Databac

antéoccupation

Une antéoccupation est une figure macrostructurale de second niveau, c’est-à-dire un lieu. Celui-ci moule le développement discursif de l’argumentation de telle manière que le locuteur feint qu’un tiers, ou l’adversaire, ou simplement l’interlocuteur, lui oppose une objection et l’exprime ; le locuteur peut même tout simplement dérouler l’opinion contraire; ce mouvement initial de l’antéoccupation a reçu le nom de prolepse. Suit un deuxième mouvement, dénommé hypobole, par lequel le locuteur réfute et exprime son opinion. Il s’agit donc d’un stéréotype pour prendre les devants à sa façon dans la discussion, ou pour faire avancer la réflexion en en variant l’exposé. Ex. :

«Nous oublions le Dieu pour adorer ses traces, * Me préserve Apollon de blasphémer les Grâces, Hébé versant la vie aux célestes lambris, Le carquois de l'Amour, ni l’écharpe d’iris, Ni surtout de Vénus la riante ceinture Qui d’un nœud sympathique enchaîne la nature, Ni l’éternel Saturne, ou le grand Jupiter, Ni tous ces dieux du ciel, de la terre et de l’air;

[...] Et peut-être qu ’enfin, tous ces dieux inventés, Cet enfer et ce ciel par la lyre chantés, Ne sont pas seulement des songes du génie, Mais les brillants degrés de l’échelle infinie Qui, des êtres semés dans ce vaste univers, Sépare et réunit tous les astres divers. Peut-être qu’en effet, dans l’immense étendue, Dans tout ce qui se meut une âme est répandue; Que ces astres brillants sur nos têtes semés Sont des soleils vivants et des feux animés;

** Mais, croyez-en, amis, ma voix prête à s’éteindre : Par-delà tous ces dieux que notre œil peut atteindre, Il est sous la nature, il est au fond des deux, Quelque chose d’obscur et de mystérieux Que la nécessité, que la raison proclame, Et que voit seulement la foi, cet œil de l’âme! Contemporain des jours et de l’éternité! Grand comme l’infini, seul comme l’unité! Impossible à nommer, à nos sens impalpable! Son premier attribut, c’est d’être inconcevable! Dans les lieux, dans les temps, hier, demain, aujourd’hui, Descendons, remontons, nous arrivons à lui! Tout ce que vous voyez est sa toute-puissance, Tout ce que nous pensons est sa sublime essence ! Force, amour, vérité, créateur de tout bien, C’est le dieu de vos dieux! c’est le seul! c’est le mien!»

Ce long extrait de La Mort de Socrate de Lamartine, pourtant tronqué, mais fidèlement restitué dans son mouvement, repose sur un dynamisme argumentatif clair et tout entier fondé sur la chaleur et le charme des affirmations opposées. Le premier vers expose sommairement l’idée de celui qui parle. Ensuite commence la prolepse (ce qui est indiqué par le signe *), sous la forme d’un hommage habile, pris en compte par le locuteur lui-même, aux dieux du paganisme, puis sous la forme de l’acceptation éventuelle, à la limite, d’une sorte de théorie intermédiaire. Enfin, indiquée par le signe **, commence l’hypobole, où s’exprime avec force et émotion la conviction contraire du locuteur : la foi en un seul et unique Dieu. Il est certain que cette prise de position est beaucoup plus convaincante, venant après l’expression des opinions opposées : c’est bien tout le lieu lui-même de l’antéoccupation qui est ici mis en œuvre.

=> Figure, macrostructurale, niveau, lieu; prolepse, hypobole.