ANOUILH Jean 1910-1987
ANOUILH Jean 1910-1987
Auteur dramatique, né à Bordeaux. Il fut, un temps, secrétaire de Louis Jouvet ; d’ailleurs il a passé toute sa vie au théâtre, où il ne cesse, ainsi qu’en témoignait, en 1970 encore, Cher Antoine, d’accumuler, depuis plus de quarante ans, des oeuvres aussi riches que diverses. On n’imagine pas Anouilh écrivant un roman. Mais c’est le définir insuffisamment que l’appeler « homme de théâtre », si l’on n’ajoute qu’il est aussi poète. En faisant abstraction des premières pièces non éditées (Mandarine, 1933 ; Y avait un prisonnier, 1935), on peut dire que, commencée sous le signe de la tragédie (L'Hermine, 1932 ; et surtout Le Voyageur sans bagage, 1937, joué par les Pitoëff), la carrière d’Anouilh le ramène sur le tard à la grandeur et à la gravité (mais peut-être avec une voix moins persuasive). Il est de fait qu’à partir d'Antigone (1943), et, bientôt avec une curieuse « suite dans les idées », il cède à la fascination du mode pathétique, si ce n’est du pathos (depuis Roméo et Jeannette, 1945, et Médée, 1946, mais surtout depuis L'Alouette, 1953 ; Becket ou l'Honneur de Dieu, 1959 ; La Foire d'empoigne, 1962 ; etc.). C’est sans doute entre ces deux périodes, avec La Sauvage, d’abord (1938, jouée par les Pitoëff), puis tout au début de sa collaboration avec le successeur de Dullin, André Barsacq (Le Bal des voleurs, 1938 ; Léocadia, 1939 ; Le Rendez-vous de Senlis, 1941 ; Eurydice, 1942), qu’Anouilh donne ses ouvrages les plus personnels, c’est-à-dire les plus poétiques. Là, cet homme épris d’idéal, d’infini, de pureté (jusqu’à la candeur), trouvera le seul « absolu » qui l’ait jamais comblé peut-être, dans la gratuité sans mélange. Nul souci de réalisme, ni d’analyse psychologique ; et c’est très bien ainsi. Le monde, qu’il méprise sur le plan social, et la vie, qu’il vomit sur le plan métaphysique, sont ici transposés sous forme d’un choeur d’opéra bouffe, d’une ronde de ganaches, de pitres et de monstres (rendus d’ailleurs inoffensifs, à nos yeux, du fait même de leurs évolutions stylisées et quasi chorégraphiques) entourant de plus en plus près un couple d’adolescents, diaphanes, ardents et chastes, qui, par construction, ne peuvent faire un geste, un pas en avant sans se cogner contre cette barrière circulaire de cloportes, aussi venimeux que pitoyables. Vieux nobles, vieux acteurs, vieux généraux (nantis et ratés tour à tour, ou tout ensemble) et, surtout, parents et beaux-parents : forts en gueule, poussiéreux, vaniteux, veules et laids, mais toujours ignoblement joviaux, si ce n’est égrillards.
Comme son héros Orphée, comme son héroïne Eurydice, condamnée à suivre ses parents violonistes dans des tournées miteuses, de casinos en buffets de gare, tous les couples d’amants, chez Anouilh, nous apparaissent dînant d’une tranche de jambon sur un papier dans une chambre d’hôtel, mais à la vérité, semblables aux personnages lunaires du poète Laforgue, qui « vont, se sustentant d’azur », ils ne vivent que d’absolu. Puisque la vie réelle n’a rien d’autre à leur offrir que le relatif, tout leur paraît jeu dérisoire, et plus encore, perpétuelle souillure. Au surplus, dénués d’illusions, ils savent qu’ils ont tort. Et Anouilh lui-même fait la part belle aux « autres » : aux adultes. À cette race des justes, à cette race des riches [...] tous ceux qui ont eu raison depuis toujours (comme dit son héros Jason, dans Médée), à ceux qui doivent tenir la barre du bateau : formule volontairement rebattue qu’il met, à quinze ans de distance, dans la bouche de Créon (en 1943) et de Thomas Becket (en 1959). Oui, ils ont tort contre tout le monde, ces couples d’amoureux infantiles des oeuvres de jeunesse d’Anouilh ; tort contre les hommes véritables (ainsi, dans Roméo et Jeannette : Mourir? mourir? Ce n’est rien. Commence donc par vivre. C’est moins drôle et c’est plus long). Mais Jean Anouilh, quant à lui, leur donne résolument raison, à ces Tristan, à ces Iseut, qui crachent dans la main cordialement ouverte des rois Marc. Par exemple, Thérèse (héroïne de La Sauvage) qui couvre d’imprécations le glorieux et trop heureux Florent, son bienfaiteur ; dure et lucide, Thérèse? Du moins Anouilh nous l’affirme-t-il dans la dernière phrase de la pièce. Et il est vrai qu’elle est lucide (comme d’ailleurs tous les adolescents de toutes ses pièces) ; mais dure ? non. Non, parce qu’Anouilh ne peut s’intéresser - c’est-à-dire, en définitive, donner vie - qu’à des êtres sans défense, et aussi désarmés, devant nous, que s’ils étaient nus. C’est peut-être pourquoi il nous convainc moins sûrement, lorsque, les dernières années, il s’avise de les « costumer ». Non, décidément, la mitre ni l’armure ne vont guère à ce poète. Car enfin le verbe, qu’il sut préserver toujours, a beau se guinder (et l’homme de théâtre, qu’il sut rester toujours, a beau se hisser jusqu’au registre du moraliste), le public qu’il avait longuement formé et amené à lui ne l’a plus suivi ; aussi bien a-t-il dû changer de public. Et l’on peut imaginer sans peine que, depuis L’Alouette, Anouilh n’a pas eu besoin de se retourner pour savoir qui lui emboîtait le pas désormais. (Restent les quelque dix années du jeune Anouilh ; reste l’auteur, entre tant, du Bal des Voleurs et d'Eurydice.)
Anouilh Jean (1910-1987). Né d’un père tailleur et d’une mère violoniste, le 23 juin 1910 à Bordeaux, il y est élève d’une École primaire supérieure, puis du collège Chaptal et de la faculté de droit. Attaché à une maison de publicité, il est engagé comme secrétaire par Jouvet, qu’il quittera pour incompatibilité d’humeur. Sa fascination pour les milieux théâtraux restera néanmoins intacte. Dès l’adolescence, il se passionne pour Henry Bataille, Shaw et Pirandello, et pour Dullin. En 1928, il découvre Giraudoux, dans la lignée de Marivaux et de Musset, et plus tard Claudel. Après le succès de L Hermine (1932), il se consacre au théâtre. Ses droits d’auteur à la Métro Goldwyn Mayer, à laquelle il a vendu Y avait un prisonnier, facilitent son entrée dans la vie. L’échec de la pièce à la scène ne le décourage pas. Il vient de faire la connaissance de Georges Pitoëff, et Barsacq montera La Sauvage (1938) avec un succès renouvelé par Le Bal des voleurs (1938) dans la tradition de Feydeau. Ainsi s’affirment les qualités de son écriture dramatique. Il se félicite au surplus de voir les artisans du spectacle respecter le texte de l’auteur et l’indépendance de l’art scénique. Le Cocteau des Mariés de la tour Eiffel devient un autre de ses inspirateurs. La présence de l’occupant ne semble pas briser l’élan de ses premières pièces, mais en 1944 Antigone est jouée dans une atmosphère ambiguë : Créon ne rappelle-t-il pas Pétain, et Antigone l’obstination d’une résistance implacable ? Anouilh prétend n’avoir pas voulu écrire une pièce politique. La Libération pose à ses yeux le problème de l’épuration et l’intervention du dramaturge en faveur de Brasillach déplaît au pouvoir. Il s’installe alors dans les Alpes. Conservateur, assez proche de l’Action française, il retrouve les contradictions de la droite française. En outre, le paysage dramatique se modifie sous l’influence de l’étranger. Il reste éloigné du théâtre de l’absurde, dont il se moque — mais il apprécie le Ionesco des Chaises — et tout autant du Berliner Ensemble et de Brecht. Hostile à tout engagement, il réagit en publiant Pauvre Bitos (1956), qui irritera une partie de son public. Très vite, le dramaturge revient à ses thèmes favoris, caricatures de généraux et fresques historiques, qui constitueront le sommet de son art. A l’occasion, il formule des jugements sur la vie, mêlant amertume et dérision, plaisanterie et nostalgie du bonheur. Dans ses premières pièces, Anouilh éprouve le besoin de révéler ses passions et de s’interroger sur ses sentiments intimes. Aussi bien prendra-t-il une certaine liberté vis-à-vis du classement qu’il adopte pour son théâtre. Les mêmes thèmes reviennent et tournent à l’obsession. La vie est-elle le séjour de la tristesse et de la pauvreté infamante ? Est-il invraisemblable de vouloir vivre et être heureux? L’Hermine fait éclater le cri du jeune homme contre les conditions sociales. Franz découvre l’obstacle du manque d’argent qui ruine ses projets matrimoniaux. Il est l’objet d’une malédiction qui le pousse au crime. Le Voyageur sans bagage (1937) est inspiré par l’amnésie qui bouleversa certaines familles après la guerre. On cherche à faire retrouver son passé à un homme désemparé. On accumule les souvenirs, mais Gaston ne reconnaît pas ses rêves et récuse les méfaits qu’on lui impute. Il rejette du même coup l’identité qu’on lui propose au profit d’une famille inconnue. Dans La Sauvage (1938), Thérèse est accablée, elle aussi, par les contraintes imposées par sa famille. Fiancée à un compositeur, Florent, elle met en jeu le bonheur de celui-ci par solidarité avec sa classe. Elle appartient à la race de son père et expliquera ses turpitudes cachées. Paradoxalement, ce sera une manière de se rapprocher de son fiancé. A l'acte suivant, la conversation roule sur le travail, celui de la robe de la mariée inachevée, et sur le départ de Thérèse, prête à se « cogner » partout dans le monde car il y aura toujours « un chien perdu qui [l']empêchera d’être heureuse» (fin du IIIe acte). Eurydice (1941), sous des dehors modernes, nous renvoie à un mythe connu. Accablée par son passé et son milieu, victime d’un accident, l’héroïne meurt puis revient à la vie grâce à un commis-voyageur, la Mort. L’essentiel pour Orphée est de ne pas chercher à regarder Eurydice de face. Incapable d’observer cette exigence, Orphée laissera disparaître Eurydice mais il la retrouvera quand il acceptera la mort, car « cette pitrerie, ce mélo absurde, c’est la vie ».
Apparemment, Le Bal des voleurs (1938), parmi les Pièces roses, appartient au théâtre de divertissement. Les voleurs qui sévissent dans les parcs de Vichy sont les victimes de leurs propres pièges. Lady Hurf ne leur épargnera aucune plaisanterie. Pourtant, la mélancolie s’empare d’elle dans cette ville artificielle. Seule sa nièce Juliette, éprise d’un pickpocket, garde une chance de trouver le bonheur. La félicité n’est que le fruit de l’imagination. On le voit bien dans Léocadia (1939), où la ravissante Amanda aide la duchesse à ressusciter pour son fils l’artiste disparue, Léocadia Gardi. Le cadre des amours passées reconstitué, Amanda devient la vraie Léocadia vivante. Dans Le Rendez-vous de Senlis (1941), Georges loue le service de comédiens pour remplacer des parents disparus. Barbara se retrouvera face à son mari Robert, qui la dégoûte. Isabelle, qui est arrivée, constate la supercherie qui l’attendait. Georges expliquera à Isabelle qu’il espérait une vie de quiétude et de familiarité confiante. La pièce se termine bien, en dépit des petites combinaisons et des « sales complicités » dominées par la philosophie de Robert, mais le rose est proche du noir. À la fin de la guerre, Anouilh regroupe les Nouvelles Pièces noires. Jézabel (1932) reprend des thèmes déjà traités. Jacqueline est inquiète : Marc, qui l’aime, est malheureux. Sa mère boit et son père se plaint d’avoir épousé une virago. Marc avoue finalement qu’il s’est laissé aller au meurtre de son père. La famille offre ainsi la perversité de ses personnages impossibles. Dans Roméo et Jeannette (1946), Julia déplore le comportement de ses parents, incapables d’accueillir ni Frédéric, son fiancé, ni sa mère. Frédéric tombe amoureux de Jeannette, la « mauvaise fille ». En cherchant à se rejoindre, les deux amants succombent à leur aventure. Anouilh multiplie avec succès les pastiches de Molière et de Marivaux dans leurs scènes les plus célèbres. Ardèle ou la marguerite (1948) montre un général qui tâche de régenter sa famille. L’honneur bourgeois semble bien compromis quand Ardèle s’obstine à épouser un bossu, alors qu’elle est affligée de la même disgrâce. Le vaudeville enfin retrouve ses fonctions quand le général veut enfoncer la porte d’Ardèle. Le ton dominant de La Valse des toréadors (1952) est celui d’une cavalcade amoureuse qui s’empare de la scène. Parmi ses vieux souvenirs, le général Saint-Pé attache une grande importance à sa rencontre avec Mlle de Sainte-Euverte. On se gausse d’un secrétaire benêt et l’on fait du cocuage le sujet de toutes les conversations. Les ingrédients de la farce sont à leur place : le docteur est enfermé dans un placard et la maison tout entière livrée à un vent de folie. Le général ne tardera pas à conclure qu’on va vers un dénouement arrangé. Mlle de Sainte-Euverte épousera le secrétaire que le général reconnaît pour son fils, dans la meilleure tradition du xviie siècle. Ornifle ou le courant d’air (1955) parodie Molière. Machetu, brasseur d’affaires, épaule son ami, le parolier Ornifle, qui règne sur ses secrétaires. Ornifle joue de son charme, mais demeure un personnage cynique. Souffrant, il recevra la visite du professeur Galopin en tenue moliéresque. L’auscultation sera coupée par des histoires drôles dont Galopin raffole. On retrouve à la fin de la pièce la confession d’Ornifle encore imitée des propos de Tartuffe. Ornifle s’éloigne et Suppo, sa secrétaire, apprend sa mort foudroyante.
À la cavalcade et au pastiche succède le théâtre dans le théâtre, avec les pièces qualifiées de « brillantes » et d’abord L’Invitation au château (1957). Dans un cadre rococo 1900, Horace a invité Isabelle et sa mère. Frédéric, son frère, devrait épouser Diana, mais Horace veut briser le destin. Frédéric rencontre Isabelle et en tombe amoureux. Les jeunes filles se battent et refusent leur rôle. Horace épouse Diana et l’intrigue authentique l’emportera sur le théâtre des apparences. Dans Colombe (1951), la féerie théâtrale atteint la perfection. Alexandra, dite Madame Chérie, triomphe sur scène en grande dame capricieuse. On parle de tout dans les coulisses, des excentricités d’artistes comme des placements. Les déclarations vraies se heurtent aux passions imaginaires et l’on oppose les larmes de la vie aux pleurs de théâtre. La jalousie est le moteur, et la répétition un moment fort de la représentation que l’on retrouvera dans la pièce suivante, La Répétition ou l’amour puni (1950). Enfin, tous les moyens de mise en scène sont mis à profit, même grossiers comme la botte au derrière, pour le plaisir du spectateur. Dans La Répétition, le comte veut jouer une comédie de Marivaux avec le concours de Sylvia, qui lui plaît. Il déclare qu’«il n’a d’autre ambition que de faire de sa vie une fête réussie » (acte I). Une nouvelle fois, en 1954, Anouilh revient à Molière avec Cécile ou l’école des pères, comme pour donner un dernier exemple de ses procédés favoris. Si Antigone est classée dans les pièces politiques et oppose la pureté de l’héroïne aux combinaisons de Créon, avec Pauvre Bitos (1956), qui passe pour une provocation et déclenche une violente polémique, Anouilh recourt à une autre forme de réplique à ses adversaires. Bitos devient le personnage essentiel d’un dîner de têtes. Le petit boursier, nommé substitut du procureur de la République, est l’objet d’une mise en cause réelle et féroce plutôt que d’une plaisanterie attendue. Le masque de Robespierre permet de glisser d’une époque à l’autre. Du même coup, la reconstitution historique conduit au procès de l’orgueil. L’Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux (1956), triomphe de l’extravagance, prendra place dans les textes polémiques teintés de bouffonnerie. Le général grognon peste contre tout malgré les réticences du docteur, inquiet de voir son ami insensible au fil de l’Histoire. En face d’eux se dressent le Paris à la mode et les folies de la dramaturgie moderne. On va de l’angoisse à la tristesse pour aboutir au constat de l’homme inchangé, plus près d’une pièce de mœurs que de la reprise d’un pamphlet politique. L’Hurluberlu sera rattaché aux Pièces grinçantes, mais auparavant Anouilh avait publié L’Alouette (pièce écrite en 1952), puis Becket ou l’honneur de Dieu (I960) et La Foire d’empoigne (1962), pièces rassemblées dans la série des Pièces costumées. Les pièces historiques, ou plutôt imprégnées de philosophie de l’Histoire, constituent une des meilleures réussites du dramaturge. L’Alouette est l’histoire de Jeanne d’Arc. Le thème de la jeune fille obstinée revient, après Antigone, avec des allusions aux « collaborateurs » de l’époque. Becket raconte le martyre d’un Saxon, ami du roi d’Angleterre Henri II, dont Augustin Thierry a raconté l’étrange aventure. Nommé chancelier, il sert d’abord les intérêts de son souverain, mais pour son malheur, Henri II le nomme au poste devenu vacant d’archevêque de Canterbury. Homme léger, Becket découvre alors l’importance du rôle qui fixe le devoir de chacun. Il sera désormais le défenseur de l’Église, même contre son ami le roi. La Foire d’empoigne repose sur des bases authentiques. L’histoire des Cent-Jours impose des changements de personnel. Louis XVIII, en avalisant les décisions révolutionnaires et en défendant le pont d’Iéna, sert les intérêts de la France malgré ses fidèles. Quant au jeune d’Anouville attaché à Napoléon, il s’enferme dans une mission sans objet. Anouilh rassemblera ses derniers textes en trois volumes : Pièces baroques, Pièces secrètes et Pièces farceuses. Le thème central des Pièces baroques est le théâtre (Cher Antoine, 1969 ; Ne réveillez pas Madame, 1970), celui des Pièces secrètes rapproche l’histoire de Barnett (L’Arrestation) des personnages d’une vie, de souvenirs antiques comme Tu étais si gentil quand tu étais petit. Enfin, les Pièces farceuses s’efforcent d’harmoniser métier et existence (Chers Zoiseaux, 1976; La Culotte, 1978; Le Nombril, 1981). Jean Anouilh est mort à Lausanne, le 3 octobre 1987, sans avoir jamais interrompu la création théâtrale.
ŒUVRES. — Publiées à La Table ronde. Anouilh a lui-même classé ses pièces en Pièces noires, Pièces roses, Nouvelles Pièces noires, Pièces brillantes, Pièces grinçantes, Pièces costumées, Nouvelles Pièces grinçantes, Pièces baroques, Pièces secrètes et Pièces farceuses. — L’Hermine, pièce noire, 1932. — Mandarine, 1933. — Y avait un prisonnier, 1935. — Le Voyageur sans bagage, pièce noire, 1937. — Le Bal des voleurs, pièce rose, 1938. — La Sauvage, pièce noire, 1938. — Léocadia, pièce rose, 1939. — Le Rendez-vous de Senlis, pièce rose, 1941. — Eurydice, pièce noire, 1944. —Antigone, pièce noire, 1944. —Jéza-bel, pièce noire, 1946. — Roméo et Jeannette, pièce noire, 1946. —L’Invitation au château, pièce brillante, 1947. — Ardèle ou la marguerite, pièce grinçante, 1952. — La Répétition ou l’amour puni, pièce brillante, 1950. — Colombe, pièce brillante, 1951. — La Valse des toréadors, pièce grinçante, 1952. — Médée, pièce noire, 1953. — L’Alouette, pièce costumée, 1953. — Cécile ou l’école des pères, pièce brillante, 1954. — Ornifle ou le courant d’air, pièce grinçante, 1955. — Pauvre Bitos ou le dîner de têtes, pièce grinçante, 1956. — L’Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux, pièce grinçante, 1959. — Becket ou l’honneur de Dieu, pièce costumée, 1959. — Humulus le muet, pièce rose (écrite en 1930), 1960. — La Foire d’empoigne, pièce costumée, 1960. — La Grotte, pièce grinçante, 1961. — L’Orchestre, 1962. — Ne réveillez pas Madame, pièce baroque, 1965. — Le boulanger, la boulangère et le petit mitron, pièce grinçante, 1968. — Cher Antoine ou l’amour raté, pièce baroque, 1969. — Les Poissons rouges, pièce grinçante, 1970. — Le Directeur de l’Opéra, pièce baroque, 1972. — Tu étais si gentil quand tu étais petit, pièce secrète, 1972. — Monsieur Barnett, suivi de L’Orchestre, 1975. — L’Arrestation, pièce secrète, 1975. — Le Scénario, pièce secrète, 1976. — Chers Zoiseaux, 1977. — La Culotte, 1978. — La Belle Vie, 1980. — Le Nombril, 1981. — Œdipe ou le roi boiteux, 1986. — Thomas More ou l’homme libre, 1987. — Textes sur le théâtre : La Petite Molière (en collaboration avec Roland Laudenbach), L’Avant-scène-Fémina-théâtre, n° 210, 15 décembre 1959. — Le Songe du critique (pièce en un acte), L’Avant-scène-théâtre, n° 243, 15 mai 1961. —- Épisodes de la vie d’un auteur, Cahiers Renaud-Barrault, mai 1969. — En outre : Fables, La Table ronde, 1967 et 1973. — La Vicomtesse d’Èristal n’a pas reçu son balai mécanique : souvenirs d’un jeune homme, La Table ronde, 1987. -> Pierre-Henri Simon, Théâtre et destin, Armand Colin, 1962. — Pol Vandromme, Jean Anouilh : un auteur et ses personnages, La Table ronde, 1965. — Paul Ginestier, Anouilh, Seghers, 2e éd., 1974. — Jacques Vier, Le Théâtre d’Anouilh, SEDES, 1976. — Élie de Comminges, Anouilh : littérature et politique, Nizet, 1977. — Bernard Beugnot, Les Critiques de notre temps et Anouilh, Garnier, 1979.
Auteur dramatique, né à Bordeaux. Il fut, un temps, secrétaire de Louis Jouvet; d’ailleurs il a passé toute sa vie au théâtre, où il ne cesse, ainsi qu’en témoignait hier encore Cher Antoine (1970), d’accumuler, depuis plus de quarante ans, des œuvres aussi riches que diverses. On n’imagine pas Anouilh écrivant un roman. Mais c’est le définir insuffisamment que l’appeler « homme de théâtre », si l’on n’ajoute qu’il est aussi poète. En faisant abstraction des premières pièces non éditées {Mandarine, 1933; Y avait un prisonnier, 1935), on peut dire que, commencée sous le signe de la tragédie (l’Hermine, 1932; et surtout le Voyageur sans bagages, 1937, joué par les Pitoëff), la carrière d’Anouilh le ramène sur le tard à la grandeur et à la gravité (mais, peut-être avec une voix moins persuasive). Il est de fait qu’à partir d’Antigone (1943), et, bientôt avec une curieuse « suite dans les idées », il cède à la fascination du mode pathétique, si ce n’est du pathos (depuis Roméo et Jeannette, 1945, et Médée, 1946, mais surtout depuis l’Alouette, 1953, et Becket ou l'Honneur de Dieu, 1959). C’est sans doute entre ces deux périodes, avec la Sauvage, d’abord (1938, jouée par les Pitoëff), puis tout au début de sa collaboration avec le successeur de Dullin, André Barsacq {le Bal des voleurs, 1938; Léocadia, 1939; le Rendez-vous de Senlis, 1941 ; Eurydice, 1942), qu’Anouilh donne ses ouvrages les plus personnels, c’est-à-dire les plus poétiques. Là, cet homme épris d’idéal, d’infini, de pureté (jusqu’à la candeur), trouvera le seul « absolu » qui l’ait jamais comblé peut-être, dans la gratuité sans mélange. Nul souci de réalisme, ni d’analyse psychologique; et c’est très bien ainsi. Le monde, qu’il méprise sur le plan social, et la vie, qu’il vomit sur le plan métaphysique, sont ici transposés sous forme d’un chœur d’opéra-bouffe, d’une ronde de ganaches, de pitres et de monstres (rendus d’ailleurs inoffensifs, à nos yeux, du fait même de leurs évolutions stylisées et quasi chorégraphiques) entourant de plus en plus près un couple d’adolescents, diaphanes, ardents et chastes, qui, par construction, ne peuvent faire un geste, un pas en avant sans se cogner contre cette barrière circulaire de cloportes, aussi venimeux que pitoyables. Vieux nobles, vieux acteurs, vieux généraux (nantis et ratés tour à tour; ou tout ensemble) et, surtout, parents et beaux-parents : forts en gueule, poussiéreux, vaniteux, veules et laids, mais toujours ignoblement joviaux, si ce n’est égrillards. Comme son héros Orphée, comme son héroïne Eurydice, condamnée à suivre ses parents violonistes dans des tournées miteuses, de casinos en buffets de gare, tous les couples d’amants, chez Anouilh, nous apparaissent dînant d’une franche de jambon sur un papier dans une chambre d’hôtel, mais à la vérité, semblables aux personnages lunaires du poète Laforgue qui « vont, se sustentant d’azur » : ils ne vivent que d’absolu. Puisque la vie réelle n’a rien d’autre à leur offrir que le relatif, tout leur paraît jeu dérisoire, et plus encore, perpétuelle souillure.
Au surplus, dénués d’illusions, ils savent qu’ils ont tort. Et Anouilh lui-même fait la part belle aux « autres » : aux adultes. A cette race des justes, à cette race des riches..., tous ceux qui ont eu raison depuis toujours (comme dit son héros Jason, dans Médéé), à ceux qui doivent tenir la barre du bateau : formule volontairement rebattue qu’il met, à quinze ans de distance, dans la bouche de Créon (en 1943) et de Thomas Becket (en 1959). Oui, ils ont tort contre tout le monde, ces couples d’amoureux infantiles des œuvres de jeunesse d’Anouilh; tort contre les hommes véritables (ainsi - dans Roméo et Jeannette - : Mourir, mourir? Ce n'est rien. Commence donc par vivre. C'est moins drôle et c'est plus long). Mais Jean Anouilh, quant à lui, leur donne résolument raison, à ces Tristans, à ces Iseuts, qui crachent dans la main cordialement ouverte des rois Marc. Par exemple, Thérèse (héroïne de la Sauvage) qui couvre d’imprécations le glorieux et trop heureux Florent, son bienfaiteur; dure et lucide, Thérèse? Du moins Anouilh nous l’affirme-t-il dans la dernière phrase de la pièce. Et il est vrai qu’elle est lucide (comme d’ailleurs tous les adolescents de toutes ses pièces); mais dure? non. Non, parce qu’Anouilh ne peut s’intéresser - c’est-à-dire en définitive : donner vie - qu’à des êtres sans défense, et aussi désarmés, devant nous, que s’ils étaient nus. C’est peut-être pourquoi il nous convainc moins sûrement, lorsque, ces dernières années, il s’avise de les « costumer ». Non décidément, la mitre ni l’armure ne vont guère à ce poète. Car enfin le verbe, qu’il sut préserver toujours, a beau se guinder (et l’homme de théâtre, qu’il sut rester toujours, a beau se hisser jusqu’au registre du moraliste), le public qu’il avait longuement formé et amené à lui ne lui emboîte plus le pas. Aussi bien a-t-il dû changer de public; et l’on peut imaginer sans peine que, depuis l'Alouette, Anouilh n’a plus besoin de se retourner pour savoir qui le suit désormais. Œuvres Pièces noires, Pièces roses (2 vol., Calmann-Lévy). - Le Voyageur sans bagage, suivi de le Bal des voleurs (Livre de poche). - Le Rendez-vous de Senlis, suivi de Léocadia (Livre de poche). - La Sauvage (Livre de poche). - L'Alouette (Livre de poche). - Becket (Livre de poche). - Pièces brillantes, grinçantes, costumées (3 vol., Table Ronde). Critique H. Gignoux, J. Anouilh (Temps présent, 1946). - R. de Luppé, J. Anouilh (Éd. universitaires, 1960). - P. Vandromme, J. Anouilh (Table ronde, 1965). - P. Gines-tier, J. Anouilh (Seghers, 1969).
ANOUILH Jean.
Bordeaux 23.6.1910 - Lausanne 3.10.1987. Secrétaire de Louis Jouvet en 1928, il assiste comme à une révélation à la création par ce dernier du Siegfried de Giraudoux. Il décide dès lors de ne vivre que du théâtre, et il tient encore aujourd’hui cette gageure avec brio. Sa vie se confond avec une longue liste de titres, qu’A. lui-même divise en pièces roses, noires, brillantes, grinçantes, costumées, etc. selon un choix parfois arbitraire. Les premières pièces, bien accueillies, furent l’Hermine; le Voyageur sans bagage; la Sauvage; la carrière d’Anouilh atteint un premier sommet avec Antigone, qui modernise avec bonheur un thème éternel. Après la guerre, à raison d’au moins une pièce chaque année, A. semble s’orienter vers une veine plus autobiographique et peut-être aussi plus stérile. Considéré à l’étranger comme le premier auteur dramatique français de son temps, il lui a fallu attendre 1971 pour voir une de ses pièces jouée par la Comédie-Française (encore s’agissait-il d’une reprise, celle de Becket). Son œuvre revient sur plusieurs thèmes bien personnels : l’impossible pureté, le désir absolu, le poids du passé, l’échec du couple, etc. L’ensemble du théâtre d’A., presque aussi grinçant dans les pièces « roses » que dans les autres, dessine la silhouette d’un des auteurs les plus amèrement pessimistes de notre temps. C’est que sa vision du monde est fondamentalement tragique, et que, selon lui, toute acceptation de la vie conduit inéluctablement à l’avilissement. Quelle que soit la couleur ou la tonalité qui leur est attribuée, c’est, dans toutes ces pièces, la même humanité, les mêmes personnages que guette impitoyablement la souillure ou la corruption, ou qui, en cas de révolte ou de refus, rencontrent l’échec et souvent l’humiliation: il n’y a pas de «juste-milieu». Toutefois, le théâtre d’A. échappe à la tentation naturaliste et répugne à toute forme d’engagement; le dramaturge, s’il est ironique jusqu’à la causticité ou au sarcasme, n’est pas pour autant impassible ; il « grince », lui aussi, ou bien il admire, sans vouloir tout à fait l’avouer, ceux de ses héros qu’obsède la pureté, même s’ils échouent; peut-être même éprouve-t-il quelque pitié pour ces «pauvres types» qu’il transforme en bouffons inconscients. Cette gamme d’émotions complexes atteint le spectateur directement, grâce à la virtuosité dont A. fait preuve dans l’exercice de son métier (dont il ne répugne pas à employer les « ficelles », même parfois les...
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