anacoluthe
Une anacoluthe est proprement une figure microstructurale de construction. On la définit traditionnellement comme une rupture dans l’enchaînement des dépendances syntaxiques (comme un complément indirect après un verbe transitif direct, ou une subordonnée sans principale...). Ceci pose un gros problème. Pour qu’il y ait rupture, il faut qu’il y ait transgression d’un ordre, il faut donc qu’il y ait un ordre. Or, quel ordre? Il est facile de répondre : celui de la grammaire normative ; on sait que c’est une invention scolaire. Plus forte est la réponse : celui de la rhétorique prescriptive du bon goût ; mais beaucoup de praticiens ont refusé ce carcan. Ajoutons qu’il existe même une contradiction entre l’idée d’une transgression de la norme et celle d’ériger en figure ce qui d’autre part est considéré comme faute. On peut s’en sortir, plus ou moins bien, en remarquant la relativité, à la fois au cours de l’histoire et dans une même époque, selon les esthétiques, du sentiment de l’ordre et de l’usage. On appréciera de la sorte une certaine liberté à l’organisation phrastique aussi bien dans les textes baroques ou même classiques (comment fonctionnent exactement, du point de vue de la syntaxe, les dépendances ou les empilements de la phrase de Racine ?) que dans les grandes créations, à tant d’égards révolutionnaires, de Proust, de Céline, de Cohen ou de Simon. Voici un exemple de Claude Simon (La Chevelure de Bérénice, éd. de Minuit) :
De temps à autre l’un d’eux crachait par terre sans baisser la tête ni détourner les yeux : dans le coin opposé il y en avait six ou sept vêtues de combinaisons décolorées à force d’avoir été lavées non plus roses bleues ou amande mais d’une seule et même teinte semblait-il javellisée pour ainsi dire à peine différenciée par de pâles modulations bordées par ce qui avait sans doute été autrefois de la dentelle maintenant de vagues festons jaunâtres ajourés pendant ou peut-être simplement les franges de la soie élimée certaines relevant une jambe c’est-à-dire tout leur poids reposant sur la jambe opposée raide oblique le pied un peu en avant du mur les fesses collées contre la paroi de céramique la plante de l’autre pied à plat contre celle-ci le talon touchant la fesse de façon que la cuisse soit à peu près à l’horizontale et que le bas de la combinaison par le dessus bombé de celle-ci dessine un S couché dévoilant antre entre ses cuisses broussailleux pouvant imaginer leurs regards comme des lignes pointillées [...]
On remarque un évident problème syntaxique entre le paragraphe continu et les trois lignes qui le suivent, de même qu’entre chacune de celles-ci.
=> Figure, microstructurale; construction; aposiopèse.