ALAIN [Émile Chartier] 1868-1951
ALAIN [Émile Chartier] 1868-1951
Essayiste, né en Normandie. À son homonyme, le poète médiéval Alain Chartier, il imagina de prendre, aussi, le prénom, et d’en faire son « nom de plume ». Par là, ce professeur de philosophie rendait un fervent hommage à la poésie ; ce ne sera pas le seul. Le nom d’Alain reste associé à celui du genre littéraire qu’il a créé : le propos. Sauf, en effet, quelques « dialogues » à la manière de Platon ou de son ami Valéry (Entretiens au bord de la mer, 1931), et quelques brèves « scènes de comédie » (dont le savoureux Roi Pot), toute son œuvre n’est qu’une suite de propos. Chacun de ces essais très brefs - de ces chapitres comme il dit aussi - se présente à nous calibré, normalisé sur une même longueur et presque un même nombre de lignes. Servitude dont il fait une coquetterie, ou plutôt une rigoureuse règle du jeu, semblable à celle du poème. Ne va-t-il pas jusqu’à les rassembler à l’occasion, par séries, identiques en nombre (les cinq volumes échelonnés de 1908 à 1928 sous ce même titre : 101 Propos d'Alain)? Enfin le mot propos lui-même n’est, sans doute, pas autre chose qu’un jeu de mots, par quoi ce malicieux moraliste nous rappelle que le décousu ainsi affirmé (l’« à propos de... ») recèle une infaillible unité de propos, et n’est en fin de compte que la pudeur d’une volonté trop consciente de sa force, orientée vers un objectif précis, invariable, poursuivi sans relâche avec une opiniâtre douceur : la défense du rationalisme.
Au surplus, la curiosité universellement bienveillante d’Alain, et par suite son inépuisable et légendaire faculté de compréhension trouvent assez vite leurs limites. En politique, il prêche l’obéissance apparente, dès lors qu’elle préserve le refuge intérieur : L'esprit ne doit jamais obéissance. Ce jugement intérieur, dernier refuge et suffisant refuge, il faut le garder (notons qu’en certains cas graves Alain fera plus et mieux que cela). En art, il aime également novateurs et conservateurs, ce qui est fort téméraire, et même Monsieur Ingres (dans la collection Les Demi-Dieux) ; mais pour le reste, il ignore l’art de son siècle. En poésie enfin, il parvient à donner, à force de sympathie, la plus fine et la plus belle analyse de La Jeune Parque de son contemporain exact Paul Valéry (mais pendant le même temps Bachelard, cet autre « ami de la Beauté », découvre et salue les jeunes poètes). C’est pourquoi, sans doute, de tant de volumes de propos d’Alain sur les sujets les plus divers, on préférera toujours ceux qu’il a consacrés à son véritable sujet: la morale pratique (Propos sur le bonheur, 1928 ; Propos sur l'éducation, 1932 ; Les Saisons de l'esprit, 1937, etc.).
[Émile Chartier]. Essayiste, né en Normandie. A son homonyme, le poète médiéval Alain Chartier, il imagina de prendre, aussi, le prénom, et d’en faire son « nom de plume ». Par là, ce professeur de philosophie rendait un fervent hommage à la poésie; ce ne sera pas le seul. Le nom d’Alain reste associé à celui du genre littéraire qu’il a créé : le propos. Sauf, en effet, quelques « dialogues » à la manière de Platon ou de son ami Valéry {Entretiens au bord de la mer, 1931), et quelques brèves « scènes de comédie » (dont le savoureux Roi Pot, en 1959), toute son œuvre n’est qu’une suite de propos. Chacun de ces essais très brefs - de ces chapitres comme il dit aussi - se présente à nous calibré, normalisé sur une même longueur et presque un même nombre de lignes. Servitude dont il fait une coquetterie, ou plutôt une rigoureuse règle du jeu, semblable à celle du poème. Ne va-t-il pas jusqu’à les rassembler à l’occasion, par séries, identiques en nombre (les cinq volumes échelonnés de 1908 à 1928 sous ce même titre : 101 Propos d'Alain) ? Enfin le mot propos lui-même, n’est, sans doute, pas autre chose qu’un jeu de mots, par quoi ce malicieux moraliste nous rappelle que le décousu ainsi affirmé (l’ « à propos de... ») recèle une infaillible unité de propos, et n’est en fin de compte que la pudeur d’une volonté trop consciente de sa force, orientée vers un objectif précis, invariable, poursuivi sans relâche avec une opiniâtre douceur : la défense du rationalisme. Au surplus, la curiosité universellement bienveillante d’Alain, et par suite son inépuisable et légendaire faculté de compréhension trouvent assez vite leurs limites. En politique, il prêche l’obéissance apparente, dès lors qu’elle préserve le refuge intérieur : L'esprit ne doit jamais obéissance. Ce jugement intérieur, dernier refuge et suffisant refuge, il faut le garder (notons qu’en certains cas graves Alain fera plus et mieux que cela). En art, il aime également novateurs et conservateurs, ce qui est fort téméraire, et même Monsieur Ingres (dans la collection « les Demi-Dieux »); mais pour le reste, il ignore l’art de son siècle. En poésie enfin, il parvient à donner, à force de sympathie, la plus fine et la plus belle analyse de la Jeune Parque de son contemporain exact Paul Valéry (mais pendant le même temps Bachelard, cet autre « ami de la Beauté », découvre et salue les jeunes poètes). C’est pourquoi, sans doute, de tant de volumes de propos d’Alain sur les sujets les plus divers, on préférera toujours ceux qu’il a consacrés à son véritable sujet : la morale pratique (Propos sur le bonheur, 1928 ; Propos sur l'éducation, 1932; les Saisons de l’esprit, 1937, etc.).
Œuvres Propos sur le bonheur (Gallimard, coll. Idées). - Les Idées et les Ages (Gallimard). - Les Saisons de l'esprit (Gallimard). Critique H. Mondor, Alain (Gallimard, 1953). - G. Pascal, Alain (Bordas, 1957). - A. Maurois, Alain (Gallimard, 1963). -B. Halda, Alain (Éd. universitaires, 1965). - G. Pascal, L'Idée de philosophie chez Alain (Bordas, 1970).
Une figure de philosophe moderne : Alain
Pourtant Émile Auguste Chartier (1868-1951) qui va échanger avec son pays et homonyme, le poète de la Renaissance Alain Chartier, son prénom pour s’en faire un nom, bref, pour s’appeler Alain, n ’est étranger ni au monde ni au sérail philosophique.
Né en 1868 dans le Perche, il entre à l’École normale supérieure, comme chacun (bien qu’en tramant un peu, à vingt et un ans seulement). Élève de Lagneau, interprète inoubliable des grands maîtres du rationalisme, il occupe à partir de 1909 la chaire légendaire de première supérieure au lycée Henri-IV, à Paris ; assurant ainsi sa part dans cette transmission quasi rituelle de la philosophie dont l’enseignement français avait le secret.
Pacifiste et à la limite de l’antimilitarisme, il s’engage en 1914, bien qu’il soit trop vieux et non mobilisable, pour faire une guerre qu’il juge ainsi sur pièces et sur le fait dans Mars ou la guerre jugée, écrit en 1915.
Réservé à l’égard de la passion amoureuse et de ses pièges, il n’hésite pas cependant à se marier, à plus de soixante-dix ans.
Mais son originalité intellectuelle va surtout se manifester par la collaboration qu’il apporte, à partir de 1906, à La Dépêche de Rouen, par la publication de Propos, un temps quotidiens, qu’il poursuivra presque toute sa vie, dans d’autres revues, comme la N.RF., puis dans des périodiques montés à cet usage par ses sup porters, sous le nom de Libres Propos. Il s’illustre donc d’abord comme l’auteur des Propos, inaugurant ainsi la formule, tant de fois recherchée depuis et jusqu’à nos jours, d’une philosophie véritablement en prise et en dialogue avec l’homme de la rue.
Prendre un moment pour philosopher en buvant son café ou en ouvrant son quotidien habituel, sans l’obstacle de phrases pompeuses ou d’un jargon infranchissable, n’est-ce pas l’aspiration de tout honnête citoyen?
Et l’inaccessibilité de cet idéal, n ’était-ce pas ce qui séparait depuis toujours le philosophe de son public d’élection, dans l’aigreur et le malentendu ? Dans de courts fragments incisifs, Alain aborde dans ces Propos, au fil des jours et des ans, faits divers, actualité, humeurs et préoccupations de circonstance.
Tout sert de propos à ces Propos, qui finissent par faire un pro gramme à l’usage d’une vie. Ils seront réunis plus tard, en plu sieurs tomes, rassemblés par années, puis par thèmes. Ne serait-ce pas une adaptation des dialogues socratiques, pour l’ère des médias, dialogues à une seule voix, où l’interlocuteur rentré se fait lecteur de journaux, ravalant in petto son approbation ou sa grogne, ou la grommelant à l’entourage ?
Le public ciblé se fait plus spécialisé au cours du temps et les thèmes traités, plus conceptualisés, pour devenir vers la fin (période autour du Front populaire) presque exclusivement politiques. Dans ces textes, Alain déploie surtout un talent d’écrivain ou de moraliste, mais il s’y esquisse aussi les linéaments d’une discipline mentale, fondée sur la rigueur et la méfiance du jugement à l’égard des idées toutes faites, des spéculations creuses, des emballements passionnels, dans le ton d’un Bacon ou d’un Descartes ; rationalisme plus enraciné dans la terre et le concret de la pratique de la vie sociale, qu’aspiré aux ciel des Idées.
Une pensée radicale
Cette formule pour caractériser Alain, ferait antiphrase, dans la même mesure seulement que cet adjectif lorsqu’il désigne un
des partis politiques majeurs de la IIIe République. Certes, Alain ne donne pas l’image d’une interrogation remontant à la racine de toute chose et subvertissant tout fondement. Encore ne faudrait-il pas négliger cet aspect zen (ou cynique) de son enseignement, tel qu’il transparaît dans sa légende dorée. A tel candidat, trop assuré, ayant réponse à tout, n ’aurait-il pas affirmé : « Je vais vous montrer quelque chose que vous ne connaissez pas... » ; et preuve à l’appui, de lui exhiber son posté rieur déculotté !
En fait, le radicalisme d’Alain apparaît surtout à théoriser ce qui pourrait passer pour la philosophie du radical-socialisme, sous son meilleur jour, comme épure d’une démocratie approchée. L’essentiel de cette vision est de revendiquer pour le citoyen une garantie de résistance, de critique et d’opposition à tout pouvoir. Dans cette aspiration plus extrême, dont les Droits de l’homme ne donnent qu’une faible même si indispensable préfiguration, fût-ce le désir de convaincre ou d’imposer ses idées par persuasion, est suspectée d’une menace larvée de tyran nie. « Penser, c’est dire non. » Cette formule célèbre d’Alain, qu’on a donnée, peut-être imprudemment, à commenter à des générations de lycéens, s’entend surtout à l’égard de tout pou voir, politique ou social, bien sûr, mais aussi envers toute vérité qui demanderait adhésion, d’une pression trop insistante.
Liberté de l’esprit, radicale donc, mais lestée d’un côté par un sens du compromis avec toutes les nuances imprévisibles des circonstances et des êtres.
Une pédagogie généralisée
Enseignant, il laisse à ses élèves une impression forte, et il n ’est pas loin de considérer, à la manière de Rousseau dans V Émile, que la pédagogie est le point nodal d’une philosophie et une philosophie, une tentative d’éducation, sans fin et sans frontière. La visée paradoxale de cette éducation est de faire de l’élève un esprit indépendant, voire opposant, pour ne pas dire rebelle. Mais, en autre part, elle propose un mode d’emploi pratique et universel de tous les instruments mis à la disposition de l’homme.
A commencer par son corps, ses passions, ses émotions, les occasions que lui offrent son travail, son ingéniosité, avec les
outils qu’il utilise ; sa capacité de créer de la beauté et d’y être sensible, de faire naître des mythes et de s’y laisser prendre. Dans
ses Propos sur le bonheur (1928), Sur l’éducation (1926) , mais aussi dans Le Système des Beaux-Arts (1927), Les Dieux (1934), il
enchaîne les éléments pour un usage de la vie, à l’optimum d’un être doué de raison, en terrain accidenté.
Mais cette pédagogie ne trouve son équilibre et sa légitimité qu’à s’enraciner dans les Humanités (titre d’un de ses Propos'). La culture technique et le travail manuel sont salutaires et sécurisants car le « boulon est sans énigme ». Mais il faut que le « passé éclaire le présent, sans quoi nos contemporains sont à nos yeux des animaux énigmatiques ». Un sauvage se servant d’un mobile.
Si ce passé s’étend en droit à toute l’histoire et la préhistoire uni verselle de l’humanité, c’est pour le fond, par référence à l’héritage grec et romain que l’homme tient son éclairage, sa formation, sans laquelle il resterait simple serveur absurde de sa technique. Ce rationalisme n’est donc pas apatride, il doit pour féconder ses acquis réfléchir globalement sur l’homme façonné pour commencer à Rome et à Athènes.
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