il quitta Axos pour Mytilène, dans l’île de Lesbos, et il y ouvrit une autre école qu’il dirigea jusqu’en 343-42, lorsqu’il fut invité par Philippe, roi de Macédoine, à remplir la fonction de précepteur près du jeune Alexandre qui avait alors treize ans. Il semble que l’écrit sur les Questions homériques soit de cette époque, car la coutume voulait que l’on lût et commentât les poèmes d’Homère pour former les jeunes. La présence d’Aristote à la cour et son intimité avec Philippe d’abord et Alexandre ensuite, a dû avoir une influence déterminante sur ses idées politiques, dont la Politique, qui représente en face de l’idéalisme éthique de la République de Platon l’autre pôle de la pensée classique réaliste et « politique » au sens moderne du terme, reste le témoignage. Lorsque Alexandre devint d’abord régent, puis, à la mort de son père, roi, Aristote quitta la cour de Macédoine. En 335-34 il revint à Athènes où il fonda son fameux Lycée. Au cours de cette période intermédiaire de voyages entre l’aller et le retour (douze ans environ; son enseignement à Athènes devait durer douze autres années), Aristote, selon les historiens et critiques modernes, a écrit de nombreux ouvrages; toutefois il demeure quelque hésitation sur les dates, du fait entre autres qu'il les remaniait souvent, y introduisant des additions et des corrections, alors que ses éditeurs postérieurs les classèrent selon le sujet traité, se souciant peu ou prou de la différence d’origine et d’inspiration des diverses parties. Rappelons à ce propos une circonstance qui ne laisse pas de surprendre : d’Aristote, l’Antiquité a connu surtout les œuvres de jeunesse, platonisantes, aujourd’hui perdues; celles de la maturité, c’est-à-dire du temps du Lycée d’Athènes, semblent après sa mort avoir disparu de la circulation. Il avait légué ses manuscrits à Théophraste qu'il désigna pour lui succéder au Lycée. Théophraste les laissa à son tour à Nélee, autre disciple de l’école, qui les confia à ses parents habitant à Skepsis. Une anecdote de Strabon raconte que ces derniers les rangèrent à l’intérieur de caisses, dans une cave où elles auraient été livrées aux souris pendant quelques siècles, jusqu’à ce que, du temps de l'occupation romaine, Sylla, ayant eu vent de la chose, s’en emparât et les transportât à Rome. Quoi qu’il en soit, il faut attendre le début du premier siècle av. J.-C. pour avoir la première édition systématique et complète du corpus des écrits qui restaient d’Aristote, par les soins d’Andronicos de Rhodes. C’est l’Aristote que nous connaissons aujourd’hui. Ajoutons que l’œuvre aristotélicienne ne s’intégra véritablement à la culture philosophique qu’au Moyen Age, à travers les Arabes, au début du XIIIe siècle. L’on sait aussi qu’elle fut connue d’abord dans la version orientalisée d’Averroès (« qui, dit Dante, fit le grand commentaire ») et des autres Arabes, Musulmans et Juifs. Ce fut le mérite de saint Thomas de rendre à la doctrine le sens précis des textes originaux. Si bien que notre Aristote moderne est en définitive celui décanté, et élaboré pour s’accorder avec le dogme chrétien de la philosophie scolastique. De plus, il faut tenir compte du caractère particulier de ces écrits, plans de leçons ou leçons pour la plupart; d’où leur caractère schématique de résumés dictés par le maître ou pris en note par les élèves (bien qu'éventuellement revus par lui). Peu nombreux sont les œuvres ou les fragments écrits expressément pour la publication. Il semble avéré qu’Aristote faisait deux cours différents : l’un limité au cercle des élèves de l’école (ésotérique); l’autre, plus accessible, destiné à un auditoire plus vaste (exotérique). L’on dit aussi qu'il aimait dispenser son enseignement en se promenant à travers les allées qui entouraient l’édifice de l’école, d’où son nom de péripatéticienne. Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans le détail des dates de composition des principales œuvres d’Aristote : la question d’ailleurs est loin d’être tranchée. Nous contentant d’une approximation grossière, nous dirons que la Physique et l'Organon semblent avoir été écrits avant la création du Lycée. L’une a joué un rôle fondamental dans la formation de l’esprit scientifique occidental ; elle se rattache naturellement à de nombreux autres écrits appartenant à diverses périodes (dont certains des dernières années) ; Traité du Ciel, De la Génération et de la corruption, Météorologiques, Histoire des Animaux, Traité sur les parties des Animaux, Problèmes de Mécanique, Parva Naturalia. La supériorité d’Aristote sur son maître dans ces matières est indiscutable : à la représentation mythologique de l’ordre cosmique, œuvre du démiurge de Platon, Aristote oppose l’idée de la « nature » conçue comme une réalité qui « porte en soi le principe du mouvement». Aujourd’hui encore, après Galilée, la science, renonçant aux « hypothèses métaphysiques », se borne à étudier ce mouvement. Toutefois, chez Aristote l’expression est prise dans une acception beaucoup plus large, elle comprend tout « changement » qui se produit, comme dirait Kant, dans le monde des phénomènes. Mais il n’en est pas moins vrai qu’Aristote distingue très nettement les branches fondamentales de la recherche scientifique, la physique, les sciences mathématiques d’un côté, les sciences biologiques de l’autre. Les mathématiques étaient à l’honneur en Grèce depuis Pythagore; Platon leur donnait la préférence. Aristote est vraiment le père de la mentalité biologique dont on trouve cependant une première esquisse chez les physiologues ioniens, en particulier chez Anaximandre; il est également le fondateur de la logique : son Organon est resté pendant deux milliers d’années un exemple inégalé de cette science. On sait qu’après l’abus qu’en avaient fait les scolastiques qui l’avaient réduite à un exercice purement formel et même verbal, naquit avec Bacon l’exigence d’une science de la logique plus conforme à la réalité de l’expérience, puis avec Kant l’idée d’une « logique transcendantale > reprise par Hegel qui la transforma en idéalisme absolu. Mais il s’agissait toujours là du développement d’une idée qu’Aristote avait été le premier à concevoir. Rappelons encore la Rhétorique, domaine qui semble aujourd’hui délaissé, tandis que la Poétique a connu de nos temps une vogue extraordinaire (cf. aussi Des Poètes). Un critique moderne a pu écrire que les quelques pages qui restent de cet ouvrage suffiraient à faire la gloire d’un écrivain. Comme on voit, l’affirmation d’après laquelle la culture occidentale a évolue dans une voie qu’Aristote avait été le premier à indiquer n’a rien d’excessif. Aux œuvres citées, il faut ajouter encore ses ouvrages sur l’éthique et la psychologie : on sait aujourd’hui que l'Ethique à Eudème est une première version de celle à Nicomaque qui est un véritable chef-d’œuvre (elle compte certainement parmi les œuvres destinées à la publication). Le but de l’homme est certes le bonheur; mais Aristote le fait consister dans le perfectionnement de l’individu, un équilibre idéal de vertu et de plaisir, de raison et d’appétit (cependant au-dessus du bonheur que donne l’activité pratique il place, fidèle en cela à Platon, celui que procure l’activité spéculative, philosophique). Le De l’Ame, du moins les deux premiers livres, appartient à la dernière période (de même d’ailleurs que les Parva Naturalia déjà cités) : on y trouve la fameuse définition de l’âme, principe formel et actuel de la vie organique, ou comme on dirait aujourd’hui, psycho-physiologique, qui pourtant dans l'homme s’élève du sensible à l’intelligible, participant ainsi à l’intelligence divine elle-même. La question des idées religieuses est plus difficile et complexe, car dans ce domaine nous apportons inévitablement tout un héritage chrétien dont on chercherait en vain les sources en Grèce. Le christianisme comporte un dogme fondamental, celui de la création, tout à fait étranger à la pensée grecque, qui pose en principe que l’être vient de l’être, non du néant, et que partant le monde a toujours existé. D’après les penseurs grecs, Dieu fait en quelque sorte partie du monde, c’est sa partie divine. La perte du vaste ouvrage d’Aristote De la Philosophie, que Jäger situe au début de la période intermédiaire, c’est-à-dire peu après 347, a été un malheur irréparable. Si l’on en juge d’après les fragments assez nombreux qui demeurent, il semble qu’Aristote y ait voulu ébaucher une philosophie de la religion, la première du genre, et qu’on y trouvait déjà en germe les idées de sa fameuse théologie, exposée dans certains chapitres du Livre VII de la Métaphysique. C’est la première vraie théologie de l’histoire de la philosophie et elle a été interprétée en un sens chrétien, et ainsi plus ou moins déformée par les penseurs médiévaux et surtout par les philosophes scolastiques. Le point où la philosophie d’Aristote se rapproche le plus — ou s’éloigne le moins — du christianisme est dans sa conception d’un Dieu moteur immobile, qui pour Aristote n’était cependant qu’une finalité cosmique universelle. Il est vrai qu’à l’opposé de son maître, ainsi qu’on l’a noté, il avait rendu immanent à la nature le principe du mouvement, mais comme, conformément à la croyance commune de l’époque, il pensait que les astres étaient de nature divine (c’est pourquoi il les dota d’une matière éthérée, incorruptible), il devait logiquement aboutir à la conclusion qu’au-delà existait un moteur parfaitement immatériel qui réglait l’ordre cosmique en tant que finalité suprême, c’est-à-dire idéal de perfection (cause non efficiente, mais finale). Bref étant donné qu’il pensait, avec Platon d’ailleurs, que la nature, c’est-à-dire le cosmos dans sa totalité harmonieuse, était une œuvre d’art divine (non par son origine, mais par son organisation), il devait raisonnablement et fatalement « personnifier », pour ainsi dire, le principe final en un moteur situé au-delà du mouvement physique (le remplaçant donc du mythique démiurge de Platon). Il s’agit par conséquent d’une transcendance physique et astronomique, non spirituelle, comme celle du Dieu chrétien. (De là à une interprétation panthéiste du type néo-platonicien il n’y avait qu’un pas; ce pas, Bruno le fit après la ruine du système de Ptolémée, alors que l’idée du caractère divin des astres était une notion depuis longtemps périmée.) Mais on ne peut nier qu’Aristote, tout païen qu’il était, fût pénétré d’un sentiment religieux sincère et profond, bien que fort éloigné du mysticisme de sa jeunesse. La Métaphysique est l’œuvre la plus connue d’Aristote et le titre, qui n’est pas de lui d’ailleurs, mais d’Andronicos, évoque assez en lui-même la complexité des problèmes auxquels il s’est attaqué : aujourd’hui encore c’est le champ de bataille le plus disputé de toute la philosophie. Nous éviterons soigneusement de nous aventurer sur ce terrain dangereux, nous limitant à signaler dans cette œuvre l’admirable groupe des Livres VII, VIII et IX, le dernier surtout, où il fait essentiellement de la métaphysique un problème de gnoséologie. Dans ses dernières années, Aristote, en dehors des études d’histoire naturelle proprement dite, s’était consacré également à des études historico-politiques sur la constitution des différents États. De cette série il ne nous reste que le fragment récemment découvert sur la Constitution d'Athènes. Mais le monde politique autour de lui était en proie à la plus furieuse tempête qui eût jamais menace la capitale de l'Hellas classique. Le rêve d’Aristote d’une unification de la Grèce, serait-ce sous la férule de la puissance macédonienne, afin qu’elle pût prendre la tête de la civilisation mondiale, s’évanouissait, tandis que dans l’autre camp, celui des « nationalistes » dirigés par Démosthène, ou fulminait contre lui, le traître, ami d’Alexandre, on porta contre lui, comme contre Socrate, l’habituelle accusation d’impiété. C’était en 323. Il quitta Athènes pour éviter, dit-il aux Athéniens, « de pécher deux fois contre la philosophie ». A Chalcis, bastion de l’influence macédonienne, où il s’était retiré, il mourut l’année suivante d’une maladie d’estomac dont il souffrait depuis longtemps. Son testament se terminait ainsi : « Que là où je serai enseveli on transporte les cendres de ma femme Pythias selon qu’elle l’a souhaité. Et quand Nicanor sera heureusement rentré de son voyage, qu’il dédie, pour accomplir le vœu que j’ai fait, à Zeus et à Athéna sauveurs de Stagire, deux statues de pierre de quatre coudées de haut. » Tel fut l’homme Aristote, et tel le philosophe que le Moyen Age chrétien d'Occident devait retrouver pour lui donner la place que l’on sait. La transmission de l’œuvre d’Aristote après la fermeture, en 529, par ordre de Justinien, de l’Ecole d’Athènes, se fît par l’Orient où l’aristotélisme avait cherché refuge. Dès le Ve siècle, plusieurs livres d’Aristote avaient été traduits en langue syriaque; c’est sous cette forme qu’ils vinrent à la connaissance des Arabes et suscitèrent chez eux, à partir du IXe siècle, traductions et études. Dans le même temps ou un peu plus tard, un mouvement analogue s’était produit chez les Juifs d’Égypte et de Palestine. C’est par ces versions arabes et hébraïques que l’Occident chrétien prit, après les premières croisades, de l’œuvre du philosophe une connaissance plus exacte et plus complète que celle qui lui avait été transmise par les écrits inspirés par un aristotélisme néoplatonicien qui avaient eu cours jusqu’alors. Enfin, dès le début du XIIe siècle, les savants eurent en main les textes grecs eux-mêmes et en entreprirent la traduction en latin, une des premières fut celle de Guillaume de Moerbeke qu’utilisa saint Thomas d’Aquin.
Philosophe et savant grec, dit « le Stagirite » (384-322 avant J.-C.). • L’œuvre d’Aristote, qui nous est parvenue de manière fragmentaire, couvre à peu près tous les domaines du savoir. Redécouvert au Moyen Âge grâce aux traductions et aux commentaires des philosophes arabes, le système aristotélicien s’est imposé, du XIIIe au XVIIe siècle, comme la pensée dominante en Europe. • À l’idéalisme de Platon et à sa conception d’une science détachée du monde empirique, on oppose le naturalisme d’Aristote, son sens aigu de l’observation et son goût pour le détail concret. Ainsi, alors que Platon privilégie les essences, modèles éternels et parfaits de toutes choses, Aristote choisit de rendre compte de la complexité et du caractère changeant des réalités observables. • C’est Aristote, pourtant, qui invente la logique formelle, élabore la théorie du syllogisme et formule les principes fondamentaux de la pensée (principes d’identité, de non-contradiction et du tiers exclu) ; mais la logique n’est ici qu’un instrument (organon en grec) au service de la science et du savoir. • La physique d’Aristote cherche d’abord à expliquer le mouvement des corps naturels, à l’aide de la théorie des quatre causes et de l’opposition acte/puissance. Elle comprend également une cosmologie, qui distingue le monde supralunaire des corps célestes, régi par des mouvements circulaires et parfaits, et le monde sublunaire (situé « sous la lune »), soumis à la génération et à la corruption. • Dans les livres de métaphysique (qui viennent, d’après le classement effectué par les éditeurs posthumes d’Aristote, « après la physique »), se dessine la science des premières causes et des premiers principes, ou science de « l’être en tant qu’être », qui conduit à l’affirmation d’un dieu conçu comme premier moteur et acte pur. • Comme la plupart des morales antiques, la morale d’Aristote est un eudémonisme : le bonheur est le Souverain Bien. Mais il n’y a de vrai bonheur, pour l’homme, que dans la contemplation - activité de l’âme conforme à la vertu propre de l’homme, c’est-à-dire à sa raison. De surcroît, l’homme étant par nature un « animal politique », c’est seulement au sein de la Cité, forme la plus aboutie de communauté humaine, qu’il peut accomplir sa nature et réaliser sa perfection. Principaux écrits : Organon, Physique, De l’Âme, La Métaphysique, Éthique à Nicomaque, Ethique à Eudême, Politique.
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