Alphonse de LAMARTINE (1790-1869)

Milly vendue, Lamartine termine sa vie de « galérien des lettres » dans une maison de Passy offerte par la Ville de Paris. C’est là qu’il mourra ; mais sa famille ayant refusé les obsèques nationales, il sera inhumé dans le caveau du château de Saint-Point.
De la rhétorique à la grâce
S’il a touché aux genres les plus divers, Lamartine doit presque toute sa gloire littéraire à une poésie qui enthousiasma la génération de 1820. Consacré grâce aux Méditations poète des temps modernes, mais aussi « classique parmi les romantiques » par Victor Hugo, il cisèle la thématique de la nouvelle sensibilité dans la « forme vieille », comme dira Rimbaud, et comble l’attente d’un lectorat prêt pour les accents du mal du siècle. Il travaille le « chant » plus que les genres établis, héritage préservé du xviif siècle, privilégiant sonorités, cadence, mélodie et rythme — souvent en 3/3/73/3 —, vibration et balancement : on a parlé de « romances sans paroles » ou de « poésie pure ». Si les images empruntent beaucoup au fonds commun du Gradus, la strophe se donne comme orchestration. Les innovations touchent moins les thèmes que leur agencement. Déploration et consolation, inquiétude et épanchement, passion, solitude, enfance, mort, oubli... : le lyrisme module les affections d’un moi soumis aux affres du mal de vivre. Point n’est besoin d’invoquer la tentation autobiographique : les lieux déjà communs — mélancolie, repliement, soupirs nostalgiques et amoureux... — se combinent et trouvent expression fluide et élégiaque dans la musique lamartinienne, ce « divin sanglot » selon Musset. Si le sentiment l’emporte sur la description, celle-ci sait colorer le monde aux nuances de l’intériorité, au risque de le réduire à un simple reflet complaisant des tourments intimes. Le tardif retour aux vers magnifiera dans la Vigne et la Maison le potentiel poétique du moi, dialoguant pour la circonstance avec l’âme, grâce à un travail sur le langage, plutôt qu’à un renouvellement des thèmes. La nouveauté tient en la promotion de l’indicible. Au-delà de la fuite du temps, des prestiges de l’eau, de la nature rendue immatérielle par son annexion aux rêveries désenchantées, inépuisables sujets de la communication intime et matériaux pour anthologies, l’écriture vise l’intensité du vécu et entreprend cette quête du divin qui le mènera en Orient, d’où un Voyage romantique et spirituel, trajet vers l’ailleurs, l’origine et la révélation. Le « lyrisme poitrinaire » qu’attaquera Flaubert n’épuise pas la poésie de Lamartine. Elle s’élève au symbolisme dès les Méditations et plus sûrement dans les Harmonies, où s’impose la figure du poète sacré.
Du lyrisme à l’humanitarisme
L’ambition épique, cet autre pôle de l’activité poétique lamartinienne, traduit l’énergie et l’action. En posant la question de la mission du poète dans la cité moderne, cette grande interrogation et revendication du romantisme, Lamartine prend en compte le destin de l’humanité, définissant la poésie comme « raison chantée » (seconde Préface des Méditations). Écrire les époques du genre humain, inscrire poétiquement une éthique et une mystique : de ce projet ne restent que d’immenses fragments, orientés par la logique du progrès, qui organise la carrière politique de cet homme engagé, à la conscience éveillée par le christianisme social et imprégnée du déisme des Lumières, malgré l’ostentation catholique, qui le situa initialement dans la contre-révolution spirituelle. Loi d’amour, fraternité, évangélisme : la foi informe l’écriture. L’épopée se fait poème sacré et histoire symbolique, visée de l’universel. L’ode célèbre la liberté et décèle l’action cachée de Dieu dans le mouvement des idées et des hommes, et les Recueillements développent la religion de l’humanité. La prose des discours et de l'Histoire des Girondins inscrit le poète dans l’histoire. Au-delà des positions politiques, elle s’attache à suivre le travail de la Providence. Vision utopique sans doute, la pensée de Lamartine repose aussi sur la croyance aux vertus de la parole. Si les vers restent prisonniers de la rhétorique, comme si les modèles en imposaient trop pour autoriser une libération que d’autres entreprendront, l’éloquence « de pourpre et d’or » vibre et entraîne. Mais l’expression poétique laisse aussi parler l’homme, partie prenante dans la collectivité, et ouvre sur une pratique. Prière et message, elle ne procède pas d’un plan de carrière littéraire. Elle ne se subordonne pas vraiment à l’action ; sans perdre pour autant sa valeur scripturale, elle se veut déjà acte. Des langueurs à l’exhortation, une unité se fait jour, que les clichés masquent, déterminés qu’ils restent par une conception étriquée de la poésie romantique ou par les trop réelles complaisances du lyrisme affecté.
Le culte de l’harmonie
Dieu, le peuple, l’humanité : autant d’hypostases du même. Peu importe la naïveté des élans généreux, seule compte la conviction. La ferveur lamartinienne place le langage poétique dans une situation ambiguë. Chargé de parler pour une transcendance inexprimable, il révèle son insuffisance (« Toute parole expire en efforts impuissants ») ; mise en forme de l’harmonie cosmique, il se sublime en hymne et moyen de connaissance. Avec Lamartine, le poète accède au rang d’interprète de la divinité. L’infini : voilà désormais son domaine. Par son truchement s’énonce le sens. Théologien moderne, il décrit par le verbe poétique un univers, figuration de Dieu, dont il est la voix. Écho, mais aussi créateur, le poète des temps nouveaux évoque, invoque, prophétise. Il produit l’harmonie autant qu’il la décrit, l’annonce en l’énonçant, la célèbre en des cantiques modernes. Les Harmonies poétiques et religieuses, peut-être le recueil le plus significatif de son entreprise, relient l’adoration et le message mystico-politique. Il s’agit d’incarner l’ordre voulu par l’intention divine. Harmonie : ce mot clé de la pensée romantique, cette reprise de néo-platonisme, cette constante du discours poétique (« Harmonie immense qui dit tout... », écrira Hugo dans les Feuilles d'automne) renvoie à une ambition fondamentale : la synthèse de la totalité. La thématique lamartinienne se place dans cette perspective : fusion de l’être dans la nature, dissolution dans le grand Tout, mais aussi vision de l’éternité et écoute de Dieu. On ne cherchera pas là une quelconque orthodoxie religieuse. Le champ poétique transcende les discours établis. L’ultime paradoxe de l’écriture lamartinienne réside peut-être dans l’assimilation de l’effusion, où le cœur devient un « temple », à un « concert muet », comme si la véritable poésie se concentrait en silence. Au fond, l’écriture n’a d’autre justification que dans l’incitation à la communion. Une dialectique de l’ouverture et de l’enfermement : serait-ce le mouvement profond de cette poésie trop ignorée aujourd’hui ?
LAMARTINE, Alphonse de (Mâcon, 1790-Paris, 1869). Poète et homme politique français. Son premier recueil lyrique, Les Méditations poétiques (1820), marqua le début du romantisme dans la poésie française et lui assura une très grande popularité. Député en 1833, hostile au gouvernement de Louis-Philippe Ier, Lamartine milita pour l'élargissement du corps électoral et écrivit une Histoire des girondins ( 1847) qui lui assura la célébrité politique. Lors de la révolution de 1848, il proclama la République à l'Hôtel de ville. Membre du gouvernement provisoire et ministre des Affaires étrangères, il joua un rôle important pendant les premières semaines de la Deuxième République, s'opposant notamment aux socialistes. Candidat malheureux aux élections présidentielles du 10 décembre 1848, sa carrière politique prit fin après le coup d'État bonapartiste du 2 décembre 1851. Accablé de dettes, dans l'impossibilité de s'exiler comme Victor Hugo, Lamartine se condamna aux « travaux forcés littéraires », publiant des récits autobiographiques, des ouvrages historiques et des romans sociaux. Voir Juin 1848 (Journées de).