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ALCHIMIE

ALCHIMIE, n.f. Science occulte, très prisée avant le siècle des Lumières, qui a pour objet la recherche d’un remède universel ou d’une pierre magique permettant la transformation des matières, voire celle des êtres humains.

ALCHIMIE. Une erreur encore répandue de Marcelin Berthelot consiste à voir en l’alchimie l’ancêtre de la chimie. Celle-ci put se développer parfois grâce à celle-là, mais ce fut de manière limitée, nullement significative. De même, il faut maintenant renoncer à expliquer l’alchimie par l’histoire ou par la sociologie. L’alchimie se présente d’abord comme une théosophie. Si elle reste à ce niveau on parle d’alchimie spirituelle, qui est technique d’illumination, transmutation de l’adepte lui-même. Si elle débouche aussi sur une expérience matérielle (transmutation des métaux en or, recherche de la panacée) on parle de Grand Œuvre. Si elle se limite à une tentative de transmutation des métaux il convient de parler de spagyrie (et de spagyristes, ou de « souffleurs »), et ce dernier cas ne nous intéresse pas ici. Peut-être peut-on proposer de l’alchimie la définition suivante : une Weltanschauung à la fois cosmogonique, cosmologique et eschatologique, dépourvue de tout dualisme — mais non point de toute dualitude —, accompagnée d’une pratique spirituelle tendant à retrouver l’unité originelle et glorieuse — mais perdue — de la matière et de l’esprit, cette pratique pouvant s’exercer sur un élément matériel dont la « manipulation » suppose la fusion intime du sujet et de l’objet. L’alchimie repose sur une pensée logique qui remplace les principes aristotéliciens d’identité, de non-contradiction et de tiers-exclu, par celle d’une bivalence logique où la dualité d’exclusion fait place à une constructive « dualitude ». A cela s’ajoute la reconnaissance implicite, toujours effective, de trois notions qui au XXe siècle permirent aux physiciens et aux logiciens une nouvelle approche méthodologique : l’idée de quanta, le phénomène d’homogénéisation et d’hétérogénéisation, celui de potentialisation et d’actualisation (cf. les travaux de Stéphane Lupasco). La structure du processus alchimique est essentiellement dynamique et repose généralement sur la reconnaissance et l’utilisation (spirituelles et matérielles) de quatre éléments et de trois principes. Les quatre éléments représentent des états, des modalités, de la matière, beaucoup plus que les réalités concrètes dont ils portent le nom (feu, eau, air, terre) ; ce sont des liens organiques entre le monde et le divin, car il n’y a pas de corps sans esprit, pas d’esprit sans corps. De même que l’on distingue quatre éléments, on dénombre trois substances ou principes constitutifs, de la matière. Tout corps réel est composé de ces trois substances, réalités symboliques dont les quatre éléments ne sont que la condensation. Le Soufre, masculin, actif, corporifie les choses, les compacte (Yang chinois) ; c’est un feu réalisateur, une ardeur vitale expansive. Le Mercure, féminin, passif, concentré (Yin chinois), sert d’élément « liant ». Le Sel réunit le Soufre et le Mercure ; il est fixe et volatil, zone active et vraie où les deux premiers principes se rejoignent, s’allient. Carl Gustav Jung est le premier et jusqu’ici l’unique psychologue qui ait étudié l’alchimie de façon très approfondie et non réductrice. Jung nie la réalité de la transmutation mais il voit dans ces textes « hermétiques » la projection des contenus fondamentaux de l’inconscient individuel et collectif, la réaction contre une culture occidentale essentiellement rationaliste ou étroitement théologique, et surtout une des expressions les plus remarquables du processus d’individuation. Des deux ouvrages qu’il a consacrés à l’alchimie, le second, point encore traduit en français, est le plus riche et le plus complet.

« C’est tout le problème du processus d’individuation qui s’exprime dans la symbolique alchimique », écrit Jung en 1944. La concordance entre ses propres découvertes sur l’inconscient et la recherche des alchimistes se révéla à lui dès 1928, à la lecture du manuscrit d’un traité chinois taoïste : Secret de la fleur d'or : « C’est en découvrant l’alchimie que je discernais clairement que l’inconscient est un processus et que les rapports du moi à l’égard de l’inconscient et de ses contenus déclenchent une évolution, voire une métamorphose véritable de la psyché » (cf. 127, p. 243). De 1942 à 1956 paraissent plusieurs ouvrages consacrés à une interprétation psychologique de l’alchimie : commentaires au Secret de la fleur d'or (avec R. Wilhem, 1929-1957) : Paracelsus (1942) ; Psychologie et alchimie (1944) ; La Psychologie du transfert (1946) ; Mysterium coniunctionis (1955-1956), et certaines études insérées dans Les Racines de la conscience (1971). En travaillant sur les symboles alchimiques Jung se rendit compte que, tout en réalisant des expériences sur la matière (transformations chimiques), l’adepte vivait des expériences psychiques. Elles lui apparurent du même ordre que celles vécues au cours d’une analyse. L’image de la pierre philosophale, par exemple, représente l’idée d’une totalité qui coïncide avec ce que la psychologie analytique appelle le Soi. A propos de la réunion des contraires, il établit une équivalence entre le rôle qu’elle joue en alchimie et « le processus psychique déclenché par la confrontation avec l’inconscient. [...] C’est pourquoi le choix de symboles analogues et même identiques n’a rien d’étonnant ».

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