Apostrophe
Apostrophe
Procédé rhétorique tenant dans le fait que celui qui s’exprime interpelle un public présent, un public réel mais absent ou un public imaginaire. Baudelaire utilise, par exemple, l’apostrophe à la fin de « Au lecteur », poème qui ouvre Les Fleurs du mal. Après avoir longuement évoqué l’« Ennui », il écrit : «Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, — Hypocrite lecteur, — mon semblable, — mon frère ! » Le « public » auquel s’adresse l’apostrophe peut être un individu, un groupe d’individus ou même un arbre, un lac, des nuages, etc.
APOSTROPHE nom. fém. - Figure de rhétorique qui consiste à interpeller un public présent ou absent. ETYM. : du grec, sur le radical apo contenant l’idée d’éloigner, d’écarter, et sur strophe = « partie du poème chantée par le chœur pendant qu’il fait un tour de l’orchestre (lieu de l’évolution du chœur) dans la tragédie », d’où littéralement « appel qui fait se détourner ». L’apostrophe est l’un des procédés favoris de l’art oratoire. Mais on la trouve aussi en poésie comme moyen d’évocation suggestif et pathétique. Dans « Le balcon », s’adressant à « la reine des adorées », Baudelaire écrit, par exemple : « Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses, O toi, tous mes plaisirs ! ô toi, tous mes devoirs ! » Dans « L’horloge », Baudelaire utilise l’apostrophe pour interpeller l’horloge qui interpelle à son tour le lecteur (et le poète lui-même) : « Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace et nous dit : “ Souviens-toi !” »
Apostrophe. Figure par laquelle on s’adresse à un interlocuteur réel :
En vérité, mes Pères, il y a bien de la différence entre rire de la religion, et rire de ceux qui la profanent par leurs opinions extravagantes. (Pascal, Les Provinciales)
ou fictif :
Chers confidents de mes désirs, Beaux lieux, secrets témoins de mon inquiétude, Ce n’est plus avec des soupirs Que je viens abuser de votre solitude [...] (Corneille, La Veuve)
Sur le plan syntaxique, l’apostrophe constitue un élément non intégré et mobile dans la phrase, parfois précédé de ô :
Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille [...] (Baudelaire, Recueillement)
L’apostrophe est oratoire ou rhétorique, lorsqu’elle consiste à mettre en scène des interlocuteurs absents ou imaginaires. Dramatisant le discours, il est logique qu’elle s’accompagne fréquemment de personnification, comme dans ce dernier exemple de Baudelaire. L’adresse au lecteur constitue un cas particulier d’apostrophe :
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, - Hypocrite lecteur, - mon semblable, mon frère ! (Baudelaire, Au lecteur)
Apostrophes (1975-1990). Diffusée rituellement le vendredi en deuxième partie de soirée sur France 2 durant quinze ans (du 10 janvier 1975 au 22 juin 1990 ; 724 émissions), elle a été la seule véritable émission littéraire de la télévision française à connaître une très large audience et à exercer une certaine influence sur la vie littéraire. Ce succès est avant tout celui de Bernard Pivot, concepteur, producteur et animateur de l’émission, qui savait, avec une certaine truculence, toujours respectueuse de son interlocuteur, mettre en confiance et en valeur ses invités, ceux-ci adoptant le plus souvent, à cette occasion, une réelle liberté d’expression à la télévision. Ce succès eut des effets sur les ventes des livres : les Fragments d’un discours amoureux de Barthes, Désert de Le Clé-zio, L Insoutenable Légèreté de l'être de Kundera, entre autres, connurent de bons tirages après le passage de leur auteur sur le plateau d’« Apostrophes ». D’où la réorganisation des services de presse des grandes maisons d’édition, qui tentèrent dès la fin des années soixante-dix de présenter leurs nouveaux auteurs comme autant d’« apostrophables ».
C’est autour de ce pouvoir grandissant que des critiques de plus en plus vives se cristallisèrent. Outre que l’organisation de l’émission semblait favoriser les beaux parleurs avides de succès plutôt que les écrivains intimidés par le jeu médiatique, elle pouvait, par son succès même, donner au public le sentiment que tout ce qui n’était pas présenté sur le plateau n’était pas de la littérature. « Apostrophes » a, en ce sens, servi l’introduction des procédés marketing dans la vie littéraire française. Son animateur n’a cependant pas manqué d’inviter d’importants écrivains atypiques comme Georges Perec ou, plus tard, Charles Juliet, ainsi que des penseurs importants comme Vladimir Jankélévitch ou Philippe Ariès, en dépit d’une œuvre peu accessible au grand public. D’« Apostrophes », il subsiste aussi des entretiens privés avec de grands auteurs comme Albert Cohen, Vladimir Nabokov, Marguerite Yourcenar ou Georges Simenon.
- La Télévision. Les débats culturels : « Apostrophes », dir. Patrick Charaudeau, Didier-Érudition, 1991.