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ANDRÉ MALRAUX (1901-1976)

L’incomparable stature d'André Malraux dans notre siècle évoque par certains côtés celle que Victor Hugo a imposée au XIXe siècle. Si Malraux insiste tant, dans ses Antimémoires, sur la divergence de ses expériences, c’est que l’écrivain n’est qu'une partie de son visage, lui qui fut tour à tour ou conjointement aventurier, essayiste, romancier, critique, ministre. À n'en pas douter, il a voulu incarner, à l'image de ses personnages mais implanté dans la vie réelle, « un type de héros en qui s'unissent l'aptitude à l'action, la culture et la lucidité» . (postface des Conquérants, 1949).
Points de repères
Entré dans un réseau lié à Londres en mars 1944, il se bat dans les maquis de Corrèze et commande, sous le nom de guerre de colonel Berger, la brigade Alsace-Lorraine dans l'est de la France et en Allemagne. En 1945, il se pose comme une personnalité éminente de la Résistance non communiste. À la Libération, il est le ministre de l'Information de de Gaulle (novembre 1945 -janvier 1946). Quand le général fonde le R.P.F. en avril 1947, il se range aussitôt à ses côtés et milite avec fougue comme délégué à la propagande du mouvement. Inventeur de la formule « la traversée du désert», Malraux vécut ce chemin sans trop d'impatience. Devenu ministre d'État chargé des Affaires culturelles en 1959, il le restera jusqu'en 1969. Le général disparu, lui-même se retira. Le but avoué de Malraux ministre était de « rendre accessibles les œuvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France, au plus grand nombre des Français, assurer la plus vaste audience du patrimoine culturel et favoriser la création des œuvres de l'art et de l'esprit qui l'enrichis-sent ». Aussi favorise-t-il une politique de grandes exposi-tions et d'échanges de chefs-d'œuvre, comme l'envoi de la Joconde à Washington et de la Vénus de Milo à Tokyo. Dans le domaine 'architectural, il favorisa la restauration des Trianons, le creusement des fossés du Louvre, le ravalement des façades de Paris (on découvre, par exemple, celle du palais Garnier). En peinture, il confie le plafond de l'Opéra à Marc Chagall et l'Odéon à André Masson. Enfin, il fut l'initiateur des maisons de la culture, dont il parle en termes mystiques : « La Maison de la culture est en train de devenir — la religion en moins — la cathédrale, c'est-à-dire le lieu où les gens se rencontrent pour rencontrer ce qu'il y a de meilleur en eux. » L'homme d'action n'ayant jamais disparu chez lui, il prend, en 1971, fait et cause pour l'indépendance du Bengladesh et annonce son intention de combattre aux côtés des Bengalis asservis. Reste que la guerre a correspondu à un changement sensible dans l'œuvre et la vie de Malraux, au point que certains n'hésitent pas à encenser l'antifasciste d'avant-guerre, génial auteur de la Condition humaine (1933) et de l’Espoir (1937), préférant ignorer l'homme d'État, chantre officiel du gaullisme depuis 1945. La rupture est particulièrement sensible dans le dernier roman de Malraux, les Noyers de l'Altenburg, publié en 1943. Le thème de la révolution a disparu entièrement et, pour la première fois, Malraux donne une œuvre qui ne rapporte pas, du moins pas directement ni principalement, une expérience vécue par l’auteur. Ce livre n'est pas une chronique, en ce sens que le récit ne suit pas le déroulement historique d'une aventure, d'une insurrection ou d'une guerre. Les débats intellectuels y occupent une place considérable et ont pour objet des problèmes dont le rapport avec les épisodes proprement romanesques n'est pas directement perçu : l'histoire, la notion d'homme, l'art. L'ouvrage s'affirme donc à la fois comme l'épilogue de l'œuvre romanesque de Malraux et le prologue de son œuvre esthétique. Seule compte, dit l'auteur, « la force humaine en lutte contre la terre ». L'important étant de saisir cette force humaine à l'état pur, ce qui invite à dépasser l'effort du révolutionnaire pour l'élargir aux dimensions même de l'homme que ne limitent pas le temps et l'espace. Tout l'effort du Malraux écrivain s'est donc dirigé, après-guerre, vers une méditation sur l'art et les formes esthétiques, réflexion parfois brouillonne mais à laquelle il a cherché à donner un cadre conceptuel précis, souvent d'ailleurs à travers des trilogies :
• La Psychologie de l'art regroupe le Musée imaginaire (1947), la Création artistique (1948), la Monnaie de l’absolu (1949). • Les Voix du silence (1951) englobent la Psychologie de l'art et les Métamorphoses d'Apollon. • La Métamorphose des dieux comporte un premier tome qui date de 1957 et qui est réédité en 1977 sous le titre « Le surnaturel », un deuxième tome « L'irréel » (1974) et -un troisième tome « L'intemporel » (1976). • Le Musée imaginaire de la sculpture mondiale : la Statuaire (1952), Des bas-reliefs aux grottes sacrées (1954), le Monde chrétien (1955). • Le Miroir des limbes (1976) : Antimémoires (1967), les...
MALRAUX (André), écrivain, penseur et homme politique français (Paris 1901 - Créteil 1976). Son patriotisme, son idéal de liberté et de justice sociale l'amènent à participer, dès 1926, à la révolution chinoise (dont la Condition humaine [1933] reste un témoignage); à la guerre d'Espagne, où il dirige l'aviation étrangère au service du gouvernement républicain espagnol (l'Espoir, 1937); à la Résistance française (1940-1944); au gouvernement du général de Gaulle (1945-1946 et depuis 1958). La Psychologie de l'art, dont les trois volumes : le Musée imaginaire (1947), la Création artistique (1948), la Monnaie de l'absolu (1950), furent réunis et augmentés dans les Voix du silence (1951) et suivis du Musée imaginaire de la sculpture mondiale (1952-1954), puis de la Métamorphose des dieux (1957), constitue une recherche longue et passionnée de l'homme et de sa maîtrise à travers les grandes créations artistiques. Ces œuvres représentent la plus importante contribution à l'esthétique depuis l'Esthétique de Hegel.
MALRAUX André. Ecrivain français. Né le 3 novembre 1901 à Paris, mort le 23 novembre 1976 à Verrières-le-Buisson (Essonne). Sur son enfance, il restera toujours évasif, se contentant de déclarer à ceux qui l’interrogeront sur cette période de sa vie : « Je déteste mon enfance. » Il est vrai que Malraux se sentit mal à l’aise dans son milieu familial. Après des études au Lycée Condorcet, il aurait fréquenté l’Ecole des Langues Orientales, mais rien n’est moins sûr. Il semble qu’il s’intéressa à la bibliophilie et qu’il fut aux alentours de 1920 amateur et courtier en livres rares. A vingt ans, il épouse Clara Goldschmidt (connue dans la littérature sous le nom de Clara Malraux). A cette époque, il fréquente les écrivains d’avant-garde dont l’originalité et le non-conformisme le séduisent : Max Jacob, lié au surréalisme et au cubisme, André Salmon, l’ami des peintres du début du siècle, et surtout André Gide, de trente ans son aîné, qui l’introduit à La Nouvelle Revue française. Avec son épouse, il visite plusieurs pays d’Europe, notamment l’Allemagne, où il paraît fasciné par l’expressionnisme, Premier engouement du futur historien de art, séduit par cette représentation originale d’un univers morose transcendé par l’imaginaire. Il écrit alors de courts récits fantaisistes et cocasses sous le titre Lunes en papier (1921). En 1923, accompagné de Clara, à part pour le Cambodge afin de faire le relevé de vestiges de l’art khmer. Accusé d’avoir prélevé pour son propre compte des bas-reliefs « apsaras » de Bentaï Srei, il est arrêté et condamné à trois ans de prison, mais il obtient un sursis. Un peu plus tard, entre 1925 et 1927, il gagnera Canton et Shangaï, où il assistera, dit-il, à la première grève générale, à la première révolte communiste d’importance, aux côtés de l’état-major de Borodine : épisodes de sa vie qui devaient avoir sur lui et sur son œuvre romanesque une profonde et constante influence. Il fonde à Saïgon un journal, L’Indochine, qui prendra ensuite le titre de L’Indochine enchaînée, afin de soutenir les Annamites accablés par les excès et les tracasseries de l’administration coloniale. André Malraux rentre en France en 1927. On a publié l’année précédente son essai La Tentation de l’Occident (1926) dans lequel l’expérience de l’Orient lui donnait sur l’Occident — à l’imitation de Oswald Spengler, auteur du Déclin de l’Occident — une vue désespérée. A travers le dialogue échangé entre un jeune Français et un jeune Chinois, il prophétise la mort de l’Homme après la mort de Dieu.
C’est à cette époque que Malraux entre aux Éditions Gallimard — où il dirige des collections de livres d’art (trente ans plus tard, il dirigera la célèbre collection « L’Univers des formes ») — et prend part aux « Décades de Pontigny » où il fréquente les milieux littéraires en vogue. En 1928, il publie encore une œuvre quelque peu étrange, Le Royaume farfelu , avant de se lancer dans des romans au ton grave, fruits des expériences existentielles recueillies au cours de ses voyages « périlleux » en Asie, Les Conquérants (1928), La Voie royale (1930), La Condition humaine (1933) enfin, qui obtiendra le Prix Concourt. Trois, romans qui expriment, à travers des épisodes de la lutte révolutionnaire dans la Chine contemporaine, l’angoisse d’une mort que seul l’héroïsme, lié à la « Révolution », si gratuites soient ces deux notions, pouvait conjurer. Ces romans, qui constituent surtout des méditations sur l’Homme et sur sa condition absurde, annoncent l’œuvre de Camus et l’existentialisme de Sartre. Ce ne sont pas tant l’idéologie ni l’Histoire qui fascinent Malraux que la manière dont l’une et l’autre façonnent des êtres d’exception, la façon dont ceux-ci se mesurent avec elles pour donner le meilleur d’eux-mêmes. Après ces succès littéraires qui font de lui, à la trentaine, le tout premier écrivain de sa génération, il reprend ses voyages en Orient et en Extrême-Orient puis, en 1934, l’aventurier qu’il fut quelque peu dans sa jeunesse se réveille et il part avec l'aviateur Corniglion-Molinier survoler le désert du Yémen afin d’y retrouver, par reconnaissance aérienne, les ruines de l’antique Saba. Ainsi, le rêve et l’Histoire ne cessent de hanter les visions et l’imagination d’André Malraux. Pourtant, il s’intéresse apparemment de près à la politique : s’étant engagé à fond contre le fascisme triomphant, il va jusqu’à assister en 1934, à Moscou, au Congrès des écrivains soviétiques. C’est alors qu’il rédige Le Temps du mépris (1935), histoire d’un militant révolutionnaire dont l’héroïsme est un acte, non pas de foi, mais de dignité humaine. Ce thème cher à Malraux sera repris quelques années plus tard dans L’Espoir (1937), roman soutenu par un film dans lequel l’écrivain (qui avait fondé en 1936 une escadrille de volontaires étrangers, en qualité d’organisateur de l’aviation étrangère au service du gouvernement républicain espagnol contre le franquisme) évoque l’héroïsme, la fraternité d’armes des combats révolutionnaires. A la déclaration de guerre, en septembre 1939, il s’engage dans un régiment de blindés. Blessé, il est fait prisonnier, mais il parvient à s’évader et gagne la zone sud. Pendant les premières années de l’Occupation allemande, il demeurera dans une sorte d’expectative, écrivant dans sa retraite Les Noyers de l’Altenburg (1943), ouvrage qui perd souvent son aspect de fiction romanesque pour devenir une sorte de méditation cosmique sur l’Histoire, le sens et la nécessité de la lutte. En 1943, André Malraux entre dans la Résistance. Sous le nom clandestin de « colonel Berger », il deviendra chef des maquis de Corrèze, sera arrêté, transféré à Toulouse et sur le point d’être fusillé au moment de la libération de la ville. En cette tragique année 1944, il perdra sa compagne, Josette Clotis, morte accidentellement (de même qu’il perdra près de vingt ans plus tard, en 1963, leurs deux fils dans un accident de voiture). L’un de ses frères aura été fusillé par les Allemands et l’autre sera mort en déportation. Ainsi, la tragédie de sa vie privée sera à l’image du tragique de ses personnages. A l’automne 1944, André Malraux s’engage, avec son grade de colonel, dans la « Brigade Alsace-Lorraine » : il prendra part aux combats pour la libération de Strasbourg, et continuera la lutte en Allemagne. Ayant fait la connaissance du général de Gaulle, auquel il restera attaché par une amitié exceptionnelle, il sera en 1945, et jusqu’au 20 janvier 1946, date de la démission du chef de la Résistance, son ministre de l’information. Puis, mettant le lyrisme de son verbe au service de sa conviction gaulliste, il participe activement à la fondation du « Rassemblement du Peuple Français » (R.P.F.) avant de prendre ses distances à l’égard de la politique sous la IVe République et de retrouver ses études d’histoire de l’art. Dans des envolées poétiques et oratoires de grand style, soutenues par une forte culture, André Malraux restera fidèle dans ces études à son thème favori, maintes fois développé en de fulgurantes ouvertures, exposant le défi que l’Homme lance à son destin d’être mortel à travers les expressions de sa nature artistique. Dans sa Psychologie de l’art, parue en trois volumes, Le Musée imaginaire (1947), La Création artistique (1948), La Monnaie de l’absolu (1949), comme dans Saturne, Essai sur Goya (1949), dans Les Voix du silence (1951), Le Musée imaginaire de la sculpture mondiale, divisé en trois volumes, La Statuaire (1952), Des bas-reliefs aux grottes sacrées (1954) et Le Monde chrétien (1955), Malraux montre comment Part est à la fois le miroir et la défaite de l’Homme devant la mort, mais aussi de son désir de dépassement et d’éternité, de sa faculté de recréer le monde et les Dieux, manière intelligente de s’approprier l’un et les autres, donc de ne plus dépendre d’eux, de prendre une distance prométhéenne à leur égard et de réaliser l’union de l’Humanité et du Cosmos. André Malraux poursuivra ses recherches en histoire de l’art, plus thématiques que chronologiques, dans La Métamorphose des Dieux (1957) et dans L’Irréel (1974), et il se livrera à des comparaisons ingénieuses entre différentes époques et civilisations pour bien montrer que le discours de l’art est intemporel, universel, qu’il est l’image éternelle de l’homme s’efforçant de saisir l’univers afin de l’aider à dépasser la frontière terrible de la mort. Cette façon de concevoir l’art a été critiquée par les spécialistes qui la jugent un peu trop imaginative, mais le souffle du discours et de l’écriture d’André Malraux lui donne une tonalité si prenante, et si saisissante est sa pensée, qu’il est difficile de ne pas être conquis, sinon convaincu. En 1958, lors du retour du général de Gaulle au pouvoir et de la naissance de la Ve République, l’écrivain reprendra des fonctions ministérielles et deviendra ministre d’Etat, chargé des Affaires culturelles, poste qu’il occupera pendant dix ans, de 1959 à 1969. Il créera des « maisons de la culture » en province et sera l’ambassadeur de la culture française à l’étranger, où il accomplira de nombreux voyages, notamment en Extrême-Orient. C’est ainsi qu’il rendra visite à Nehru et Mao Tsé-toung, deux grands personnages qui ont dominé l’Histoire par l’impact de leur destin. Il publie les Antimémoires (1967) où il expose (sans chercher à suivre une stricte chronologie) ses visions de l’Histoire de son époque, des hommes qui l’ont faite, et de sa propre existence : visions en effet, plutôt que récits de faits précis, explications et méditations sur le passé et le devenir de l’Homme. Il se livre à des rapprochements historiques audacieux, certes, mais stimulants, qui nous donnent le sentiment que la pensée humaine progresse, se développe, trouve des voies nouvelles, tout en continuant d’obéir à la puissance de ces mythes qui demeurent à la base de toute création. Lorsque le général de Gaulle quitte le pouvoir, André Malraux se retire à Verrières-le-Buisson, auprès de la romancière Louise de Vilmorin — qui le précédera dans la mort, la mort qui n’a cessé d’accompagner cet écrivain agnostique et cependant si enclin au mysticisme, comme il le montrera dans Lazare (1974). Une dernière fois, pendant ces années de retraite, il redeviendra quelque peu le Malraux de L’Espoir en prenant fait et cause pour l’indépendance du Bengladesh et en annonçant son intention de combattre aux côtés des Bengali asservis (1971). Et, dans Les Chênes qu’on abat (1971), il racontera sa dernière entrevue avec le général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises, dialoguant une fois de plus avec celle qui fut la grande compagne de sa vie, la mort. Avant de disparaître, l’écrivain avait pu préparer l’édition « définitive, revue, corrigée et complétée » du Miroir des limbes (1976), où se sont fondus Antimémoires, Les Chênes qu’on abat, La Tête d’obsidienne (1974), Lazare, Hôtes de passage (1975) — ce volume de la « Bibliothèque de la Pléiade » donnant en appendice le texte des Oraisons funèbres prononcées par André Malraux entre 1958 et 1975. Son dernier livre, L’Homme précaire et la littérature, paraît, posthume, en 1977.


Écrivain et homme politique français. Il partit en 1923 pour le Cambodge. Sympathisant du mouvement nationaliste indochinois, il passa en 1925 en Chine et prit contact avec les révolutionnaires communistes mais sa participation personnelle aux événements de Canton, en 1926, semble avoir été exagérée par ses biographes. En 1936, lors de la guerre civile espagnole, il organisa un réseau de recrutement de pilotes pour l'aviation républicaine et fit paraître un témoignage romancé sur la guerre, L'Espoir (1937). Créateur de la brigade Alsace-Lorraine en 1944, Malraux devint ministre de l'Information du général de Gaulle (nov. 1945/janv. 1946). Resté fidèle au gaullisme, il devint en 1959 ministre d'État chargé des Affaires culturelles. À ce poste, qu'il conserva jusqu'en 1969, il procéda notamment à la création des maisons de la culture.