Aimé Césaire
Né en 1913 à Basse-Pointe, Martinique, dans une « maison minuscule » où il grandit au milieu de ses dix frères et sœurs, Césaire arrive à Paris en 1931. Il prépare au lycée Louis le Grand le concours de l’Ecole Normale Supérieure où il est reçu en 1935. En 1932, avec d’autres étudiants noirs dont Léopold Sédar Senghor, il fonde la revue l’Etudiant noir. Entre 1936 et 1938, il rédige Cahier d’un retour au pays natal qu’il publiera en 1945. Professeur à Fort de France en 1940, il passe la guerre à la Martinique où il rencontre André Breton, réfugié, et dirige la revue Tropiques.
En 1946, il publie les Armes miraculeuses. La même année, il est élu député de la Martinique et sera régulièrement réélu depuis. En 1964, sa pièce la Tragédie du roi Christophe est créée à Montréal par Jean-Marie Serreau qui la présentera en 1966 au Festival de l’art nègre de Dakar. Avec Césaire la négritude s’incarne dans le cri. Puis, le cri se fait chair pulpeuse du verbe, phrase flamboyante et véhémente, revendicative et superbe : chant d’un homme, chant d’un peuple. Enfin elle jaillit sur la scène pour se représenter elle-même dans sa double dimension, réelle et légendaire. Alors, dans une grande fête des mots, dans la splendeur des images, dans une sorte de danse communicative — comme la peste, modèle de la contagion théâtrale, selon Artaud — elle affirme contre tous les oppresseurs sa présence et sa vitalité. Sans doute Césaire ne fut pas le seul à créer et à définir le concept de la négritude. De ce concept, Senghor surtout se fit le théoricien dans les années d’après guerre qui virent l’éclosion et le développement d’une importante littérature négro-africaine de langue française. Mais le mot de négritude vit le jour dans les années trente dans un groupe de poètes pour la plupart encore etudiants et dont les principaux étaient le guyanais Léon Gontran Damas — qui publia son premier recueil Pigments chez Guy Levis Mano en 1939 — Senghor et Césaire, et il fut employé pour la première fois par Césaire dans Cahier d’un retour au pays natal :
Silo où se préserve et mûrit ce que la terre [a de plus terre Ma négritude n 'est pas une pierre, sa [surdité ruée contre la clameur du jour. Ma négritude n 'est pas une taie d’eau [morte sur l’œil mort de la terre. Ma négritude n 'est ni une tour ni une [cathédrale. Elle plonge dans la chair rouge du sol. Elle plonge dans la chair ardente du ciel. Elle troue l’accablement opaque de sa [droite patience...
Plus tard, Césaire écrira que la négritude est « la conscience d’être noir, simple reconnaissance d’un fait qui implique acceptation, prise en charge de son destin de Noir, de son histoire et de sa culture ». Aussi dans son œuvre, de poète et de dramaturge (son premier texte théâtral Et les chiens se taisaient figure à la suite des poèmes dans le recueil les Armes miraculeuses publié en 1946) Césaire dit sa différence, sa singularité, mais aussi son appartenance à la terre des Antilles (les îles sont sans cesse présentes dans ses poèmes et, avec elles, leur histoire) et au peuple noir qui l’habite. Descendant des anciens esclaves, il est conscient de ses origines africaines, de sa solidarité avec tout le monde noir. Dramaturge, il écrira la tragédie de Christophe, l’Haïtien, et celle de Lumumba, le Congolais, symboles l’un comme l’autre de la révolte contre le colonisateur et des problèmes que doivent affronter les peuples accédant à l’indépendance. Césaire ne cherche pas, du reste à masquer la complexité de ces problèmes de même qu’il sait traduire dans leur singularité les aventures fort peu comparables (sinon en apparence) de Christophe et de Lumumba. Dans la Tragédie du roi Christophe, il montre comment, voulant copier les maîtres qu’il avait chassés, jouant à imiter Napoléon, le roi noir d’Haïti devait nécessairement échouer. Dans Une saison au Congo, au contraire, il dévoile les efforts déployés par les grandes entreprises capitalistes pour se débarrasser de Lumumba, l’un des plus lucides chefs d’Etat africains et pour retrouver au Congo, avec le pouvoir économique, une source importante de profits. Tout cela Césaire le dit en poète. Par la magie du langage il donne corps, force, impact à ses analyses et à ses idées. Pour éveiller les consciences, celles des Blancs comme des Noirs, il recourt moins à la démonstration qu’à la mise en scène des réalités — des souffrances, des désirs, des émotions. Mais il s’agit aussi pour lui, comme pour Senghor au Sénégal, de donner une voix, une langue à son peuple. Sans doute Césaire est-il un écrivain de langue française et un parfait connaisseur d’une tradition poétique qui remonte à Villon. Mais ce n’est pas dans la prosodie classique de l’Occident qu’il entend transcrire l’imagerie fantastique de son île et la violence de sa révolte. Il lui faut un chant proche de la danse, de la possession, du cri, un chant qui casse le discours rationnel et laisse éclater les pulsions de la vie. Ce n’est pas hasard si le titre de l’un de ses recueils Soleil cou coupé reprend un vers d’Apollinaire, un des premiers poètes de la modernité et dont les amis cubistes s’inspirèrent, pour leur peinture, de l’art nègre. Comme naturellement, dans son souci de libérer les mots, d’être à l’écoute de l’inconscient collectif de son peuple, Césaire était proche du surréalisme, ce que confirmèrent sa rencontre et son amitié avec Breton. On ne saurait cependant réduire sa poétique au surréalisme ni enfermer son œuvre dans une forme esthétique. Très maître de son écriture et de ses rythmes — les corrections apportées à Soleil cou coupé en témoignent — Césaire est de deux qui font exploser les genres pour confondre, dans un même mouvement, le plaisir de dire et la volonté de signifier.
NÉGRITUDE, n. f 1° Ensemble des caractères, des façons de penser, de vivre, de voir le monde, qui sont propres aux Noirs. Le terme a été forgé par le poète martiniquais Aimé Césaire, pour résister à la négation des cultures nègres (par le regard occidental), et revendiquer les valeurs propres, la spécificité et la dignité du peuple noir. 2° Par extension, mouvement littéraire (intellectuel et poétique) qui, de 1930 à 1945 environ, a regroupé des écrivains noirs francophones, en particulier Césaire et Senghor.
CESAIRE Aimé Né à la Martinique, — le spectacle des inégalités de tous ordres dont, toute sa jeunesse, il est le témoin le marquera profondément — il fait à Paris des études de lettres et fonde, avec Léopold Sédar Senghor, L’Etudiant noir, une revue de lutte contre l'oppression colonialiste. Il écrit aussi le Cahier d'un Retour au Pays natal (1938-39). Rentré aux Antilles, il y rédige Soleil Cou-coupé (1948), Corps perdu (1949). Poète au souffle large et puissant, dont les poèmes portent les revendications de la «négritude» et de tous les opprimés, il a été élu député communiste de Fort-de-France au lendemain de la guene — il rompra avec le P.C.F en 1956 — et constamment réélu depuis, ce qui fait de lui le plus ancien des membres de l'Assemblée Nationale. Autres recueils: Ferrements (1959), Cadastre (1961).
Poète, né à la Martinique. André Breton avait reconnu en l’auteur de Cahier d’un retour au pays natal (paru en revues dès 1939) un disciple digne de lui, et il préfaça la réédition de l’œuvre en 1947. Mais Césaire entendait garder ses distances ou, du moins, sa liberté de mouvement. De même, député communiste, il démissionnera bientôt du Parti, sans cesser pour autant d’exprimer (au Parlement) les droits de ses frères, et, en poésie, la voix de la « négritude » (Mon nom : offensé. Mon prénom : humilié. Mon état : révolté. Mon âge : l’âge de la pierre). Les recueils Soleil cou coupé (1948, titre qui est un hommage à Zone d’Apollinaire) et Cadastre (1961) confirment la capacité de souffle et l’envergure de ce poète, qui est aussi un dramaturge : Et les chiens se taisaient (1956), La Tragédie du roi Christophe (1963), Une saison au Congo (publié en 1966; joué en 1967), Une tempête (joué en 1969). Enfin, Césaire nous donne, dès 1982, une sorte de bilan lyrique de son double engagement dans la vie (vie de lutte, surtout) et dans la poésie : Moi, laminaire...