Alphonse de LAMARTINE (1790-1869)
Né à Mâcon dans une famille de petite noblesse, son enfance s’écoule sur les terres voisines de Milly. Après des études chez les jésuites de Belley, il refuse de servir le régime impérial et passe quelques années d’oisiveté à lire et à voyager. C’est au cours d’un séjour à Naples qu’il vit une idylle avec une première Elvire. Napoléon tombé, il entre dans les gardes du corps de Louis XVIII et compose des élégies dans le goût des Lumières finissantes. À Aix-les-Bains, il rencontre en octobre 1816 Julie Charles, la maladive épouse d’un physicien. Passion partagée aussitôt, quasi mystique, brisée peu après par la mort de l’aimée (décembre 1817). De cette douleur naîtront les plus célèbres des vingt-quatre Méditations poétiques qui ouvrent triomphalement l’ère du nouveau lyrisme (mars 1820). Peu après il épouse une jeune héritière anglaise, Mary-Ann Birch, obtient un poste d’attaché diplomatique à Naples (1822). De retour en France il publie de Nouvelles Méditations et la Mort de Socrate (1823), le Dernier Chant du Pèlerinage d'Harold (1825, double hommage de Lamartine à la lutte des Grecs pour leur indépendance et à la mémoire de Byron). Puis il repart pour un poste à Florence (1825-1828). Elu à l’Académie en 1829, il connaît un nouveau succès avec les Harmonies poétiques et religieuses (1830). En pleine gloire littéraire, il quitte la lyre pour la tribune : se dépouillant de son légitimisme, il s’oriente, sous l’influence du courant mennaisien, vers un libéralisme qu’expriment des poèmes d’un ton nouveau (Ode à Némésis, Ode sur les révolutions, 1831) ou des textes-programmes (Sur la politique rationnelle, 1831). Après un premier échec à la députation, il part pour l’Orient (Syrie, Liban — où il perd sa fille, Julia—, Syrie, Turquie) et apprend au cours de son lointain séjour son élection à l’Assemblée (1833). Dès lors et jusqu’à sa retraite en 1851, il exercera un important travail parlementaire tout en poursuivant son activité littéraire (le Voyage en Orient, 1835 ; Jocelyn, 1836 et la Chute d'un ange, 1838, deux fragments épiques ; un dernier recueil lyrique, Recueillements poétiques, 1839 ; une volumineuse et lyrique Histoire des Girondins, 1847). Mais le politique dominait alors : passé à l’opposition en 1843, il était porté à la tête du gouvernement provisoire issu de la révolution de 1848. Triomphalement élu à la Constituante en avril avec plus de 1 600 000 voix, il en recueille moins de 18 000 à l’élection présidentielle de décembre. Déçu, ruiné et endetté, Lamartine revient alors vers la littérature autant pour des raisons économiques que par nécessité intérieure, alternant ouvrages de caractère social (deux romans : Geneviève et le Tailleur de pierres de Saint-Point, 1851) ou didactique (compilations historiques : Histoire de la Restauration, 1851 ; Histoire de la Russie, 1855 ; Histoire de la Turquie, 1854) avec des œuvres plus personnelles (Graziella et Raphaël, 1849 ; la Vigne et la Maison, 1857, qu’il intègre à son Cours familier de littérature, 1856-1869), sans oublier le drame en vers de Toussaint-Louverture (1850).
Milly vendue, Lamartine termine sa vie de « galérien des lettres » dans une maison de Passy offerte par la Ville de Paris. C’est là qu’il mourra ; mais sa famille ayant refusé les obsèques nationales, il sera inhumé dans le caveau du château de Saint-Point.
De la rhétorique à la grâce
S’il a touché aux genres les plus divers, Lamartine doit presque toute sa gloire littéraire à une poésie qui enthousiasma la génération de 1820. Consacré grâce aux Méditations poète des temps modernes, mais aussi « classique parmi les romantiques » par Victor Hugo, il cisèle la thématique de la nouvelle sensibilité dans la « forme vieille », comme dira Rimbaud, et comble l’attente d’un lectorat prêt pour les accents du mal du siècle. Il travaille le « chant » plus que les genres établis, héritage préservé du xviif siècle, privilégiant sonorités, cadence, mélodie et rythme — souvent en 3/3/73/3 —, vibration et balancement : on a parlé de « romances sans paroles » ou de « poésie pure ». Si les images empruntent beaucoup au fonds commun du Gradus, la strophe se donne comme orchestration. Les innovations touchent moins les thèmes que leur agencement. Déploration et consolation, inquiétude et épanchement, passion, solitude, enfance, mort, oubli... : le lyrisme module les affections d’un moi soumis aux affres du mal de vivre. Point n’est besoin d’invoquer la tentation autobiographique : les lieux déjà communs — mélancolie, repliement, soupirs nostalgiques et amoureux... — se combinent et trouvent expression fluide et élégiaque dans la musique lamartinienne, ce « divin sanglot » selon Musset. Si le sentiment l’emporte sur la description, celle-ci sait colorer le monde aux nuances de l’intériorité, au risque de le réduire à un simple reflet complaisant des tourments intimes. Le tardif retour aux vers magnifiera dans la Vigne et la Maison le potentiel poétique du moi, dialoguant pour la circonstance avec l’âme, grâce à un travail sur le langage, plutôt qu’à un renouvellement des thèmes. La nouveauté tient en la promotion de l’indicible. Au-delà de la fuite du temps, des prestiges de l’eau, de la nature rendue immatérielle par son annexion aux rêveries désenchantées, inépuisables sujets de la communication intime et matériaux pour anthologies, l’écriture vise l’intensité du vécu et entreprend cette quête du divin qui le mènera en Orient, d’où un Voyage romantique et spirituel, trajet vers l’ailleurs, l’origine et la révélation. Le « lyrisme poitrinaire » qu’attaquera Flaubert n’épuise pas la poésie de Lamartine. Elle s’élève au symbolisme dès les Méditations et plus sûrement dans les Harmonies, où s’impose la figure du poète sacré.
Du lyrisme à l’humanitarisme
L’ambition épique, cet autre pôle de l’activité poétique lamartinienne, traduit l’énergie et l’action. En posant la question de la mission du poète dans la cité moderne, cette grande interrogation et revendication du romantisme, Lamartine prend en compte le destin de l’humanité, définissant la poésie comme « raison chantée » (seconde Préface des Méditations). Écrire les époques du genre humain, inscrire poétiquement une éthique et une mystique : de ce projet ne restent que d’immenses fragments, orientés par la logique du progrès, qui organise la carrière politique de cet homme engagé, à la conscience éveillée par le christianisme social et imprégnée du déisme des Lumières, malgré l’ostentation catholique, qui le situa initialement dans la contre-révolution spirituelle. Loi d’amour, fraternité, évangélisme : la foi informe l’écriture. L’épopée se fait poème sacré et histoire symbolique, visée de l’universel. L’ode célèbre la liberté et décèle l’action cachée de Dieu dans le mouvement des idées et des hommes, et les Recueillements développent la religion de l’humanité. La prose des discours et de l'Histoire des Girondins inscrit le poète dans l’histoire. Au-delà des positions politiques, elle s’attache à suivre le travail de la Providence. Vision utopique sans doute, la pensée de Lamartine repose aussi sur la croyance aux vertus de la parole. Si les vers restent prisonniers de la rhétorique, comme si les modèles en imposaient trop pour autoriser une libération que d’autres entreprendront, l’éloquence « de pourpre et d’or » vibre et entraîne. Mais l’expression poétique laisse aussi parler l’homme, partie prenante dans la collectivité, et ouvre sur une pratique. Prière et message, elle ne procède pas d’un plan de carrière littéraire. Elle ne se subordonne pas vraiment à l’action ; sans perdre pour autant sa valeur scripturale, elle se veut déjà acte. Des langueurs à l’exhortation, une unité se fait jour, que les clichés masquent, déterminés qu’ils restent par une conception étriquée de la poésie romantique ou par les trop réelles complaisances du lyrisme affecté.
Le culte de l’harmonie
Dieu, le peuple, l’humanité : autant d’hypostases du même. Peu importe la naïveté des élans généreux, seule compte la conviction. La ferveur lamartinienne place le langage poétique dans une situation ambiguë. Chargé de parler pour une transcendance inexprimable, il révèle son insuffisance (« Toute parole expire en efforts impuissants ») ; mise en forme de l’harmonie cosmique, il se sublime en hymne et moyen de connaissance. Avec Lamartine, le poète accède au rang d’interprète de la divinité. L’infini : voilà désormais son domaine. Par son truchement s’énonce le sens. Théologien moderne, il décrit par le verbe poétique un univers, figuration de Dieu, dont il est la voix. Écho, mais aussi créateur, le poète des temps nouveaux évoque, invoque, prophétise. Il produit l’harmonie autant qu’il la décrit, l’annonce en l’énonçant, la célèbre en des cantiques modernes. Les Harmonies poétiques et religieuses, peut-être le recueil le plus significatif de son entreprise, relient l’adoration et le message mystico-politique. Il s’agit d’incarner l’ordre voulu par l’intention divine. Harmonie : ce mot clé de la pensée romantique, cette reprise de néo-platonisme, cette constante du discours poétique (« Harmonie immense qui dit tout... », écrira Hugo dans les Feuilles d'automne) renvoie à une ambition fondamentale : la synthèse de la totalité. La thématique lamartinienne se place dans cette perspective : fusion de l’être dans la nature, dissolution dans le grand Tout, mais aussi vision de l’éternité et écoute de Dieu. On ne cherchera pas là une quelconque orthodoxie religieuse. Le champ poétique transcende les discours établis. L’ultime paradoxe de l’écriture lamartinienne réside peut-être dans l’assimilation de l’effusion, où le cœur devient un « temple », à un « concert muet », comme si la véritable poésie se concentrait en silence. Au fond, l’écriture n’a d’autre justification que dans l’incitation à la communion. Une dialectique de l’ouverture et de l’enfermement : serait-ce le mouvement profond de cette poésie trop ignorée aujourd’hui ?
Poète et homme politique français. Aristocrate épris de liberté, de fraternité et confiant dans le progrès, ce grand romantique a exprimé ses préoccupations sociales dans ses Recueillements poétiques (1839). Député en 1833, il s'opposa au ministère Guizot, milita pour la réforme électorale et conquit une popularité politique avec son Histoire des Girondins (1847). En février 1848, membre du gouvernement provisoire de la seconde République, il tint tête aux extrémistes qui réclamaient le drapeau rouge (25 févr.). Élu par dix départements à l'Assemblée constituante, il fit partie de la Commission exécutive, mais son évolution vers la gauche et l'illusion qu'il nourrissait de faire sur son seul nom l'union de tous les partis lui préparèrent un rapide effondrement. En déc. 1848, candidat à la présidence de la République, il ne recueillit que 18 000 voix. Le 2 décembre 1851 marqua la fin de sa carrière politique.
LAMARTINE, Alphonse de (Mâcon, 1790-Paris, 1869). Poète et homme politique français. Son premier recueil lyrique, Les Méditations poétiques (1820), marqua le début du romantisme dans la poésie française et lui assura une très grande popularité. Député en 1833, hostile au gouvernement de Louis-Philippe Ier, Lamartine milita pour l'élargissement du corps électoral et écrivit une Histoire des girondins ( 1847) qui lui assura la célébrité politique. Lors de la révolution de 1848, il proclama la République à l'Hôtel de ville. Membre du gouvernement provisoire et ministre des Affaires étrangères, il joua un rôle important pendant les premières semaines de la Deuxième République, s'opposant notamment aux socialistes. Candidat malheureux aux élections présidentielles du 10 décembre 1848, sa carrière politique prit fin après le coup d'État bonapartiste du 2 décembre 1851. Accablé de dettes, dans l'impossibilité de s'exiler comme Victor Hugo, Lamartine se condamna aux « travaux forcés littéraires », publiant des récits autobiographiques, des ouvrages historiques et des romans sociaux. Voir Juin 1848 (Journées de).