ALAIN : CE QU'ON PENSE D'AUTRUI LE TRANSFORME
ALAIN : CE QU'ON PENSE D'AUTRUI LE TRANSFORME
Autrui n'est pas que l'être par qui je découvre mon être. Il est aussi l'être par qui se construit un être. Au regard que je porte sur autrui, il faut ajouter l'idée que je me fais de lui, ce jugement explicite ou implicite qui n'est pas de pure connaissance puisqu'il agit sur l'autre, puisqu'il modifie son être.
« Je puis vouloir une éclipse, ou simplement un beau soleil qui sèche le grain, au lieu de cette tempête grondeuse et pleureuse ; je puis, à force de vouloir, espérer et croire enfin que les choses iront comme je veux ; mais elles vontleur train. D'où je vois bien que ma prière est d'un nigaud. Mais quand il s'agit de mes frères les hommes, ou de mes soeurs les femmes, tout change. Ce que je crois finit souvent par être vrai. Si je me crois haï, je serai haï ; pour l'amour, de même. Si je crois que l'enfant que j'instruis est incapable d'apprendre, cette croyance écrite dans mes regards et dans mes discours le rendra stupide ; au contraire, ma confiance et mon attente est comme un soleil qui mûrira les fleurs et les fruits du petit bonhomme. Je prête, dites-vous, à la femme que j'aime, des vertus qu’elle n'a point ; mais si elle sait que je crois en elle, elles les aura. Plus ou moins ; mais il faut essayer ; il faut croire. Le peuple, méprisé, est bientôt méprisable ; estimez-le, il s’élèvera. La défiance a fait plus d'un voleur ; une demi-confiance est comme une injure ; mais si je savais la donner toute, qui donc me tromperait ? Il faut donner d'abord. »
Alain (Nancy-Metz, B, 84)
ordre des idées
1) Description d'un rapport aux choses vain et stupide : chercher à les transformer par la seule force de sa pensée (pensée magique, sans médiation technique). — Exemples d'une telle conduite et de son inefficacité : ma volonté n'a aucunement le pouvoir de changer réalités astronomiques ou météorologiques. — Explication de cette impuissance : la nature est rigoureusement indifférente à ce que je pense d'elle.
2) Description d'un rapport aux autres, analogue mais efficace et intelligent. — Exemples, sur le plan pédagogique (juger un enfant stupide - ou intelligent -, c'est faire qu'il devienne tel), sur le plan des sentiments, sur le plan politique. — Explication de cette puissance du jugement sur autrui : ce dernier n'est nullement indifférent à l'idée qu'on se fait de lui. On peut donc penser qu'il se transforme selon cette idée.