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Alexandre Koyré: Pas de science sans théorie

Alexandre Koyré a apporté une contribution décisive à l'histoire des sciences. Il a insisté sur l'importance des travaux des penseurs de la Renaissance, notamment Galilée. Son ouvrage, Du Monde clos à l'univers infini, explique les développements de la cosmologie, passant du monde fini des Anciens à l'univers ouvert et problématique de l'astronomie moderne. Dans le recueil d'articles Etudes d'histoire de la pensée scientifique, il analyse les grandes mutations qui ont permis l'essor de la science moderne.
Problématique
Le savoir scientifique ne part pas de la pratique, d'un savoir-faire technique, mais de la théorie. Koyré le montre par deux types de preuves : à certaines époques, alors que le savoir technique était élaboré, il n'y a pas eu de grands progrès scientifiques, alors que certains progrès décisifs, tels ceux de Copernic, ont été accomplis indépendamment de tout appareillage technique.
Enjeux
La science est le fruit de l'exercice de la raison théorique. Par la simple observation, ou par l'invention astucieuse de techniques obtenue sans le soutien de la théorie, nul progrès décisif n'est possible. La pratique n'a d'intérêt que si elle est interprétée dans le cadre d'une théorie.
Pas de science sans théorie
Quant à moi, je ne crois pas que la naissance et le développement de la science moderne puissent s'expliquer par le fait que l'esprit se soit détourné de la théorie au profit de la praxis. J'ai toujours pensé que cette explication ne concordait pas avec le véritable développement de la pensée scientifique même au XVIIe siècle ; elle me paraît s'accorder encore moins avec celui de la pensée du XIIIe et du XIVe siècle. Je ne nie pas, bien entendu, [...] qu'un nombre assez grand de personnes du Moyen-Âge se soient vivement intéressées à la technique, ni qu'elles aient donné à l'humanité un certain nombre d'inventions d'une haute importance, dont quelques-unes auraient probablement pu, si elles avaient été faites par les Anciens, sauver l'antiquité de l'effondrement et de la destruction dus aux invasions des Barbares. Mais en fait, l'invention de la charrue, du harnais [...] n'a rien à voir avec le développement scientifique. [...] Une découverte aussi révolutionnaire que celle des armes à feu n'a pas plus d'incidence scientifique qu'elle n'avait eu de base scientifique. En fait, si l'intérêt pratique était la condition nécessaire et suffisante du développement de la science expérimentale, [...] cette science aurait été créée [...] par les ingénieurs de l'Empire romain, sinon par ceux de la République romaine. [...] La bonne physique est faite a priori. La théorie précède le fait. L'expérience est inutile parce qu'avant toute expérience, nous possédons déjà la connaissance que nous cherchons. Les lois fondamentales du mouvement (et du repos), lois qui déterminent le comportement spatio-temporel des corps matériels, sont des lois de nature mathématique. De la même nature que celles qui gouvernent les relations et les lois des figures et des nombres. Nous les trouvons et les découvrons non pas dans la nature, mais en nous-mêmes, dans notre esprit, dans notre mémoire, comme Platon nous l'a enseigné autrefois.


Koyré (Alexandre, 1892-1964.) Philosophe d'origine russe qui, après une jeunesse révolutionnaire qui le mène à Moscou dans l'opposition à Lénine, s'installe à Paris à partir de 1919. Il fonde en 1932 la revue Recherches philosophiques, approfondissant sa lecture de Husserl en même temps que de Bergson et de Hegel. ♦ Admettant que science, philosophie et religion constituent trois modes de la pensée historiquement imbriqués de façon étroite, son œuvre s'articule selon deux axes principaux : une réflexion aiguë sur la science et son histoire, et un intérêt pour la mystique spéculative. Koyré a notamment établi que les travaux de Galilée et de Descartes signifient, au-delà d’un simple progrès de la connaissance, un changement de perspective sur l'homme et le monde : on passe là de la notion d’un cosmos hiérarchisé de régions distinctes à celle d'un univers infini et homogène dans lequel la science, au sens moderne, pourra se déployer. Œuvres principales : La Philosophie et le problème national en Russie au début du XIXe siècle (1927) ; Du monde clos à l’univers infini (1957) ; Etudes d’histoire de la pensée philosophique (1961) ; Etudes galiléennes (1966).